Vingt-trois années après la survenue de la plus grande catastrophe humaine de l’histoire de la marine marchande, le transbordeur Le Joola gît toujours dans les profondeurs des mers, au large des côtes gambiennes, avec ses nombreux carnets secrets à bord. A l’occasion de la commémoration de la date anniversaire ce 26 septembre 2025, le moment nous est encore offert pour nous recueillir et avoir une pensée pieuse pour les disparus, en continuant de réfléchir sur le drame, notamment en nous interrogeant sur le refus des pouvoirs publics d’ordonner, jusqu’à nos jours, le renflouement du navire.
La thèse simpliste communément avancée de surcharge du navire, avec près de deux mille personnes pour un navire qui peut n’en prendre que neuf cents, ne tient pas la route.
En effet, ce ne fut pas fortuit que le navire sombra dans les eaux au large des côtes gambiennes, le mois de septembre. Cette certitude se fonde sur le fait que Le Joola n’officiait jamais le mois de septembre lorsque sa gestion relevait de la marine marchande. Pourquoi la marine de guerre avait-elle mis en service Le Joola qui venait de réparation de fond à quai pendant cette période de l’année, de surcroÏt sans un certificat de navigabilité qui devrait être délivré par un bureau de contrôle indépendant (Veritas), dès lors qu’il s’agissait d’un transport civil ?
Le Joola, en vertu justement des intempéries qui se manifestent dans la zone, était mis aux arrêts de rigueur pendant cette période de l’année pour carénage. C’est dire qu’en fonction de l’agitation zonale de la mer pendant la période, comme si la météo interdisait aux navires d’appareiller pour cause de mauvais temps, que ce moment était choisi pour retirer le bateau de l’eau et le mettre à sec au dock flottant pour sa révision annuelle. Force est de constater que si la mesure administrative de reprise des rotations du Joola était calée après le mois de septembre, selon un temps plus clément qu’il ferait dans la zone pour des embarcations de ce type, la catastrophe aurait pu être évitée.
Les eaux maritimes, sur les côtes sénégalaises et gambiennes, sont périlleuses pendant le mois de septembre pour la navigation des navires à faible tirant d’eau officiant dans la zone. Pendant cette période de l’année, ces eaux sont le plus souvent très agitées, en raison des tempêtes et tornades qui y prévalent, particulièrement sur la frange maritime à l’approche des embouchures des fleuves Gambie et Casamance, où se manifestent de dangereuses houles de fond. Souvenons-nous que le transbordeur Le Joola avait sombré un mois de septembre au large des côtes gambiennes, alors qu’il y faisait une forte tornade avec des vents violents, rendant la mer impraticable pour des navires fluviomaritimes à faible tirant d’eau. Avant la disparition du Joola, d’autres navires avaient sombré dans les mêmes périmètres maritimes, aux abords des îles du Saloum.
La spécificité des navires qui officient sur l’axe Dakar-Ziguinchor, en fonction de l’adaptabilité à la configuration géoéconomique, confère à des embarcations de ce type des caractéristiques de faible tirant d’eau, leur permettant, en même temps, d’affronter les mers le long des côtes et de pouvoir remonter profondément à l’intérieur des terres par le fleuve. Il est particulièrement interdit à des embarcations de ce type de naviguer en haute mer en raison de leur instabilité due au faible tirant d’eau. En mer agitée, le long des côtes, ces navires circulent sur des parcours souvent très difficiles et souffrent beaucoup.
En dépit de l’intervalle de temps assez important qui nous sépare de l’accident, de nombreuses questions non élucidées restent toujours en l’état, et l’absence de réponses adéquates aux interrogations empêche à la mémoire collective de clore le dossier et interdit le classement de l’affaire. Même si, avec l’usure du temps, la corrosion ou d’autres effets annihilants ont pu effacer certaines données capitales sur l’épave dont l’analyse aurait pu contribuer à déceler des indices probants pour la manifestation de la vérité, il n’en demeure pas moins vrai que le renflouement du navire s’avère, aujourd’hui plus qu’hier, d’une nécessité absolue, ne serait-ce que pour découvrir et porter à l’opinion certains secrets, afin de permettre aux familles des victimes de faire enfin le deuil des disparus. En effet, tant que demeureront des énigmes sur les causes exactes de l’accident, ainsi que sur les conditions des drames qui ont prévalu à bord pendant le naufrage, la communauté nationale ne pourra jamais admettre le drame afin de permettre la tranquillité des consciences et le pardon.
Kadialy GASSAMA 
Economiste
Rue Faidherbe X Pierre Verger
Rufisque