Le procès en diffamation, intenté par le ministre Mame Mbaye Niang contre le leader de l’opposition, Ousmane Sonko, a été tranché par le Tribunal correctionnel de Dakar. Le juge Mamadou Yakham Keïta a prononcé, le 30 mars 2023, un verdict de condamnation du prévenu à 2 mois d’emprisonnement avec sursis et à payer à la partie civile la somme de 200 millions de francs. Le prévenu avait accusé l’ancien ministre de la Jeunesse de prévarication de la somme de 29 milliards de francs dans la gestion du Prodac, un programme qui relevait de la tutelle de son département. Ousmane Sonko peut s’estimer heureux, pour avoir été condamné à une peine bien inférieure au «tarif habituel» appliqué aux journalistes qui, eux, peuvent invoquer le droit du public à l’information, la liberté d’expression et qui s’évertuent à apporter des éléments de preuve de leurs affirmations.

Il a donc été jugé avec plus de clémence que tout journaliste ou toute autre personnalité politique traduite devant cette juridiction pour des faits similaires. A titre d’exemple, Amath Dansokho, ministre d’Etat auprès du Président Macky Sall, avait été plus lourdement condamné, le 3 avril 2015, suite à une plainte de l’ancien Président Abdoulaye Wade, pour diffamation. De même, des journalistes qui avaient eu à être attraits devant le Tribunal correctionnel pour les mêmes faits de diffamation, par le même plaignant sur la même affaire dite Prodac, avaient écopé de condamnations bien plus lourdes. La jurisprudence du Tribunal correctionnel de Dakar est, du reste, constante de ce point de vue. Les rares exceptions étaient que des journalistes ont même eu à être condamnés à des peines d’emprisonnement ferme. Mais Ousmane Sonko et ses partisans ont réagi pour s’en prendre à la Justice qui aurait ainsi rendu un verdict sous la dictée du pouvoir exécutif. Seraient-ils en train de faire la fine bouche ou feraient-ils un pied de nez à l’institution judiciaire et à leur monde ou tromperaient-ils le monde ? Les péripéties de ce fameux procès montrent à suffisance que le déni de Justice serait à rechercher du côté du prévenu.

L’Etat s’est fait hara-kiri : Le juge Keïta s’était lui-même spontanément proposé
A travers ces colonnes, nous avons systématiquement défendu les magistrats et l’institution judiciaire de toutes les attaques. En effet, la Justice demeure la digue ou le rempart pour l’Etat de Droit et la meilleure protection pour le citoyen. Seulement, force est de relever que le déroulement du procès Mame Mbaye Niang-Ousmane Sonko a été on ne peut plus curieux. L’affaire a été expédiée avec un empressement suspect. Le jugement a été prononcé sur le siège ; le juge Keïta n’a pas estimé opportun de mettre l’affaire en délibéré pour préparer la motivation de la décision du Tribunal. Il semblait tellement pressé d’en finir, qu’il n’a même pas pris une minute pour se concerter avec ses deux assesseurs qui, visiblement, étaient interloqués à l’annonce du verdict par le président de l’audience. Personne n’a pu comprendre la démarche très inhabituelle, pour ne pas dire insolite, d’autant que l’affaire avait longtemps pris la population en haleine et que plus d’une trentaine d’avocats s’étaient constitués, pour l’une ou l’autre partie, pour plaider avec force arguments de droit et de faits.

Le juge a balayé d’un revers de main le réquisitoire du Parquet et n’a pas estimé nécessaire de perdre son temps pour interroger la bonne foi du prévenu ou tout autre élément d’appréciation, comme le refus manifeste du prévenu de venir au procès et ses actes et déclarations publiques défiant l’autorité de la Justice avec insultes et menaces contre les magistrats. Les tumultes provoqués dans le pays par ce procès, provoquant des morts et de graves et importants dégâts ou troubles, n’ont pas semblé préoccuper le juge. Ce dernier, qui a hérité du dossier la veille du procès au soir, n’a même pas estimé nécessaire de prendre un temps d’imprégnation du dossier qui, pourtant, a fait l’objet d’une enquête préliminaire et un réquisitoire circonstancié du Parquet ; le ministère public qui a pu viser des délits connexes à la diffamation comme le faux et l’usage de faux en écritures publiques. En d’autres termes, rien de tout cela n’a point compté dans la décision de Mamadou Yakham Keïta. C’était comme un simulacre de procès : tout était préparé, un scénario écrit d’avance ou un verdict déjà convenu quelque part.

Les autorités judiciaires ont le sentiment d’avoir été flouées. En effet, Mamadou Yakham Keïta n’était jamais pressenti pour diriger l’audience. L’affaire relevait de la Chambre correctionnelle présidée par le juge Papa Mohamed Diop. Mais ce dernier avait fait l’objet d’un tir groupé de la part du prévenu et de ses conseils qui ont tenté, en vain, plusieurs demandes en récusation pour de supposées accointances ou des liens familiaux du juge Diop (du reste jamais énoncés pour être établis) avec le plaignant. Toutes les demandes en récusation ont été jugées fallacieuses par la Cour d’appel de Dakar qui les a rejetées. Néanmoins, à quelques heures du procès, on apprendra le désistement volontaire (?) du juge Pape Mohamed Diop. Un des avocats de Ousmane Sonko, Me Ousseynou Fall, a été suspendu par le Conseil de l’Ordre des avocats pour des actes d’irrévérence, à l’endroit du juge Diop et du Tribunal, lors de l’audience du 16 mars 2023. C’est ainsi que son collègue, Mamadou Yakham Keïta, très éloigné des procédures en diffamation, s’est spontanément proposé pour diriger l’audience. Ce juge est actuellement président de la Chambre des procédures collectives et des saisies immobilières du Tribunal de grande instance de Dakar. En outre, il est connu pour être, comme on dit dans le jargon judiciaire, un «civiliste» (spécialiste du Droit civil), plutôt qu’un pénaliste. De toute façon, il n’avait pas encore eu l’occasion de présider une audience correctionnelle au niveau de sa juridiction, au moins depuis plus de cinq ans qu’il y est en poste. Il a plutôt fait du flagrant délit. C’est peut-être pourquoi il a jugé cette affaire comme un dossier de flagrant délit, avec la célérité ou le caractère expéditif de ce genre de procédure.

Une mission de l’Inspection générale de l’Administration de la justice s’impose
On voit bien qu’il existe de réels motifs de suspicion ou de soupçon d’un coup tordu, d’une manigance ou des manœuvres pour arriver à ce verdict. Ce sentiment est si prégnant qu’avant l’audience, un des avocats du prévenu, en l’occurrence Me Cheikh Khoureyssi Bâ, s’était fendu d’un tweet jubilatoire à l’annonce du changement de président de l’audience. Le juge était-il en mission commandée ou s’était-il dévoué pour une cause politique ? On apprendra après coup ses liens familiaux avec des responsables du parti Pastef, et même des liens par alliance avec Ousmane Sonko. L’effarement est encore plus grand quand on découvre, le lendemain du verdict, que ce juge affichait régulièrement sur son mur «Facebook», de la propagande favorable à Ousmane Sonko et au parti Pastef. Pis, dans un post en date du 21 février 2018, Mamadou Yakham Keïta se payait la tête du ministre Mame Mbaye Niang. Les nombreux «posts» ont fait le buzz et suscité une grosse gêne auprès des magistrats. Dire qu’en dépit de tout cela, il a tenu à juger l’affaire !

Devant l’immense tollé suscité, le juge Mamadou Yakham Keïta a fini par nettoyer sa page «Facebook» de ses posts sulfureux. Le pot aux roses a déjà été découvert car les captures d’écran sont dans tous les smartphones. D’ailleurs, ce dernier geste sur la page «Facebook» peut se révéler comme un aveu que le juge se reprocherait une inconduite.

Il reste à savoir quelle est la part de responsabilité du chef de la juridiction, le président Moustapha Fall, dans ce qui apparaît comme une forfaiture judiciaire ? En effet, en raison des circonstances du désistement du juge Pape Mohamed Diop, il était, au pied levé, le mieux placé ou indiqué pour diriger l’audience. Quels gages ou garanties de neutralité ou de loyauté a pu lui donner Mamadou Yakham Keïta ? Il y a lieu de souligner que de nombreux magistrats et avocats, stupéfaits d’apprendre que l’audience allait être présidée par le juge Keïta, ne cachaient pas leur étonnement. Le juge Keïta n’a jamais fait mystère de ses préférences politiques nous dit-on. Un magistrat qui connait des antécédents relevant de sa vie privée, nous confiait que le juge Keïta serait bien capable de relaxer purement et simplement Ousmane Sonko ou de lui coller 2 ans d’emprisonnement. C’est dire !

Le malaise est profond au Palais de justice et il appartient aux autorités judiciaires de tirer les choses au clair, de situer les responsabilités. Le président Moustapha Fall devrait être la première personne interpellée. Et si tant est qu’il n’aurait pas été complice, d’une quelconque manière, de l’action de son collègue, il devrait dénoncer la situation auprès du ministre de la Justice ou du Premier président de la Cour suprême, et donc demander l’ouverture d’une enquête formelle de l’Inspection générale de l’Administration de la justice (Igaj). Dysfonctionnement, légèreté, laxisme, naïveté ou comportement de voyou ? Allez savoir.

Mamadou Yakham Keïta pourra-t-il entraver l’action de la Justice ?
La question devient légitime. Ce jugement inédit et aux senteurs sulfureuses risque de constituer un gros caillou dans les escarpins de Dame Justice. Le Parquet et la partie civile ont annoncé interjeter appel du jugement, mais le traitement de l’appel pourrait se révéler problématique. Si le juge poursuivait une logique d’obstruction ou de protection du prévenu Ousmane Sonko, il traînerait les pieds pour délivrer l’acte de jugement, une pièce essentielle ou maîtresse du dossier d’appel. Une situation de blocage en découlerait, mais le cas échéant, il aura véritablement risqué sa carrière pour sauver la tête d’un homme politique. L’enjeu en vaudrait-il la chandelle ? Au demeurant, les autorités publiques devraient, elles-mêmes, prendre leurs responsabilités pour ne pas laisser l’Etat se faire hara-kiri de la sorte. Il importe de savoir se faire respecter. La leçon de l’histoire est que finalement, les actions et actes de manœuvre et de manipulation de l’institution judiciaire ne seraient plus du fait du gouvernement, mais des opposants. Le ver de l’opposition est bien dans le fruit.

POST SCRIPTUM : L’Armée nationale doit, elle aussi, en avoir
le cœur net, et au plus vite
Le cadre politique de l’opposition, Yewwi askan wi (Yaw), avait annoncé la tenue de manifestations politiques à la date du 3 avril 2023, en prélude à la célébration de la Fête nationale. L’initiative avait ému ou choqué du monde. Mais les responsables de Yaw viennent de rétropédaler en annulant la manifestation, précisant avoir pris la décision «après des discussions avec de hauts gradés». L’indication dans leur communiqué, publié le 31 mars 2023, apparaît étonnante et mérite d’être remarquée. On sait Ousmane Sonko et ses partisans adeptes du mensonge, de la sournoiserie et de la manipulation, mais le fait d’invoquer une intelligence avec des officiers de l’Armée ne devrait pas être ignoré avec désinvolture.
L’Armée nationale s’en est offusquée. Dans un communiqué, l’Etat-Major général des Armées a immédiatement fulminé, pour «inviter les acteurs politiques de tous bords et la Société civile à tenir l’Armée nationale hors du débat politique, pour l’intérêt de la Nation. L’Armée nationale entend garder sa posture républicaine et se consacrer à ses missions régaliennes». Pour autant, cela ne semble pas suffisant, car les allusions et invites à l’Armée nationale sont récurrentes et sans équivoque de la part de Ousmane Sonko et de ses partisans. Il importe de savoir quels seraient les secteurs ou acteurs militaires qui seraient dans une posture ou logique d’accointance avec ces velléités non dissimulées d’une prise du pouvoir par la force des canons. Ousmane Sonko, ses partisans et d’éminentes personnalités politiques et de la Société civile se sont illustrés pour publiquement applaudir des coups d’Etat dans la sous-région et en ont même fait l’apologie. Il s’avère donc opportun de mener une enquête rigoureuse pour avoir le cœur net sur leurs funestes intentions. De toute façon, ce serait un cynique acte de trahison, de la part de tout officier ou militaire de rang, de se mettre dans une logique de complicité ou de connivence avec Ousmane Sonko.
Cet homme politique n’a de cesse d’insulter l’Armée, jusqu’à s’interdire de s’incliner devant la dépouille de soldats tués par des rebelles indépendantistes ou même de s’émouvoir de l’humiliation et de la prise d’otages de soldats par des hommes du chef rebelle Salif Sadio. Plus personne n’ignore qu’il a recourt à des rebelles du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) pour s’attaquer aux institutions de l’Etat du Sénégal et à son Peuple. Quand j’avais alerté de cet état de fait, depuis les terribles événements des 6, 7 et 8 mars 2021, avec leur cortège de 14 morts, et plusieurs fois par la suite, certains avaient poussé la mauvaise foi en m’accusant de tous les torts à l’unité nationale. On voit le résultat que des personnes, arrêtées à l’occasion des manifestations à Dakar et Mbacké, revendiquent ouvertement leur appartenance au Mfdc et avouent leurs sinistres desseins. Encore une fois, j’ai raison sur les détracteurs !