Coup d’œil politique

C’est la promesse que le nouveau régime avait annoncée dans l’opposition et aux premières heures de son pouvoir. On n’est pas assez vieux pour oublier aussitôt ce qui a été dit et promis. On nous avait parlé du «Projet». Il devait, entre autres, marquer une rupture radicale «d’une profondeur et d’une portée jamais vues depuis l’accession du pays à l’indépendance». Une rupture avec ce qui a toujours été dans ce pays : les bavardages sans fin, l’absence de l’activité créatrice de prospérité, le manque de sérieux, le non-respect de la parole donnée, la primauté de l’intérêt privé sur l’intérêt public, la corruption, les détournements de fonds publics, l’arrogance et la médiocrité d’une grande partie des classes dirigeantes, la distribution arbitraire des rangs et des places dans l’Administra-tion, etc. Le Sénégal va devenir «souverain» et juste. Il sera, à l’instar de Canaan, une terre de prospérité et de confort ; un pays où «le lait et le miel» couleront à flots. Certains commentateurs d’opinions, faisant d’un usage trop généreux de la notion de révolution, parlaient «d’émancipation révolutionnaire» du pays et de la société. La victoire de Pastef aux élections présidentielle et législatives était, selon eux, la fin d’une pathologie qui gangrenait le pays et le début d’une guérison continue. Le Premier ministre Ousmane Sonko était présenté comme la «figure historique» de ce «basculement heureux».
Le problème est que la «figure majeure» de ce pivotement ne semble rien comprendre de son destin. La tâche que l’Histoire lui aurait dévolue (pour reprendre la narration bien prisée de ses partisans), c’est-à-dire travailler à remettre un pays affligé sur ses jambes, semble ne pas éveiller d’enthousiasme chez lui. Le programme «Sénégal 2050», œuvre d’un teinturier local, reste un assemblage de belles promesses dont personne ne sait quand et comment elles seront mises en œuvre. La première figure dominante du nouveau régime semble se plaire à s’apitoyer sur son sort au lieu de se mettre au travail. Il ne se lasse pas de se plaindre d’attaques contre sa personne. Il ne se lasse pas de laisser apparaître le peu d’estime qu’il tient pour la République et la médiocre confiance qu’il a dans ses institutions. Il lui arrive aussi de faire ouvertement des signes d’amitié à l’autoritarisme, de lui faire des clins d’œil assez inquiétants. Espérons qu’il saura résister aux appâts de l’autoritarisme. Un tel ordre ne convient pas à nos traditions politiques. Il ne nous amènera ni bonheur, ni honneur, ni prospérité. Il s’agit d’un toxique dangereux qui ne doit pas connaître «son grand soir» au Sénégal.
Le régime autoritaire aime bien évoquer la légitimité populaire pour se justifier. Le régime autoritaire organise des élections qu’il juge ouvertes et transparentes. Il organise des procès contre ses adversaires. Des procès qu’il juge justes. Nous devons être vigilants et éviter que le pays ne sombre dans un crépuscule sans fin. Dans beaucoup de pays, l’autoritarisme n’a laissé derrière lui que des ruines. Singulier et désolant est le spectacle que livre le Premier ministre. Il ne semble pas bien comprendre sa fonction de chef du gouvernement. Disons qu’il n’a pas une compréhension politique de son statut. Il se voit plutôt en activiste réactionnaire d’un parti dont il est le chef. La moindre critique l’agace. Il sonne l’heure du grand mépris envers tout ceux qui ne se soumettent pas et ne se plient pas à son gré. Il s’épuise sans aucune nécessité dans des querelles infertiles. Il se permet de faire du président de la République l’objet de ses foudres, en dénonçant une déflation de l’autorité au sommet de l’Etat.
La façon dont il exprime très souvent ses humeurs politiques n’est pas à la hauteur de sa fonction et des exigences de son statut. Quand on décide de répondre à des attaques publiques, alors on le fait avec des faits vérifiables et des arguments, dans le calme et la sérénité. Ses sévérités dirigées contre le Président et l’opiniâtreté avec laquelle il l’a pointé du doigt ne s’expliquent pas. Ils laissent apparaître une polarité au sommet de l’Etat ; une polarité entre deux personnes, que leur commune appartenance à un parti pourrait ne pas préserver d’un antagonisme fatal. Le risque de voir s’installer au sommet de la République un nœud de serpents est réel. Les inconditionnels du Premier ministre sautillent encore sur la surface de la polémique avec une gaité et une naïveté d’enfant. Il est temps qu’ils se calment pour le bien du pays et celui de la grande majorité des populations.
Serigne Babakar DIOP
Yeumbeul