Pour celui qui comprend les mystères du monde,
La joie et la tristesse sont identiques ;
Puisque le bien et le mal doivent tous deux finir,
Qu’importe que tout soit peine, à ton choix, ou que tout soit remède.

Omar Khayyam
Un an que tu es partie, ma chère Aminata Sophie, «ma mère»…
De bonnes âmes amies, tes familles de cœur, se sont organisées pour te rendre hommage à partir de ce vendredi 17 février 2017. Pour prier pour toi, rappeler au monde ton souvenir. Actuellement hors du Sénégal, je me joins à elles par la pensée. Qu’elles en soient remerciées !
Comment vas-tu depuis l’année dernière ? As-tu gardé tes grands éclats de rire ? Ecris-tu toujours ? As-tu retrouvé ta mère ? Lucio ? Khady ? Djibril Diop Mambéty ? As-tu rencontré Rûmî et Omar Khayyam ? Ah, comme j’aimerais t’entendre raconter ces retrouvailles et rencontres !
Et j’aurais profité de l’occasion pour partager avec toi un texte qui t’aurait peut-être fait sourire – voire dont on aurait ensuite reparlé en riant -, d’un auteur américain épatant («épatant», parce que ça sonne aussi comme éclatant et que ça te ressemble). Il s’appelle William Sydney Porter, mais il signe O. Henry. Dans une de ses nouvelles (Le manuel du mariage, Contes du Far-West, domaine public), il met en scène deux amis coincés pendant un mois par une tempête de neige dans une cabane de moins de deux mètres carrés et qui sont sauvés de leurs envies de meurtre mutuel par deux livres poussiéreux dénichés sur une étagère.
Le choix se fait à la belote. L’un, Sanderson Pratt, gagne un Manuel universel des sciences pratiques, l’autre, Idaho Green, Les Quatrains (Rubayat ou Rubaiyat) de Omar Khayyam. Pratt n’arrête pas de se moquer de Green, tombé sur ce mal nommé d’ «Homard» qui serait meilleur dans une assiette qu’avec des mots. Et Green vante «tout ce qu’il y a de riche» dans la prose de l’écrivain et savant persan semblant de prime abord être «une espèce de commis voyageur en vins et spiritueux». O. Henry brode des scènes cocasses avec les conséquences pour les deux hommes, de leurs lectures imposées finalement par le hasard. Par exemple, une dame de la bonne société que courtisent Pratt et Green s’offusque parce que Green ne fait que lui «réciter des poèmes irréligieux d’une certaine personne qui s’appelle Ruby Hat et qui doit être une femme de mauvaise vie».
Ah, les livres et le hasard ! A notre rencontre un jour de 1999, premier jour de mon stage au quotidien Walf, tu m’as parlé de Omar Khayyam parce que tu m’as vue avec Le prophète de Khalil Gibran, tu te rappelles ? Le hasard… Existe-t-il,  d’ailleurs ? A moins que ce soit pour emprunter ses mots à Felwine Sarr, «comme si quelqu’un guidait mes rencontres et traçait mon chemin à travers les livres. Et ce quelqu’un» serait «le grand instructeur» (Le Texte et les textes, Dahij, Editions Gallimard, 2009).
Les livres, les écrits, tes mots. Ta vie, Aminata Sophie Dièye. Je ne me résous pas à te dire adieu. Comment te dire adieu… Ce n’est pas une question, c’est une réflexion. Tu penses à la chanson, j’imagine ? Moi aussi, mais pas la version avec Françoise Hardy. Prends plutôt celle avec Jimmy Somerville parce qu’elle est dansante, légère. Parce qu’on ne comprend rien aux paroles, on dirait du yaourt. Oh et puis on s’en f…, n’est-ce pas ?
J’espère qu’ils sont nombreux à prendre soin de toi, là où tu es. En tout cas, sache que tu as été aimée ici. Sûrement maladroitement et certainement silencieusement par beaucoup, mais tu as été aimée. Ça me fait penser à ces mots lus dans le journal français Libération du 27 décembre 2016 en hommage à George Michael, avec une de ses chansons, You have been loved (Tu as été aimé), triste au possible (mais enfin, «la joie et la tristesse sont identiques»…). Cette chanson évoque une femme ayant perdu le fils qu’elle a eu, selon les paroles, après avoir livré tant de batailles. Les mots d’épitaphe pour George Michael disent simplement : «Alors, mec, ne l’oublie pas, ‘’You have been loved+. C’est tout ce qui compte.»
Voilà. Toi aussi, ne l’oublie pas, d’accord ?
Coumba SYLLA
Journaliste
14 février 2017