Conférence – Démocratiser l’économie : Felwine Sarr appelle à libérer la pensée

Face à un système économique perçu comme «préjudiciable» aux réalités africaines, Felwine Sarr appelle à libérer la pensée. Pour le philosophe, économiste et enseignant-chercheur à Duke University, la véritable révolution consiste à s’appuyer sur les pratiques économiques locales, sou- vent «invisibles» dans les statistiques officiel- les, mais profondément enracinées dans les sociétés africaines.
«Le postulat duquel on doit partir, c’est comprendre notre réalité historique, culturelle, anthropologique. Evidemment, bien apprendre des autres. Mais bien apprendre des autres, ça ne veut pas dire répéter ce que les autres ont fait. Ça veut dire distinguer dans ce qui a fonctionné chez les autres, ce qui pourrait fonctionner ici, mais repartir dans la réalité et la pensée», a-t-il plaidé hier, lors de la conférence internationale organisée par la Fondation de l’innovation pour la démocratie, l’Agence universitaire de la Francophonie (Auf), le Campus Afd et plusieurs universités partenaires, notamment l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, l’université Gaston Berger de Saint-Louis, et axée sur le thème :
«Démocratiser l’économie : un horizon de réinvention des modèles économiques au ser- vice d’une démocratie sub- stantive en Afrique.» Loin des comparaisons hasardeuses entre pays aux trajectoires historiques différentes, Felwine Sarr n’a pas manqué de partager ses observations sur les démocraties qui se fragilisent sous le poids des inégalités. «Les aventures sociétales ne sont pas comparables, toutes choses égales par ailleurs. Les pays qui ont connu des guerres, qui ont connu des chocs historiques, ne sont pas comparables à des pays qui n’ont pas connu la guerre. Des pays qui ont des géographies différentes et qui ont un accès à la mer ne sont pas comparables à d’autres pays», dit-il.
Pour Felwine Sarr, il ne s’a git pas de réformer l’économie dominante, mais bien d’en sortir. «Il faut déjà repenser l’économie, ne pas considérer que l’économie dominante néolibérale est une donnée que l’on doit intégrer dans ses formes, d’autant plus que ces formes-là, pour l’instant, elles nous seront réjudiciables», affirme l’économiste et pro- fesseur à Duke University. Pour lui, la véritable révolu- tion consiste à s’appuyer sur les pratiques économiques locales, souvent invisibles dans les statistiques officiel- les, mais profondément enracinées dans les sociétés africaines. «On n’a pas à être les bons élèves. On a à avoir un regard critique et on doit être créatif. Et cette créativité, elle existe déjà dans les formes économiques que nos sociétés ont produites. Les gens n’ont pas attendu l’économie néoli- bérale pour répondre à leurs besoins, pour vivre, pour se perpétuer. Donc je pense qu’il y a un travail des économistes à faire dans ce sens-là et un travail aussi de conviction de nos élites», explique-t-il. Alors que gagnerait l’Afrique dans cette économie «démo- cratisée» ? Selon le philoso- phe, «le plus important, c’est de dire qu’est-ce que l’Afrique gagnerait à repenser ses modèles économiques, à faire en sorte qu’elle choisisse un modèle d’économie du bien- être». Et d’après lui, c’est là que réside l’enjeu, c’est-à-dire bâtir une économie qui ne laisse personne de côté, qui tisse des solidarités et respec-
te les équilibres écologiques.
«Une économie qui partage la prospérité pour tout le monde», fait-il savoir, tout en estimant que le problème éco- nomique est aussi un problè- me démocratique. «Oui, en fait, il faut le repenser de manière critique.» A l’en croi- re d’ailleurs, le modèle actuel ne garantit ni la prospérité du plus grand nombre ni son bien-être. «Il ne réduit pas les vulnérabilités, ne donne pas d’emploi. Donc, repenser l’é- conomie, c’est alors articuler des besoins et des ressources dans une histoire, dans un territoire et dans un contexte. Et ça, on ne peut pas le faire en étant totalement extraver- ti», a-t-il laissé entendre. ousmane.sow@lequotidien.sn