Il nous est revenu une commande pédagogique consistant à dérouler des cours sur les Tirailleurs sénégalais, qui représentent un pan important de l’histoire de l’Afrique. Au nom de l’interdisciplinarité et de la diversité des savoirs, une dimension essentielle de la pédagogie, toutes les disciplines devaient être impliquées. Car on ne peut pas circonscrire la figure symbolique et historique du Tirailleur à la seule sphère de l’histoire. En effet, en littérature, revient en force la geste des Tirailleurs. Nul mieux que Senghor ne révèle le Tirailleur aux Africains et au reste du monde. Dans la mesure où le «Nègre hellène» (Jacqueline Sorel) rend un vibrant hommage à ses frères d’armes. Le chant entonné à l’honneur du Tirailleur par le chantre de la Négritude est d’autant plus retentissant et émouvant que Senghor lui-même est un témoin oculaire de l’implication des soldats noirs dans la guerre 39-45. Dans Hosties noires, ce titre au symbolisme chrétien, Senghor peint de la façon la plus magnifique le sacrifice suprême des Tirailleurs, refuse que l’Occident prétende les «enterrer furtivement». En usant des métonymies «glace» et «mort», l’enfant prodigue du Sine décrit les épreuves qu’endurèrent ces braves enfants de l’Afrique qui ont participé à la croisade contre les forces du mal dirigées par des pouvoirs racistes et totalitaires.

Il serait utile de rappeler que l’hommage rendu par Senghor à ses frères d’armes, les Tirailleurs, est antérieur au massacre de Thiaroye, cette balafre sur le visage de l’histoire. C’est dire que le poète de la Négritude est un visionnaire, un homme avisé très attaché au Peuple noir dont il a porté les revendications légitimes et les aspirations profondes. Senghor refuse également que les autres chantent le Tirailleur à sa place, lui qui fut leur compagnon de misère, leur djali. Aussi bien au début qu’à la fin du poème, Senghor clame haut et fort cet engagement de célébrer ses frères. Aussi écrit- il : «Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang/Vous Tirailleurs sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ?» A travers ces deux versets, l’on s’aperçoit aisément que Senghor s’autoproclame le porte- parole de ses frères d’armes dont il salue la tendresse et les sacrifices énormes consentis pour l’humanité, mais également pour le Peuple noir. Rappelons qu’au sortir de la guerre, l’on assiste à une vaste entreprise de démystification et de démythification de l’homme blanc. Est suscitée une prise de conscience qui débouche sur l’irréversible revendication de l’indépendance des pays africains.

L’étude de ce poème en classe aura le mérite de permettre aux élèves de s’approprier la glorieuse histoire des Tirailleurs, de pouvoir construire leur propre narratif sur nos ancêtres qui n’ont jamais été en reste pour hisser le drapeau de la dignité humaine, de l’universalité et de la bravoure. Mais aussi, lire Senghor, c’est, pour nous, éprouver un sentiment de fierté pour le Noir, son histoire et ses actes héroïques. Nos Tirailleurs ont joué un rôle prépondérant dans la guerre pour avoir fait preuve de sacrifice, de hardiesse et surtout de solidarité envers l’homme blanc, bien que la colonisation les ait desservis.
El Hadji Ibrahima MBOUP
Professeur de lettres au Lycée Talibou Dabo
Petit-fils de Tirailleur