Contrôle de vie des retraités : la logistique ne doit jamais dépasser la dignité

Le respect dû aux retraités est un principe simple, évident, presque sacré. Ceux qui ont servi l’Etat pendant trente ou quarante ans ne devraient jamais être soumis à des procédures qui ignorent leurs fragilités, leurs conditions de vie ou leur âge avancé.
La note récemment publiée, invitant l’ensemble des pensionnés à se rendre au Stade Léopold Sédar Senghor pour le contrôle de vie et l’enrôlement biométrique, révèle une bonne intention administrative, mais une exécution qui pose de graves questions. Des questions de logistique certes, mais surtout de dignité humaine.
Un lieu inadapté pour le troisième âge
Le stade est-il vraiment l’endroit le plus approprié pour accueillir des milliers de personnes âgées ? Rien n’est précisé :
L’opération se fera-t-elle à l’intérieur ou à l’extérieur ?
Y’aura-t-il des places assises, à l’ombre, pour des files d’attente potentiellement interminables ?
Un dispositif médical sera-t-il prévu en cas de malaise, fréquent à cet âge ?
Le troisième âge ne se gère pas comme un rassemblement sportif. Il se respecte, il se protège, il s’accompagne.
L’oubli des maladies chroniques
A cet âge, personne n’ignore l’importance du diabète, de l’hypertension, de la prostate, des insuffisances cardiaques, des difficultés respiratoires, des pertes d’équilibre. Or, rien ne montre que ces réalités ont été intégrées.
Un retraité n’est pas seulement un numéro de pension. C’est un corps fatigué, parfois fragile, souvent malade. C’est aussi une mobilité réduite, un souffle court, une démarche hésitante.
Les inviter à se déplacer sans garantie, sans précaution, sans dispositif adapté, c’est oublier ce que signifie vieillir.
La diaspora interne des retraités
Beaucoup de retraités, une fois libérés du travail, retournent dans leur village d’origine : Kaolack, Podor, Kolda, Fatick, Tambacounda, Matam… Pour eux, se rendre à Dakar -même pour une procédure obligatoire- signifie des heures de route, des dépenses importantes, des risques sanitaires.
La note ne dit rien sur :
la prise en charge des retraités vivant hors de Dakar ;
les possibilités d’enrôlement dans les régions ou départements ; les alternatives pour ceux qui ne peuvent se déplacer du tout. Un dispositif national ne peut ignorer la réalité nationale.
La grande question des non-mobiles
Que fera-t-on des personnes âgées alitées, hospitalisées, amputées, en fauteuil roulant, ou simplement trop faibles pour un déplacement ?
Y’aura-t-il :
une équipe mobile ?
un mécanisme de mandataire encadré ?
une procédure à domicile pour les plus de 80 ans ?
On ne peut pas demander l’impossible à ceux qui ont déjà donné le meilleur d’eux-mêmes.
Décentraliser pour humaniser
Le Sénégal compte 552 communes. Pourquoi concentrer l’opération dans un seul lieu ?
Les solutions existent :
enrôlement dans les mairies, préfectures, sous-préfectures, centres sociaux ;
inscription en ligne ou pré-enrôlement numérique ;
équipes mobiles pour les seniors fragiles ; périodes étalées dans les départements pour éviter l’engorgement.
Décentraliser n’est pas seulement une question d’efficacité : c’est une question de respect.
L’Administration gagne en modernité quand elle gagne en humanité
Le contrôle de vie et la biométrie sont des outils modernes, légitimes et nécessaires pour sécuriser les pensions. Mais leur réussite repose sur un principe simple :
Ne jamais sacrifier la dignité sur l’autel de la procédure.
Le retraité n’est pas un usager comme les autres. C’est un aîné, parfois fragile, toujours respectable. C’est une mémoire vivante, un témoin de l’histoire, une richesse nationale.
Organiser leur enrôlement doit donc répondre à trois exigences : clarté, accessibilité et humanité. Pour un dispositif qui honore nos aînés
Nous demandons :
une clarification des conditions d’accueil ; l’intégration des réalités médicales ; une prise en compte des non-mobiles ; une décentralisation à l’échelle des communes ; des solutions numériques pour réduire les déplacements.
Un pays ne se mesure pas seulement à ses routes, à ses lois ou à ses plans numériques. Il se mesure d’abord à la façon dont il traite ses anciens. Ceux qui ont bâti, enseigné, soigné, protégé, cultivé, administré, servi -souvent dans l’ombre, toujours dans la dignité.
Le contrôle de vie n’est pas un acte administratif : c’est un rendez-vous moral avec notre mémoire collective. Et si ce rendez-vous se fait sans précaution, sans égard, sans humanité, alors c’est nous-mêmes que nous trahissons. Nous oublions trop vite que demain, chacun de nous deviendra retraité. Chacun aura un jour besoin d’une chaise, d’une ombre, d’une main tendue, d’un geste simple qui dit : «Vous comptez encore.»
Respecter les retraités, ce n’est pas un choix : c’est un devoir.
Un devoir envers nos parents.
Un devoir envers notre Nation.
Un devoir envers nous-mêmes.
Parce qu’un pays qui honore ses anciens s’honore lui-même.
Et un pays qui les néglige commence déjà à vieillir mal.
Il est encore temps de choisir la voie de la dignité pour eux et pour nous. Pour ce Sénégal que nous voulons transmettre -debout, juste, humain.
Samba GUISSE
Tisserand du Savoir

