Il y a quelques jours, je me promenais au bord de la corniche, à hauteur de l’université Cheikh Anta Diop, tard la nuit. J’y croisai des étudiants qui révisaient leurs cours sous un lampadaire. Les dépassant, je revins sur mes pas pour entamer une conversation avec eux. Quelle soif de réussite sentais-je en eux ! En dépit des conditions difficiles, ils ne perdent pas l’espoir de s’accomplir.
Ces étudiants ne demandent qu’à être aidés. Ils ne veulent pas que l’Etat fasse tout pour eux mais leur assure le minimum : de bonnes conditions d’études d’abord, ensuite une assurance raisonnable qu’ils auront la chance de s’insérer demain dans le monde du travail ou de pouvoir entreprendre.
J’ai toujours cru en l’égalité des chances. Aussi admiré-je les pays scandinaves, connus pour leur Etat-providence. Cela ne rend pas pour autant leurs citoyens paresseux. Au contraire, déchargés des soucis comme l’accès à l’éducation, aux soins sanitaires, leurs habitants peuvent se concentrer sur le développement de leurs talents.
Cette année, le Sénégal fêtera le soixante-unième anniversaire de son accession à l’indépendance. Il y a plusieurs accomplissements dont le Sénégal et les Sénégalais peuvent et doivent être fiers. C’est le vivre-ensemble, c’est l’idée que le Sénégal constitue une Nation, c’est l’absence de coups d’Etat, c’est cette capacité à trouver des solutions pacifiques aux problèmes et non s’entre-tuer. Toutes ces choses-là me rendent très fier d’être Sénégalais et me font prendre conscience de la chance que j’ai de faire partie de cette grande Nation.
Aujourd’hui, le défi est de créer les conditions afin que les Sénégalais voient le Sénégal comme un pays qui les fait rêver, un pays où ils peuvent rester et s’y accomplir.
Je racontais plus haut ma rencontre avec des étudiants sénégalais. Leurs conditions d’études difficiles font qu’ils ont envie de quitter le pays. Je ne peux que leur donner raison. Il est du devoir d’un Etat de mettre les étudiants dans les meilleures conditions d’études. Il y va aussi de son intérêt : des étudiants qui étudient dans de bonnes conditions sont des étudiants créatifs, des étudiants qui développent leurs talents. Demain c’est tout le Sénégal qui en profitera. Les émeutes du mois de mars ne sont que la conséquence du manque de perspective, du dénouement, du désespoir de la jeunesse sénégalaise.
Rien ne justifie l’agression d’une personne et le dépouillement de ses biens, rien ne justifie les saccages des magasins lors des récentes émeutes qui se sont déroulées dans notre pays. Je crois qu’ils sont dus au chômage. Il est désolant de voir toute une jeunesse rater sa vie parce qu’elle ne trouve pas de travail. J’ai vu des personnes obtenir leurs diplômes depuis des années et ne pas avoir, ne serait-ce qu’un stage non rémunéré.
Imaginez la frustration de ces personnes. N’est-il pas normal que l’eldorado européen les attire tant – la recrudescence de l’émigration clandestine en 2020 en est la preuve. Le travail représente la dignité d’une personne. C’est tellement vrai qu’une personne au chômage perd confiance en elle-même, manque d’estime d’elle-même, voit la vie en noir.
Beaucoup d’Etats dépourvus de ressources naturelles, se sont développés en investissant dans l’éducation. Singapour n’est devenu riche que grâce aux talents de ses habitants. Sans cela, elle serait restée une terre pauvre, qui ne compterait pas dans le monde.
Le Sénégal doit comprendre cela : il doit mettre ses élèves et étudiants dans des conditions de réussite propices. Une Nation éduquée est une Nation sûre d’elle-même, entreprenante et créative. En réussissant à devenir une telle Nation, le Sénégal se rapprocherait de l’égalité des chances : très peu de Sénégalais souhaitent inscrire leurs enfants dans des universités publiques parce que les chances d’y réussir sont moindres. En permettant à chaque Sénégalais de pouvoir étudier dans de bonnes conditions, l’Etat éliminerait les inégalités dues aux conditions sociales. Pensons-nous que l’élève de Koumpentoum a les mêmes chances de réussite que celui des Maristes ? C’est le rôle d’un Etat de corriger cela.
Chaque fois qu’une nouvelle affaire de corruption surgit dans la presse, les Sénégalais ressentent un malaise : il semble y avoir une oligarchie de politiciens qui s’enrichit, sans que cet enrichissement ne soit justifié. En tant que travailleur qui paie l’impôt, je m’indigne quand je lis dans la presse des histoires de détournement de fonds publics. Un pays corrompu est un pays où les habitants ne respecteront pas l’autorité de l’Etat, douteront toujours de sa parole et ne lui feront pas confiance. Si je faisais un sondage, faites-vous confiance à l’Etat, nul doute que les réponses négatives seraient majoritaires, et certainement de loin. Une étape importante pour créer un meilleur Sénégal est de lutter contre la corruption, et très sévèrement.
Je lis souvent dans la presse que telle personnalité publique est partie se soigner en France ou en Suisse. C’est un mauvais signe quand les personnalités publiques dédaignent leur système de santé : cela veut dire qu’il est mauvais. Effectivement celui du Sénégal n’est pas bon : des patients ne sont pas soignés, faute de moyens. Certains renoncent à aller dans les hôpitaux parce qu’ils ne pourront payer. Je lis de temps à autre dans les journaux des histoires de personnes décédées parce qu’on a refusé de les soigner.
Il est encore du rôle d’un Etat de corriger cela. La santé est un droit. Elle demande des investissements. Ces investissements obtiendront un retour très élevé : un Peuple bien soigné est un Peuple productif. Le Sénégal peut s’inspirer du système en vigueur en Europe : une couverture pour tous et toutes, des hôpitaux bien fournis.
Aussi les encourager à entreprendre. L’époque où l’idéal était un emploi dans un bureau est révolue. Le monde regorge tellement d’opportunités inexploitées. Les occasions sont au coin des rues. Il faut aider les Sénégalais à se structurer et à leur faire aimer le risque. J’ai déjà connu un échec entrepreneurial, et j’en suis très fier.
Ce sont ces défis qui attendent le Sénégal, et qui feront qu’il sera un endroit de rêve pour les Sénégalais. C’est mettre les élèves et étudiants sénégalais dans les meilleures conditions pour qu’ils réussissent. C’est assurer à tout Sénégalais l’accès aux soins. C’est créer les conditions pour que chaque Sénégalais puisse trouver du travail ou entreprendre.
Tout n’est pas du ressort de l’Etat mais il doit créer les conditions favorables à l’épanouissement de ses habitants, il doit entreprendre des actions pour se rapprocher de l’égalité des chances. Ferait-il cela, il donnerait confiance à ses habitants. Ses derniers sauront qu’ils peuvent rester dans leur pays et y réussir leur vie.
C’est ma vision du Sénégal des prochaines années : un pays équitable, entreprenant, sûr de lui-même, influent dans le monde, dispensateur d’aide au développement et non quémandeur. C’est à nous Sénégalais de mettre en œuvre cette vision. Si chaque Sénégalais sait qu’il peut s’élever, peu importe sa condition sociale, il développera son talent, il entreprendra. Demain c’est tout le pays qui en profitera. Ce sont ces défis que doit relever le Sénégal, et comme toujours, il le peut s’il s’en donne les moyens.
Moussa SYLLA