Doyen d’âge des neuf tirailleurs de retour définitivement au Sénégal après la levée de l’obligation de la résidence alternée entre la France et le Sénégal le 28 avril dernier, Yoro Diao s’ouvre aux colonnes de Le Quotidien. Une toute première pour un média local, s’est réjoui le vétéran des guerres d’Indochine et d’Algérie, qui revient dans l’entretien sur son long parcours. De son enfance dans son Dagana natal à son retour définitif au pays au mois d’avril, en passant par son engagement dans les armées coloniale et sénégalaise, sans oublier de partager ses hauts faits d’armes au front en Indochine et en Algérie, le papy de 95 ans y va à fond. La situation précaire des autres anciens combattants ne le laisse pas non plus indifférent.   Enfance à Dagana

«Je porte le nom de mon grand-père et je suis né le 8 juillet 1928 à Dagana, où j’ai entamé mon cursus scolaire en 1935. A l’éclatement de la (2ème) Guerre mondiale en 1939, les instituteurs ont été mobilisés pour faire la guerre, c’étaient des Français. De 39 à 44, il n’y a pas ainsi eu d’études. Ça a redémarré avec le retour des instituteurs quand la guerre a commencé à finir. On était alors âgés de 15 ans et on devait faire l’entrée en 6ème. Après l’entrée en 6ème, j’ai été admis à l’Ecole des chemins de fer de Thiès pour suivre une formation comme ingénieur en chemin de fer. Quand j’y suis allé, l’école n’a pas marché et je suis allé à Saint Louis, où vivait mon oncle. J’ai alors demandé à mon oncle de m’inscrire dans une école privée. Je suis allé à l’école Bruyère et j’ai fait la 6ème et la 5ème, j’avais entre 17 et 18 ans. J’avais l’ambition à ce moment de poursuivre mes études en France et je me demandais comment faire pour y arriver. Je suis issu d’une famille de chefs. Mon père était chef de canton, c’est un promotionnaire de Ngalandou Diouf, il s’appelle Pierre Chimère. Son père s’appelle Yoro Diao dont il est le fils aîné, derrière 28 filles. Yoro Diao Boly Mbodji est en fait un historien, un égyptologue que presque tout le monde connaît au Sénégal.

Engagement dans l’Armée coloniale
Je ne pouvais donc pas avoir peur d’intégrer l’Armée. Mes cousins y sont allés et me chambraient en me disant «t’es un moins-que-rien» ; c’est ce qui m’a poussé à vouloir intégrer l’Armée. Le Conseil de décision m’a dit que j’étais trop faible et ne pouvais pas être militaire, lorsque je me suis présenté au recrutement. Je suis revenu l’année suivante et la même chose m’a encore été signifiée. Voulant coûte que coûte intégrer l’Armée, j’ai alors fait l’examen des infirmiers en 1948 et j’ai été admis à l’hôpital de Saint-Louis. A ce moment, les infirmiers faisaient une formation de deux ans. Moi, j’ai opté pour la partie chirurgie et j’ai fait 3 ans avec un brevet d’infirmier. Donc l’Armée aura forcément besoin de moi. Quand je suis venu en 1950 (pour le recrutement), je leur ai dit que voici mon diplôme et dès qu’ils l’ont vu, ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de mon profil. Ils m’ont sur le champ dit que je devrais aussi aller en Indochine. C’est comme ça que j’ai fait trois mois à Dakar-Bango, puis on m’a amené au Mali en début d’année 1951 pour parfaire mon service militaire et en fin d’année, j’ai été dirigé au détachement devant aller en Indochine. Je suis allé ainsi en France, où j’ai fait 6 mois, et en début d’année 1952, on a quitté la France pour l’Indochine. C’était une guerre de pacification, pas de domination, parce que l’Indochine était une colonie française.

Guerre en Indochine
En Indochine, j’étais au 2ème Bataillon du 24ème Régiment (de marche) des tirailleurs sénégalais. Nous n’étions pas stationnaires, nous ne faisions que marcher. Où qu’on soit, on y reste juste un moment avant de progresser. Y’a eu le passage à la frontière de la Chine avec Tonkin, où qu’on soit, c’est pour des manœuvres. Quand il y a une sécurisation, si des rebelles, aidés par les Japonais et les Russes, attaquent un poste, nous allons au secours. Si c’est à 100 km, nous y allons. En 1953, c’était mon baptême du feu, notre première attaque. La compagnie a perdu 30 hommes le même jour, et la moitié a été transportée par mon équipe de brancardage. Les combats ont été durs et les tirailleurs ont perdu beaucoup d’hommes face à des rebelles qui étaient lourdement armés. J’ai eu dans ce bataillon des croix de guerre pour acte de bravoure. Le séjour en Indochine, c’était pour deux ans, mais beaucoup de mes camarades ont été blessés et d’autres morts. Le séjour était terminé, mais la guerre non. J’y suis donc resté jusqu’en 1955, 4 ans donc. On a pris le bateau de Saigon à Marseille. Je suis retourné au pays cette même année. Après un congé de cinq mois, je suis allé à Thiès, puis à Saint-Louis où on m’a informé que je devais aller en Algérie. C’est comme ça que je suis allé en Algérie en 1956, mais j’avais le grade de Sergent (décroché en 1953) à mon retour d’Indochine.

Passage de diplômes en pleine guerre
J’ai travaillé dur pour passer Officier, mais dans l’infanterie, avec une certification dans l’infanterie. J’ai été affecté à la frontière entre l’Algérie et le Maroc comme Sergent au 22ème Régiment d’infanterie coloniale (Ric). Je suis venu avec mes décorations d’Indochine et on n’était pas nombreux dans ce cas au niveau de la compagnie. Un chef m’a remarqué et m’a dit que dans mes papiers, il est marqué infirmerie, donc que je devais aller rejoindre les hôpitaux. Il m’a dit que je ne pouvais même pas démonter un fusil 36.

C’est là-bas que j’ai préparé mon examen. Je suis venu à la capitale (Alger) au Centre d’instruction d’infanterie où j’ai fait mon premier degré Cat 2, le Certificat inter arme (Cia), B1 et B2 pour passer Officier. Je passais la nuit dans la salle pour étudier. C’est comme ça que je suis retourné à mon bataillon à la frontière, avec tous mes diplômes et disposant de toutes les connaissances de guerre et sur les armes. On a aussi perdu beaucoup de camarades. En partant en Algérie, on nous disait que ce n’était pas une guerre, mais une opération de maintien de l’ordre. Toutes les guerres se valent. Pendant la guerre d’Indochine, les militaires qui se battaient contre nous étaient lourdement armés. Le Jom sénégalais nous a maintenus dans nos actions. Chaque fois que c’était compliqué, on pensait toujours aux tirailleurs sénégalais qui ont un comportement exemplaire au combat comme en dehors du combat. C’est pourquoi on a eu beaucoup de morts et de blessés. On se battait pour la France, mais aussi pour faire honneur à notre pays, le Sénégal. On n’a pas de pension de l’Armée française ; j’y ai fait 9 ans, car je n’ai pas continué, parce que mon pays avait besoin de moi. J’avais des possibilités pour être Officier dans l’Armée française, mais j’ai quitté pour l’Armée sénégalaise.

Armée sénégalaise
Je suis retourné au Sénégal en 1958, on m’a affecté à Thiès et nommé Sergent-chef en 1958-1959, la Fédération du Mali a été créée et ils ont demandé qui voulaient la rejoindre. La France a mis à la disposition de la Fédération, des délinquants récupérés de prison qu’on a mis dans l’Armée de la Fédération. Je me suis rendu chez l’adjoint de Modibo Keïta et lui ai dit que tous les soldats qui ont été envoyés sont des délinquants qui viennent de prison. Modibo l’a dit à Senghor, précisant que c’est un certain Yoro Diao qui le lui a dit, et ils ont tous été renvoyés. Ma première médaille, je l’ai reçue d’ailleurs de Senghor en 1964. A l’éclatement de la Fédération, on a dit que ceux qui veulent retourner en France peuvent le faire. Je me suis porté volontaire pour servir la nouvelle Armée du Sénégal. Mes chefs dans l’Armée française ont voulu me retenir. Le Sénégal avait besoin de moi, donc je suis revenu dans l’Armée. Ceux qui sont restés dans l’Armée française gagnent plus de 2000 euros par mois (1 million 310 mille), moi j’ai touché 150 mille francs par mois. J’ai bien servi mon pays, je me suis sacrifié pour notre Armée. Je n’ai jamais demandé une pension d’invalidité et j’étais asthmatique. A ma retraite, une note venant de la France en 1986 nous est parvenue pour dire que tous les anciens combattants peuvent venir en France pour une prise en charge. Des types qui se sont battus pour la France, vous leur dites «vous n’avez pas le droit d’avoir la nationalité française», c’est une honte.

Ce que j’ai fait pour la France, je ne l’ai pas fait pour le Sénégal, en considérant les guerres. C’est comme ça qu’on est partis en France. Nous avions l’obligation de rester 6 mois chaque année là-bas pour disposer de notre allocation minimum vieillesse de 950 euros (623 mille francs Cfa). On était obligés ainsi de faire des allers-retours en payant à chaque fois 1000 euros (655 mille F Cfa), en permanence. On menait une vie difficile en France. Vivre sans ses enfants et petits-fils, vous imaginez ce que ça fait. Ce célibat auquel t’es contraint pose problème car tu dois préparer pour manger ou aller faire les courses. On te donne une chambre avec chauffage, mais dehors le froid te tue.

 Retour définitif au pays
Nous sommes heureux de rentrer, nous sommes 13, il y en a quatre qui ne sont pas venus. Les deux sont à Dakar et les deux autres en France. Je suis très heureux à mon âge d’être là ; comme ça, si je meurs, je serai entouré de ma famille. Dieu seul sait quand ce sera. C’est une joie indescriptible que d’être entouré de ses fils et petits-fils. Avant d’embarquer, le Président Macron nous a reçus. Il nous a dit : «Vous rentrez, mais n’oubliez pas que vous êtes Français. Œuvrez à raffermir les liens entre les deux pays. Quand vous êtes malades, revenez pour vous soigner, vous avez vos cartes et vous serez pris en charge. Ce départ, nous ne voudrions pas que ce soient des adieux, mais un simple au revoir pour que vous puissiez revenir assez souvent pour partager vos connaissances avec nos enfants.» Je lui ai dit : «Si vous continuez votre politique comme ça, vous allez perdre le Sénégal et ce sera un point très douloureux.
C’est ce que je dirai aussi à Macky Sall.» Les manuels scolaires qui parlent des anciens combattants ne sont pas sortis en France, au Sénégal non plus. Ce devait être le cas depuis longtemps.

Il faut que les gens apprennent l’histoire des tirailleurs, ce qu’a été leur mission, ainsi de suite. Il y a eu des morts à Dardanelles en Turquie, des Sénégalais ont combattu à Dardanelles lors de la 1ère Guerre et beaucoup y ont trouvé la mort. Y’a à Verdun, ceux qui ont combattu lors de la bataille du Chemin des Dames, et dans d’autres champs de bataille en France.

Accueil à Diass
On a été très bien accueillis, il y avait la musique des Forces armées. C’est après qu’on a rencontré le Président. Je lui ai parlé de mon service, de ma démission de l’Armée française. Le Président Macky Sall a dit qu’il a entendu nos paroles et nous a félicités. Il a dit qu’il va veiller sur nous, afin que notre retour se passe dans les meilleures conditions. A la sortie, on a eu la couronne qui nous élève à l’Ordre de dignitaires de l’Etat, et la pendante en vert et un disque argent et or, c’est notre médaille nationale. Quand tu reviens avec des faits d’armes importants, on te célèbre. On nous a célébrés à notre arrivée. Il y a cependant une chose que l’on attend. A ma retraite, je ne gagnais pas beaucoup, donc c’était difficile de gérer les charges familiales alors que j’étais Adjudant-chef. Y’en a parmi les anciens combattants qui perçoivent moins de 50 mille francs. Cette situation doit être réglée. S’ils n’étaient pas allés en France, ils allaient mourir, et rien que la misère morale les aurait tués. On a perdu beaucoup de camarades à cause de la misère morale.

Prise en charge, un autre défi
Je crois que le Président est en train de se pencher sur le problème des anciens combattants. Lors de l’accueil, il a demandé au ministre des Forces armées de s’occuper de nous, de tous nos besoins. Depuis lors, on attend. On s’est rencontrés hier (l’entretien s’est déroulé samedi passé), nous ne sommes plus des bébés car le moins âgé d’entre nous à 90 ans. On a pris un rapporteur pour harmoniser nos positions et interpréter les choses clairement. Nous avons dit que ce qui nous intéresse, c’est notre installation au pays. Chacun a ses besoins et nous voulons les porter de vive voix au Président. Deuxièmement, notre prise en charge sanitaire, car les cartes que nous avons ramenées sont valables juste en France, et on voudrait que la prise en charge soit des meilleures, compte tenu de notre état de santé. On veut que le gouvernement nous délivre des cartes pour qu’on puisse aller dans les meilleures cliniques du pays, parce que nous avons des maladies qui ne sont pas contagieuses mais qui sont devenues des tares, qui donnent des invalidités, y en a parmi nous qui ont le diabète ou la dysenterie, et il faut donc une bonne prise en charge sanitaire compte tenu surtout de leur âge.

Nous sommes aussi tous prostatiques, d’ailleurs beaucoup d’anciens combattants sont morts avec l’ablation de la prostate. En France, il n’y a aucun problème pour ce genre d’opérations. Nous devons être questionnés sur nos besoins moraux et penser à nos autres frères anciens combattants qui sont dans l’embarras continuel. Donc nous avons écouté le président de la République, il a dit au ministre de nous prendre en charge. Nous sommes venus le 28 avril, le 3 mai, le Président ne nous a pas appelés, mais il nous a mis en rapport avec le ministre des Forces armées pour qu’il nous reçoive et nous écoute, et jusqu’au 12 mai, on n’a rien vu. C’est pourquoi on a dit qu’il fallait se lever. On lui (ministre des Forces armées) a dépêché un émissaire par le biais de son aide de camp et son chef de bureau et ils nous ont dit qu’ils vont nous écrire, mais rien jusque-là. Ce que nous voulons désormais, c’est une audience exceptionnelle avec le Président Macky Sall pour exposer nos problèmes et ceux de tous les anciens combattants. Certes nous avons besoin de rencontrer le ministre des Forces armées, mais nous avons plus besoin de rencontrer le président de la République.»

Enfance à Dagana
«Je porte le nom de mon grand-père et je suis né le 8 juillet 1928 à Dagana, où j’ai entamé mon cursus scolaire en 1935. A l’éclatement de la (2ème) Guerre mondiale en 1939, les instituteurs ont été mobilisés pour faire la guerre, c’étaient des Français. De 39 à 44, il n’y a pas ainsi eu d’études. Ça a redémarré avec le retour des instituteurs quand la guerre a commencé à finir. On était alors âgés de 15 ans et on devait faire l’entrée en 6ème. Après l’entrée en 6ème, j’ai été admis à l’Ecole des chemins de fer de Thiès pour suivre une formation comme ingénieur en chemin de fer. Quand j’y suis allé, l’école n’a pas marché et je suis allé à Saint Louis, où vivait mon oncle. J’ai alors demandé à mon oncle de m’inscrire dans une école privée. Je suis allé à l’école Bruyère et j’ai fait la 6ème et la 5ème, j’avais entre 17 et 18 ans. J’avais l’ambition à ce moment de poursuivre mes études en France et je me demandais comment faire pour y arriver. Je suis issu d’une famille de chefs. Mon père était chef de canton, c’est un promotionnaire de Ngalandou Diouf, il s’appelle Pierre Chimère. Son père s’appelle Yoro Diao dont il est le fils aîné, derrière 28 filles. Yoro Diao Boly Mbodji est en fait un historien, un égyptologue que presque tout le monde connaît au Sénégal.

Engagement dans l’Armée coloniale
Je ne pouvais donc pas avoir peur d’intégrer l’Armée. Mes cousins y sont allés et me chambraient en me disant «t’es un moins-que-rien» ; c’est ce qui m’a poussé à vouloir intégrer l’Armée. Le Conseil de décision m’a dit que j’étais trop faible et ne pouvais pas être militaire, lorsque je me suis présenté au recrutement. Je suis revenu l’année suivante et la même chose m’a encore été signifiée. Voulant coûte que coûte intégrer l’Armée, j’ai alors fait l’examen des infirmiers en 1948 et j’ai été admis à l’hôpital de Saint-Louis. A ce moment, les infirmiers faisaient une formation de deux ans. Moi, j’ai opté pour la partie chirurgie et j’ai fait 3 ans avec un brevet d’infirmier. Donc l’Armée aura forcément besoin de moi. Quand je suis venu en 1950 (pour le recrutement), je leur ai dit que voici mon diplôme et dès qu’ils l’ont vu, ils m’ont dit qu’ils avaient besoin de mon profil. Ils m’ont sur le champ dit que je devrais aussi aller en Indochine. C’est comme ça que j’ai fait trois mois à Dakar-Bango, puis on m’a amené au Mali en début d’année 1951 pour parfaire mon service militaire et en fin d’année, j’ai été dirigé au détachement devant aller en Indochine. Je suis allé ainsi en France, où j’ai fait 6 mois, et en début d’année 1952, on a quitté la France pour l’Indochine. C’était une guerre de pacification, pas de domination, parce que l’Indochine était une colonie française.

Guerre en Indochine
En Indochine, j’étais au 2ème Bataillon du 24ème Régiment (de marche) des tirailleurs sénégalais. Nous n’étions pas stationnaires, nous ne faisions que marcher. Où qu’on soit, on y reste juste un moment avant de progresser. Y’a eu le passage à la frontière de la Chine avec Tonkin, où qu’on soit, c’est pour des manœuvres. Quand il y a une sécurisation, si des rebelles, aidés par les Japonais et les Russes, attaquent un poste, nous allons au secours. Si c’est à 100 km, nous y allons. En 1953, c’était mon baptême du feu, notre première attaque. La compagnie a perdu 30 hommes le même jour, et la moitié a été transportée par mon équipe de brancardage. Les combats ont été durs et les tirailleurs ont perdu beaucoup d’hommes face à des rebelles qui étaient lourdement armés. J’ai eu dans ce bataillon des croix de guerre pour acte de bravoure. Le séjour en Indochine, c’était pour deux ans, mais beaucoup de mes camarades ont été blessés et d’autres morts. Le séjour était terminé, mais la guerre non. J’y suis donc resté jusqu’en 1955, 4 ans donc. On a pris le bateau de Saigon à Marseille. Je suis retourné au pays cette même année. Après un congé de cinq mois, je suis allé à Thiès, puis à Saint-Louis où on m’a informé que je devais aller en Algérie. C’est comme ça que je suis allé en Algérie en 1956, mais j’avais le grade de Sergent (décroché en 1953) à mon retour d’Indochine.

Passage de diplômes en pleine guerre
J’ai travaillé dur pour passer Officier, mais dans l’infanterie, avec une certification dans l’infanterie. J’ai été affecté à la frontière entre l’Algérie et le Maroc comme Sergent au 22ème Régiment d’infanterie coloniale (Ric). Je suis venu avec mes décorations d’Indochine et on n’était pas nombreux dans ce cas au niveau de la compagnie. Un chef m’a remarqué et m’a dit que dans mes papiers, il est marqué infirmerie, donc que je devais aller rejoindre les hôpitaux. Il m’a dit que je ne pouvais même pas démonter un fusil 36.

C’est là-bas que j’ai préparé mon examen. Je suis venu à la capitale (Alger) au Centre d’instruction d’infanterie où j’ai fait mon premier degré Cat 2, le Certificat inter arme (Cia), B1 et B2 pour passer Officier. Je passais la nuit dans la salle pour étudier. C’est comme ça que je suis retourné à mon bataillon à la frontière, avec tous mes diplômes et disposant de toutes les connaissances de guerre et sur les armes. On a aussi perdu beaucoup de camarades. En partant en Algérie, on nous disait que ce n’était pas une guerre, mais une opération de maintien de l’ordre. Toutes les guerres se valent. Pendant la guerre d’Indochine, les militaires qui se battaient contre nous étaient lourdement armés. Le Jom sénégalais nous a maintenus dans nos actions. Chaque fois que c’était compliqué, on pensait toujours aux tirailleurs sénégalais qui ont un comportement exemplaire au combat comme en dehors du combat. C’est pourquoi on a eu beaucoup de morts et de blessés. On se battait pour la France, mais aussi pour faire honneur à notre pays, le Sénégal. On n’a pas de pension de l’Armée française ; j’y ai fait 9 ans, car je n’ai pas continué, parce que mon pays avait besoin de moi. J’avais des possibilités pour être Officier dans l’Armée française, mais j’ai quitté pour l’Armée sénégalaise.

Armée sénégalaise
Je suis retourné au Sénégal en 1958, on m’a affecté à Thiès et nommé Sergent-chef en 1958-1959, la Fédération du Mali a été créée et ils ont demandé qui voulaient la rejoindre. La France a mis à la disposition de la Fédération, des délinquants récupérés de prison qu’on a mis dans l’Armée de la Fédération. Je me suis rendu chez l’adjoint de Modibo Keïta et lui ai dit que tous les soldats qui ont été envoyés sont des délinquants qui viennent de prison. Modibo l’a dit à Senghor, précisant que c’est un certain Yoro Diao qui le lui a dit, et ils ont tous été renvoyés. Ma première médaille, je l’ai reçue d’ailleurs de Senghor en 1964. A l’éclatement de la Fédération, on a dit que ceux qui veulent retourner en France peuvent le faire. Je me suis porté volontaire pour servir la nouvelle Armée du Sénégal. Mes chefs dans l’Armée française ont voulu me retenir. Le Sénégal avait besoin de moi, donc je suis revenu dans l’Armée. Ceux qui sont restés dans l’Armée française gagnent plus de 2000 euros par mois (1 million 310 mille), moi j’ai touché 150 mille francs par mois. J’ai bien servi mon pays, je me suis sacrifié pour notre Armée. Je n’ai jamais demandé une pension d’invalidité et j’étais asthmatique. A ma retraite, une note venant de la France en 1986 nous est parvenue pour dire que tous les anciens combattants peuvent venir en France pour une prise en charge. Des types qui se sont battus pour la France, vous leur dites «vous n’avez pas le droit d’avoir la nationalité française», c’est une honte.

Ce que j’ai fait pour la France, je ne l’ai pas fait pour le Sénégal, en considérant les guerres. C’est comme ça qu’on est partis en France. Nous avions l’obligation de rester 6 mois chaque année là-bas pour disposer de notre allocation minimum vieillesse de 950 euros (623 mille francs Cfa). On était obligés ainsi de faire des allers-retours en payant à chaque fois 1000 euros (655 mille F Cfa), en permanence. On menait une vie difficile en France. Vivre sans ses enfants et petits-fils, vous imaginez ce que ça fait. Ce célibat auquel t’es contraint pose problème car tu dois préparer pour manger ou aller faire les courses. On te donne une chambre avec chauffage, mais dehors le froid te tue.

Retour définitif au pays
Nous sommes heureux de rentrer, nous sommes 13, il y en a quatre qui ne sont pas venus. Les deux sont à Dakar et les deux autres en France. Je suis très heureux à mon âge d’être là ; comme ça, si je meurs, je serai entouré de ma famille. Dieu seul sait quand ce sera. C’est une joie indescriptible que d’être entouré de ses fils et petits-fils. Avant d’embarquer, le Président Macron nous a reçus. Il nous a dit : «Vous rentrez, mais n’oubliez pas que vous êtes Français. Œuvrez à raffermir les liens entre les deux pays. Quand vous êtes malades, revenez pour vous soigner, vous avez vos cartes et vous serez pris en charge. Ce départ, nous ne voudrions pas que ce soient des adieux, mais un simple au revoir pour que vous puissiez revenir assez souvent pour partager vos connaissances avec nos enfants.» Je lui ai dit : «Si vous continuez votre politique comme ça, vous allez perdre le Sénégal et ce sera un point très douloureux.
C’est ce que je dirai aussi à Macky Sall.» Les manuels scolaires qui parlent des anciens combattants ne sont pas sortis en France, au Sénégal non plus. Ce devait être le cas depuis longtemps.

Il faut que les gens apprennent l’histoire des tirailleurs, ce qu’a été leur mission, ainsi de suite. Il y a eu des morts à Dardanelles en Turquie, des Sénégalais ont combattu à Dardanelles lors de la 1ère Guerre et beaucoup y ont trouvé la mort. Y’a à Verdun, ceux qui ont combattu lors de la bataille du Chemin des Dames, et dans d’autres champs de bataille en France.

Accueil à Diass
On a été très bien accueillis, il y avait la musique des Forces armées. C’est après qu’on a rencontré le Président. Je lui ai parlé de mon service, de ma démission de l’Armée française. Le Président Macky Sall a dit qu’il a entendu nos paroles et nous a félicités. Il a dit qu’il va veiller sur nous, afin que notre retour se passe dans les meilleures conditions. A la sortie, on a eu la couronne qui nous élève à l’Ordre de dignitaires de l’Etat, et la pendante en vert et un disque argent et or, c’est notre médaille nationale. Quand tu reviens avec des faits d’armes importants, on te célèbre. On nous a célébrés à notre arrivée. Il y a cependant une chose que l’on attend. A ma retraite, je ne gagnais pas beaucoup, donc c’était difficile de gérer les charges familiales alors que j’étais Adjudant-chef. Y’en a parmi les anciens combattants qui perçoivent moins de 50 mille francs. Cette situation doit être réglée. S’ils n’étaient pas allés en France, ils allaient mourir, et rien que la misère morale les aurait tués. On a perdu beaucoup de camarades à cause de la misère morale.

Prise en charge, un autre défi
Je crois que le Président est en train de se pencher sur le problème des anciens combattants. Lors de l’accueil, il a demandé au ministre des Forces armées de s’occuper de nous, de tous nos besoins. Depuis lors, on attend. On s’est rencontrés hier (l’entretien s’est déroulé samedi passé), nous ne sommes plus des bébés car le moins âgé d’entre nous à 90 ans. On a pris un rapporteur pour harmoniser nos positions et interpréter les choses clairement. Nous avons dit que ce qui nous intéresse, c’est notre installation au pays. Chacun a ses besoins et nous voulons les porter de vive voix au Président. Deuxièmement, notre prise en charge sanitaire, car les cartes que nous avons ramenées sont valables juste en France, et on voudrait que la prise en charge soit des meilleures, compte tenu de notre état de santé. On veut que le gouvernement nous délivre des cartes pour qu’on puisse aller dans les meilleures cliniques du pays, parce que nous avons des maladies qui ne sont pas contagieuses mais qui sont devenues des tares, qui donnent des invalidités, y en a parmi nous qui ont le diabète ou la dysenterie, et il faut donc une bonne prise en charge sanitaire compte tenu surtout de leur âge.

Nous sommes aussi tous prostatiques, d’ailleurs beaucoup d’anciens combattants sont morts avec l’ablation de la prostate. En France, il n’y a aucun problème pour ce genre d’opérations. Nous devons être questionnés sur nos besoins moraux et penser à nos autres frères anciens combattants qui sont dans l’embarras continuel. Donc nous avons écouté le président de la République, il a dit au ministre de nous prendre en charge. Nous sommes venus le 28 avril, le 3 mai, le Président ne nous a pas appelés, mais il nous a mis en rapport avec le ministre des Forces armées pour qu’il nous reçoive et nous écoute, et jusqu’au 12 mai, on n’a rien vu. C’est pourquoi on a dit qu’il fallait se lever. On lui (ministre des Forces armées) a dépêché un émissaire par le biais de son aide de camp et son chef de bureau et ils nous ont dit qu’ils vont nous écrire, mais rien jusque-là. Ce que nous voulons désormais, c’est une audience exceptionnelle avec le Président Macky Sall pour exposer nos problèmes et ceux de tous les anciens combattants. Certes nous avons besoin de rencontrer le ministre des Forces armées, mais nous avons plus besoin de rencontrer le président de la République.»
Par Alioune Badara NDIAYE-abndiaye@lequotidien.sn