Comprendre le conflit israélo-arabo-occidental

Limiter le conflit israélo-arabe à sa binarité, c’est ne rien y comprendre. En effet, c’est un conflit bimillénaire, ayant commencé entre le judaïsme et le paganisme romain, qui a débouché sur la deuxième destruction du Temple de Jérusalem et, quelques années plus tard, sur la condamnation et la crucifixion de Jésus Christ. Monumental événement qui donna naissance au christianisme.
S’ensuivit, alors, une longue guerre entre les juifs, qui furent les premiers à combattre et à brimer les premiers chrétiens, jusqu’à la conversion du trône de Rome au christianisme. Conversion qui fut le début d’un long «chemin de croix», à rebours, du judaïsme, et qui a duré plus de mille neuf cents ans.
Cette histoire s’est passée en terres européenne, occidentale et orientale, pas dans les territoires arabes où les juifs étaient beaucoup mieux traités, même après la naissance, l’expansion et le règne des empires musulmans.
Seulement, au fur et à mesure que l’Occident se déchristianisait, cette guerre religieuse s’est muée en guerre ethnique, pour ne pas dire «raciale». Le juif n’était plus stigmatisé, essentialisé pour sa religion, qu’il a parfois cachée, abandonnée et délaissée, mais pour sa filiation, sa généalogie, son nom, sa fonction, sa réussite sociale, dont l’affaire Dreyfus sera un des avatars qui soulèveront et bouleverseront le monde entier.
Seulement, malgré cet antisémitisme quotidien et généralisé, décrit et dénoncé par une armée d’intellectuels, écrivains juifs, en grande majorité, génération après génération, malgré les pogroms en Europe de l’Est, les juifs ont totalement réussi leur intégration et immersion dans le tissu social, culturel, politique, économique, financier, littéraire et scientifique occidental, actant ainsi leur participation décisive à l’essor de la civilisation judéo-chrétienne, jusqu’à en devenir incontournables.
Dès lors, les plus religieux et les plus profondément ancrés dans leurs rêves bibliques ont utilisé tous les leviers en leur possession pour promouvoir la création d’un foyer national juif, propre à eux, sur les terres de leurs ancêtres, en Palestine. Les pogroms en Europe de l’Est pousseront les premiers immigrants à faire leur «Alyah», une sorte de retour, de montée vers la terre sainte de Jérusalem dès la fin du XIXème siècle et au début du XXème.
La Première Guerre mondiale leur donnera une occasion supplémentaire et concrète. En effet, l’Occident, à court de financement, demande le soutien des banques juives contre une promesse d’attribution d’un foyer juif en Palestine. Ce fut la déclaration dite de Balfour en 1917. Cette promesse renforcera l’espoir d’une immigration juive de plus en plus soutenue.
L’Occident gagne la guerre. La Palestine passe sous protectorat britannique de 1917 à 1948. Les vagues d’Alyah se démultiplient, en même temps que l’intégration des juifs d’Europe. Ils y occupent dorénavant des fonctions de premier ministre, de ministre, des postes de plus en plus élevés dans les administrations, etc.
La crise économique mondiale de 1929, la montée du nationalisme en Europe, illustrée par le fascisme italien et le nazisme allemand, font que l’antisémitisme et les Pogroms se renforcent. Le point d’orgue en sera le génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, appelé aussi la Shoah : six millions de juifs raflés, déportés, gazés, exécutés de sang-froid par le nazisme. Une sorte de nettoyage ethnique abominable.
Le monde entier est sous le choc. Deux nouveaux mondes naissent après la victoire sur le nazisme et la Conférence de Yalta : celui de l’Est, communiste, et celui de l’Ouest, occidental. Les institutions de Bretton Woods sont mises en place. La Déclaration universelle des droits de l’Homme et la création de deux Etats, l’un israélien, l’autre palestinien, sont prévues. L’Etat d’Israël le sera en 1948, celui de la Palestine ne le sera pas, faute d’accord avec certains pays arabes, apeurés par la très forte vague d’immigration juive qui est déjà en train de changer la donne démographique au détriment des Palestiniens.
Les juifs ont gagné la guerre territoriale. Il leur restait à gagner la seconde, plus difficile, plus longue, qui ne se décide pas d’un coup de plume : gagner contre l’antisémitisme.
Cette bataille sera, elle aussi, gagnée administrativement et politiquement par les lois votées et le soutien inconditionnel des gouvernements européens à Israël, par la peur bleue des hommes politiques européens de se voir traités d’antisémites. Néanmoins, la bataille contre certains idéologues, populistes, nationalistes ou religieux, demeure vivace jusqu’à présent.
Ainsi, plus que son soutien financier et militaire indéfectible, les Etats occidentaux ont fini indubitablement par s’incliner devant Israël et la communauté juive en légiférant, sur une condamnation morale et pénale systématique, de tout avis ou opinion critique, sur Israël, assimilés à de l’antisémitisme ou de l’antisionisme confondus, à l’exclusion de toute autre notion rattachée à un autre peuple ou à une autre religion.
Qui plus est, en reconnaissant à Israël le statut de pays menant une guerre existentielle, l’Occident considère tous les adversaires et co-belligérants d’Israël, vivant sur la même terre ou ailleurs, comme étant des terroristes, donc des hommes à abattre, même préventivement. Or donc, si chaque homme d’un peuple peut être abattu préventivement, tout le peuple peut l’être, et ce peuple peut disparaitre et sa Nation niée à jamais. Est-ce la solution que l’Occident veut ?
Autre mot ou notion sanctuarisé est qu’Israël est un îlot de démocratie dans un désert d’autocraties arabes, justifiant ainsi une guerre de civilisation qu’Israël mènerait et qui ne peut être que soutenue, malgré la colonisation, la confiscation de terres palestiniennes, la discrimination administrative qui les asphyxie et le droit à la lutte de libération internationalement reconnu à tout peuple opprimé, sauf aux Palestiniens systématiquement taxés de terroristes.
En mettant ainsi la démocratie au rang d’une quatrième religion universaliste, l’Occident tente de justifier toutes ses croisades militaires et géopolitiques.
Ce soutien indéfectible, disais-je plus haut, est le fruit d’une contrition occidentale, née de la Shoah et de l’immersion réussie des juifs en Europe.
Immersion qui a permis à ce Peuple, fort de son Hubris millénaire, arcbouté à un statut biblique de peuple «élu» et à un droit divin sur une terre «promise», d’imposer sa présence en Palestine.
Sans oublier le soutien indéfectible de certains évangélistes chrétiens, surtout américains et intégristes juifs adeptes de «la solution finale», entendue comme l’application de la loi du plus fort pour qu’enfin, adviennent les promesses religieuses, bibliques et évangéliques de la fin des temps. Autant de circonstances qui expliquent une présence juive de plus en plus massive et violente, et un soutien inconditionnel de l’Occident.
Domination qui verra naitre un radicalisme arabe issu de la création du seul Etat d’Israël, à l’exclusion de celui de la Palestine qui attend toujours, et de l’exil forcé, appelé Nakba, de près d’un million de Palestiniens après la première guerre israélo-arabe de 1948.
Première grande défaite militaire arabe, fondatrice ou accélératrice de «l’Alyah» juif de masse. Première défaite majeure qui sera suivie de trois autres en 1956, 67 et 73, qui engendreront une paix larvée avec les pays arabes impliqués et partageant des frontières avec Israël (Egypte, Jordanie, Syrie). D’autres défaites impliquant, cette fois, Palestiniens et Libanais, se déroulent sous nos yeux, par intermittence, depuis 1981.
«Alyah» contre «Nakba» : chaque peuple y trouvant un socle solide d’espérance et de désespérance mortifère. Voilà résumé en deux mots le conflit israélo-arabe. Une histoire de terre bénite, pour avoir enfanté les trois religions monothéistes, maudite par leur exclusivisme ontologique et mutuel.
Toutes ces victoires de l’Occident colonial et d’Israël, par la suite, ont donné naissance au panarabisme, vite paralysé, et au panislamisme post-colonial, porteur d’acrimonie silencieuse d’une bonne partie des peuples du tiers-monde envers Israël, vu comme un pays colonisateur, pratiquant l’apartheid et la ségrégation au nom des droits «divins» énoncés plus haut.
Ainsi, la rencontre de trois «Destins» : Le fatum de la destinée juive, celui de la faiblesse militaire arabe, qui est aussi celle de l’orthodoxie musulmane et, enfin, celui de la culpabilité occidentale rendront la paix difficile, sinon impossible, tant que l’Occident, pris dans le piège de la victimisation juive portée par une intelligentsia omniprésente, ne peut ni raisonner Israël, et à plus forte raison, le contraindre, et tant que la dissuasion militaire arabe ou panislamique ne pourra l’endiguer.
Les autres peuples, n’ayant pas participé, ni de près ni de loin, à la longue et injuste tragédie du Peuple juif et qui ne sont pas tenus à la même contrition, à la même repentance qui les ferait accepter, légitimer, tolérer une autre tragédie, une autre spoliation des droits d’un autre peuple, ruminent leur impuissance.
S’il est inconcevable de voir disparaître Israël, il est tout aussi impensable de voir disparaître le Peuple palestinien.
Cette nouvelle tragédie, sans vainqueur possible, emportera les deux peuples dans un éternel recommencement, et durera tant que dureront ces trois fatums. Dieu Seul sait ce qui adviendra avant la fin de ce siècle.
Abdoulaye Lô
Auteur de :
Le Jour Fatidique, Ed : L’Harmatan Dakar,
L’Afrique, Sanctuaire de Maux et de Mots, Ed : Le Lys Bleu, Paris