Coup de gueule : Les Américains devraient d’abord balayer devant leur porte !

Dans le concert des protestations provoqué par la décision des autorités sénégalaises de reporter l’élection présidentielle jusqu’en décembre, il y a eu la prestation du Département d’Etat américain, l’équivalent du ministère des Affaires étrangères. Le porte-parole de Anthony Blinken dit que les Etats-Unis sont «profondément préoccupés par les mesures prises pour retarder l’élection présidentielle du 25 février au Sénégal, qui vont à l’encontre de la forte tradition démocratique du Sénégal». M. Matthew Miller estime que les troubles qui ont émaillé le vote le jour du report à l’Assemblée nationale, ont fait que l’on a eu «un vote à l’Assemblée nationale qui ne peut être considéré comme légitime compte tenu des conditions dans lesquelles il s’est déroulé».
Tout le monde vante toujours la qualité de la démocratie américaine, réputation due principalement à la capacité de propagande de ses citoyens, qui veulent faire avaler à tous que leur «american way of life» est la meilleure du monde, que leur démocratie est portée par des valeurs les plus dignes, qu’ils s’efforcent de partager avec tous leurs «amis et alliés». On voit en pratique, comment se passent ces choses.
Ainsi, Matthew Miller ainsi que son patron, Blinken, ne sont pas montés au créneau pour dénoncer la décision de leur comparse Volodimyr Zelensky de reporter aux calendes ukrainiennes l’élection présidentielle qui devrait se tenir dans son pays cette année. M. Zelensky a sorti le prétexte de la guerre avec la Russie pour dire que l’élection (qu’il a qualifiée de farce) pourrait affaiblir son pays dans la guerre. Le plus drôle est que l’ennemi russe, dirigé par le «dictateur Poutine», lui, entend bien tenir sa Présidentielle cette année, malgré le conflit qui l’oppose à l’Ukraine. Mais là, la rengaine est que le dictateur s’est donné le moyen de gagner sans coup férir… Mais s’il ne s’agissait que de cela.
L’Administration Biden, qui semble avoir hésité à qualifier la situation politique du pays de coup d’Etat, et qui exhorte à la reprise du processus électoral, n’a jamais eu aucun mot pour condamner le coup de force du Général Abdourahmane Tiani au Niger. Malgré les pressions amicales de leur allié Macron ou les pressantes exhortations de la Cedeao à laquelle ils font aujourd’hui appel pour s’en prendre à Macky Sall, les Américains se sont juste contentés de se plaindre du «coup de force» des militaires nigériens, qu’ils n’ont jamais voulu assimiler à un putsch.
Cela, pour la raison toute simple que qualifier les militaires nigériens de putschistes aurait entraîné la rupture de toute relation diplomatique et l’arrêt de toute assistance à ce pouvoir devenu ainsi «illégitime». Or, dans leur «lutte contre le djihadisme armé au Sahel», les Américains ont installé leur plus grosse base de drones militaires au Niger, et ils n’ont pas l’intention de la retirer. Et s’il faut marcher sur ses principes pour cela, il n’y a pas à hésiter.
Tout cela pour dire que la fierté et l’amour propre des Sénégalais devraient les conduire à relativiser les critiques qui viennent de l’étranger. Ne pas approuver ce que le Président Sall a fait le 3 février dernier ne doit pas nous pousser à croire que notre système politique a des leçons à recevoir de n’importe qui. Surtout des pays qui, eux, malgré leur réputation, ont aussi besoin de balayer devant leur porte. N’oublions pas que nous parlons du pays où un Président a refusé de reconnaître les résultats des élections et demandé à ses partisans d’aller occuper le Congrès pour contraindre les parlementaires à ne pas installer son successeur. Un pays où les chances d’être élu dépendent grandement de la capacité financière des candidats.
Il est vrai que c’est notre classe politique qui est à la base de toutes ces infamies. Ceux qui ont tendance à crier le plus fort leur volonté de renforcer l’indépendance du pays, sont les plus rapides à mettre à contribution les «partenaires étrangers» pour non seulement dénoncer les travers de leurs adversaires locaux, mais surtout pour qu’ils contribuent financièrement à leurs efforts pour obtenir le pouvoir, ou le garder. Pourtant, il arrive même à l’âne de donner un bon coup de sabot à celui qui le nourrit !
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn