Par Ibou FALL –

Dimanche passé, chose promise, chose due : le Premier ministre Ousmane Sonko débarque donc à Colobane pour panser les plaies béantes des déguerpissements et désencombrements intervenus quelques jours auparavant.
L’affaire l’affiche mal, il y a un os, et ce n’est pas celui de Mor Lam qui ramollit encore.
D’un côté, les habitants de cette cité qui étouffe de l’invasion des marchands de tout acabit dont les piétons n’ont plus que la chaussée pour slalomer entre les taxis à la visite technique étonnante, les cars-rapides bigarrés et les mobylettes au train d’enfer ; et de l’autre, les indésirables qui sont là dès l’aube et ne rentrent chez eux qu’à la tombée de la nuit, après avoir tenté toute la journée de gagner leur vie.

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Il y a de tout dans cette populace : du fripier honnête, du receleur canaille, du joueur de cartes truquées, du badaud oisif, du bricoleur téméraire, du pickpocket amateur, du jeteur de cauris optimiste, de l’usurier cynique, du désespéré congénital, du voyou attardé, du héros exalté, du fumeur de mauvaise herbe, du talibé obtus, de la gargotière rigolarde, du voisin indiscret, du crève-la-faim énervé et du parvenu arrogant.
J’en oublie, sans doute…
C’est à la rencontre de ce petit monde dramatiquement burlesque que se rend l’inusable Premier ministre, en bras de chemise, coiffé d’un panama couleur de grisaille comme l’humeur ambiante en ce jour de repos dominical.
Première nouvelle, il n’est au courant de rien.

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Sans doute absorbé par le casting de ses vingt-et-un conseillers, l’arrêté de son ministre a dû lui passer sous le nez sans que ça ne lui fasse tilt au cerveau.
Ousmane Sonko s’embourgeoise, manifestement : durant ses glorieuses années d’opposant exaspéré et volubile, il le clame haut et fort devant un parterre de journalistes interdits de questions, qu’il est au courant des plus secrètes manigances de la dictature Mackyavélique.
En ces temps farouches, il brasse alors du scandale de mauvaise gouvernance comme un cultivateur du Saloum ses récoltes d’arachide… Rien ne lui échappe : les complots sordides en dessous de la ceinture dont il révèle la chaîne de fabrication, les distractions de deniers publics, les crimes organisés, les meurtres d’Etat. Il sait tout sur tout le monde… D’ailleurs, Macky et sa smala, fanfaronne-t-il, ne se soucient plus des scandales qu’il met à nu mais des, euh, lanceurs d’alerte qui le servent au nom du Projet patriotique.

Là, Monsieur le Premier ministre semble bien moins informé.
Grand moment de démonstration de la solidarité gouvernementale : le taiseux président de la République et lui, le tonitruant Premier ministre, ne sont au courant de rien. Traduction : le ministre de l’Intérieur a fait un peu n’importe quoi. Mais on le garde quand même…

Question impie : ce ministre galonné serait-il déloyal au point de lui cacher les arrêtés impopulaires, histoire de rogner sur son électorat qui devrait être sollicité urgemment pour nettoyer l’Assemblée nationale, laquelle est devenue un foutoir depuis que le Patriote suprême n’y est plus ?

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Pour rattraper la gaffe ministérielle, l’inévitable Aïda Mbodj doit s’y coller. La redoutable banquière vient de prendre les commandes de la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes, la très sexy Der/Fj (c’est connu, l’argent est un aphrodisiaque) et entend, par ce levier capital, propulser le monde du chômage dans les sphères du capitalisme triomphant.
Elle débarque sur-le-champ pour croiser le verbe avec de vulgaires chômeuses qui la pointent du doigt en même temps que les paradoxes qui nous gouvernent. Rebuffade de la tigresse de Bambey dans cet échange de haute voltige, qui exige de l’impertinente qu’elle plie son doigt.
Prière de garder vos sarcasmes pour vous.

Sorti de Colobane, «Kolwezi» pour les initiés, du nom de cette ville du Katanga zaïrois, capitale du cobalt, et symbole de la rébellion contre la dictature du Maréchal Mobutu, le Premier ministre file vers l’Anse Bernard (qu’il orthographie avec un «H» sur le post primatoral que diffusent les réseaux sociaux). Il vient fourrer le nez dans une nébuleuse à propos de laquelle des questions se bousculent dans sa tête : comment a-t-on pu livrer des milliers de mètres carrés sur le domaine maritime à des étrangers ?

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C’est Thierno Bocoum, ancien de Rewmi et patron du mouvement Agir, qui lui sert la réponse : «Qu’allez-vous faire de l’hôtel Azalaï dont vous occupez un étage avec vos proches, qui s’étale sur sept mille mètres carrés sur le domaine maritime ?»
Je pose ça là et passe à un autre sujet, en attendant que ça remonte jusqu’au cerveau du contribuable.

Le paradoxe serait-il la colonne vertébrale de l’exception sénégalaise ?
On apprend avec effroi, via les médias, que le Groupe Sedima cherche de l’argent frais. Le self-made-man, Babacar Ngom, dont les selfies avec les puissants et les satisfaits font de lui un poseur, ne serait pas aussi riche qu’on le croit ?
Les versions divergent : les folles rumeurs annoncent la cession de 50% des parts du géant de la volaille qui perdrait ses plumes depuis quelques années. Mieux, ou pire, c’est selon, les plus alarmistes en rajoutent une couche en précisant que ce sont des étrangers qui vont, sous un régime souverainiste, racheter le fleuron agroindustriel de la volaille. Dans les cercles des initiés, il est juste question d’augmentation de capital. La maison a besoin d’argent frais pour passer à l’échelon supérieur.

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L’ex-président du Club des investisseurs sénégalais cherche des… investisseurs. Faut-il en rire ou en pleurer ?
Rien ne se perd, tout se transforme : l’ancien directeur du Club, après avoir organisé bien des séminaires de renforcement de capacités mais aucun investissement, est devenu ministre de l’Enseignement supérieur.
Défense de ricaner.

Là, c’est Pierre Goudiaby Atépa, le mentor du Premier ministre, lui-même mentor du président de la République, qui est aux commandes…
A l’époque, quand ces bourgeois à l’abri du besoin lancent ce Club dont le patriotisme économique est aussi évident que mon nez épaté sur ma bouille avachie, et convoquent la presse de même que le gotha des affaires, il est question de reconquérir la souveraineté économique des Nègres restés à l’état brut. Le prestigieux aréopage somme le régime de Macky Sall de privilégier les hommes d’affaires de couleur locale, de peau brune, aux cheveux frisés, qui parlent au moins un wolof du rude Baol. Ils annoncent un capital de vingt milliards de nos misérables francs Cfa et des centaines de milliards à injecter dans le monde du travail indigène.
L’argent n’aime pas le bruit, c’est connu…

Entretemps, les ploucs de Ndingler sonneront la rébellion contre le capitalisme local avide de terres, et Anta Babacar Ngom, qui réalise «le rêve de toute une jeunesse» par le lancement du premier fast-food Kfc, se jette dans la mare politique en se payant le luxe d’être la seule candidate à la Présidentielle… Pour convaincre les Sénégalais de sa bonne foi et de sa bonne éducation, elle exhibe ses parents, comme gage de droiture.
Rien n’y fait.
Ces saligauds d’électeurs lui préfèrent un gars taciturne qui sort de prison avec sa barbe drue et son verbe rare.
Si je n’étais pas trop bien éduqué, je balancerais depuis une cantine de Colobane, la question gouailleuse à la cantonade : «Ça roule, ma poule ?»
Mais je n’ose pas…