Covid 19 : A l’impasse fatale, nous serions tous responsables

Le Sénégal, à l’instar de tous les pays du monde, lutte encore contre la pandémie du Covid-19.
Six facettes de la pandémie sont identifiables : la perception de la pandémie – l’idéologie de la pandémie, l’intuition de la pandémie, l’opinion de la pandémie, la communication de la pandémie et enfin la stratégie de la riposte contre la pandémie.
Pour la perception de la pandémie
La perception populaire de la pandémie est incomplète. En effet, les populations connaissent la maladie comme dysfonctionnement mortel de la santé. Cependant, elles méconnaissent la pandémie comme grandeur écosystémique cohérente. La dimension systémique leur échappe.
Pourtant il est compréhensible que si le corps (l’organisme) est le siège de la maladie de coronavirus, celui de la pandémie ne peut être que l’écosystème, l’habitat dans lequel on vit. La maladie est localisée (vue), tandis que la pandémie est délocalisée (invisible).
Ces deux aspects de la pandémie sont à comprendre pour cerner le périmètre de l’action défensive.
Pour l’idéologie de la pandémie
Lorsque la maladie est apparue en Chine, à Wuhan, nous avions consacré beaucoup de temps à son émergence. Les réseaux sociaux étaient saturés de «post» idéologiques. On aurait dû consacrer ce temps aux préparatifs de protection. Attitude excusable, car personne ne pouvait imaginer que cette maladie allait devenir une pandémie inédite, bouleversant toute la vie socio-économique de la planète.
Heureusement, ce discours stérile est vite abandonné lorsque la vague pandémique s’est déferlée à nos pieds.
Pour l’intuition de la pandémie
Chaque personne, entretenant un rapport «intime» particulier avec la pandémie, développe du coup sa propre intuition d’elle. Ainsi, l’intuition est nécessairement plurielle. Or cette pluralité provoque une dysharmonie, un déphasage, finalement une confusion dans l’action globale de riposte. Ces faits, frisant le désordre, sont bien observés dans le déroulé de la lutte. Chacun réagit à sa manière. Peu importe la norme d’action.
Ce «désordre» réactionnel causé par la diversité d’intuitions prouve que l’intuition de la pandémie n’est pas favorable à la lutte conventionnelle contre la pandémie. Malheureusement, sur le terrain de la lutte, l’intuition de la pandémie l’emporte largement sur la science de la pandémie.
Pour ce qui concerne l’opinion de la pandémie
Comprenons l’opinion de la pandémie comme l’idée générale construite par l’ensemble de la population par rapport à la pandémie. Cette édification de l’opinion se fait sur la base d’un capital d’informations, d’expériences, de vécu, de croyances, de témoignages, d’idées reçues, de raisonnement, de calculs naïfs, d’estimations, de préjugés, de réceptivité, etc. finalement du tout disponible pour ébaucher une pensée unique.
En effet, les populations ont beaucoup appris de la maladie (de réel comme de faux). Au bout, il en est résulté une angoisse généralisée et du coup la naissance d’une opinion qualifiable de «psychose de masse» déclenchant un réflexe d’autoconservation agissant. Ce qui explique la ruée vers la vaccination.
Ce réflexe d’autoconservation unifié fait que l’opinion de la pandémie est favorable à la lutte.
Globalement, les populations sont disposées à se sacrifier pour éradiquer la maladie. Il faut donc leur en donner la possibilité, pendant que l’opinion est positive.
Quant à la communication de la pandémie
Au début, à part les allocutions journalistiques qui se cherchaient, la communication de la pandémie était dominée par le discours de science fondamentale.
A mon avis, la démarche était de se focaliser très tôt, non sur la science fondamentale de la pandémie, mais plutôt (et davantage) sur l’organisation communautaire et les méthodes participatives potentielles de lutte anti Covid-19.
Pendant la guerre le soldat n’a pas à décrire la technologie de son arme. Il organise les conditions de sa défense et s’en sert pour rester sauf.
Cette attitude communicative n’a pas favorisé la formation et le renforcement d’une synergie populaire de riposte. C’est pourquoi, en partie, la synergie communautaire de riposte, indispensable à la victoire, n’est jusqu’à présent pas suffisamment consolidée. Elle demeure lâche.
Ailleurs, certains spécialistes ont dit que les cas de grippe actuels sont, à 99%, des cas de Covid-19.
Cela a tout l’air d’une maladresse de communication – même si c’était pour pousser les malades à aller se faire consulter dans les centres de santé.
Les hôpitaux étant saturés au même moment de cette annonce, les malades, ne sachant que faire, se consumaient dans une panique indescriptible ou même plus grave, recouraient au maraboutage, à la pharmacopée traditionnelle ou à l’automédication. La consultation devenue subitement une question de moyens et de relation, la panique était à son paroxysme.
On a rapporté le décès d’une femme par arrêt cardiaque à l’annonce de sa positivité au Covid-19.
Qu’en est-il des milliers de malades «grippés» ? Cette annonce, sans donner d’alternatives aux malades, n’a fait que rajouter à la détresse dont l’étendue et les conséquences restent inconnues.
Ensuite, est-ce que pour autant on est allé examiner ces malades de «grippe» pour rechercher des anticorps anti Covid-19 enfin d’étayer ce pronostic et éventuellement formuler des conseils utiles pour la vaccination ultérieure ?
Si tous ces malades de grippe sont des cas de Covid-19, il y a bien de quoi les examiner et les suivre pour prévenir une nouvelle flambée consécutive aux rechutes intempestives ou bien pour anticiper la formation d’un réservoir Covid 19 en dormance à l’avenir.
Il y en a des milliers de ces «grippés» dans les villages.
Toutes ces allégations se rapportent à la période de la Tabaski où le taux de prévalence Covid-19 était le plus élevé.
A mon avis, il y a à scruter du côté des supposés «grippés», car cette nouvelle maladie de Covid-19 est encore mal connue de tout le monde. L’épidémie mystérieuse de conjonctivite actuelle vient étayer notre méconnaissance de la Covid-19.
Pour la stratégie de la riposte contre la pandémie
La stratégie de la riposte a deux modes opératoires : la prévention et la prise en charge.
Pour les deux modes opératoires, l’Etat du Sénégal et le corps médical sénégalais ont effectué un travail irréprochable. Je salue la mémoire des soignants tombés.
D’autre part, la stratégie de riposte a une cible : C’est la population.
Cette dernière constitue le souci majeur, la variable insaisissable du fait de son extrême labilité, tant sur le plan comportemental que mental.
Malgré tous les efforts déployés, de nombreux comportements à risques se poursuivent aujourd’hui dans l’indifférence totale (un même masque jamais lavé, le groupe de thé sans distanciation ni masque, les évènements sociaux : deuils, baptêmes, mariages, baignades/loisirs, etc.). Les exemples sont innombrables.
Certes la bataille individuelle est indispensable, mais sa portée, limitée à la seule personne physique ou à la cellule familiale, ne couvre pas l’imposant périmètre de l’écosystème pandémique qui règne. Par contre, la lutte communautaire, elle, va jusqu’au détail de l’écosystème urbain.
C’est la société qui gagne la bataille pandémique et non l’individu ; d’où la dimension communautaire à considérer impérativement, à l’image du caractère systémique de la pandémie. Cela, la majorité de la population l’ignore.
Il est important de «re-problématiser» le défi pandémique dans la conscience populaire pour que soient évidentes chez tout le monde la transversalité et la complexité de l’enjeu.
Au Sénégal, la riposte Covid-19 est vaillante. Elle a connu un succès arraché. Toutefois, un réexamen de la situation sur certains points l’améliorerait.
Ces points sont :
Le comité national de gestion des épidémies devrait intégrer tous les scientifiques (méritants) de la santé éco-systémique.
N’est-ce pas l’approche éco-systémique de la santé est la nouvelle démarche sanitaire suggérée par la communauté scientifique internationale ?
Les populations à statut particulier devraient également y être associées – imam, chefs de quartier, jeunes, femmes, voire même des collectifs Covid-19 de quartier (constitués pour la cause) – etc. La transversalité de la pandémie l’exige.
Cela est d’autant plus nécessaire que pour rompre la chaîne de transmission virale et arrêter la pandémie, la problématique est davantage une question d’écologie urbaine que de médical. Se rappeler qu’il s’agit essentiellement d’éthologies humaines (comportements) que d’autre chose.
Au départ, on aurait dû emprunter au Management de la sécurité la méthode de l’Arbre des causes qui a fait ses preuves partout où elle a été pratiquée dans l’entreprise.
Grosso modo, le procédé consiste à lister tous les aspects (potentiels et avérés) générateurs de dangers ou de dysfonctionnements en milieu de travail. Ainsi, il constitue une cartographie des risques permettant d’identifier et de traiter les dangers avant leur survenue.
Appliquée à la pandémie de la Covid-19, cette méthode inventorierait tous les aspects causaux de contagion.
Un bon arbre des causes largement vulgarisé permettrait aux populations de se familiariser avec les divers facteurs de risques. Leur connaissance de la pandémie en serait plus affinée. De cette façon, on développerait, par anticipation, chez chacun le réflexe d’évitement de chaque circonstance de contagion rencontrée.
L’autorité politique devrait être beaucoup plus coercitive dans les initiatives retenues.
Dès lors que l’opinion de la pandémie est favorable, des décisions majeures devraient être prises, quels que soient les désagréments à endurer par les populations. On se représente aisément la peine ressentie en soumettant les populations déjà très éprouvées à d’autres contraintes. Mais ici, comme l’arbitrage (bénéfices/pertes) va du côté de la santé publique, il le faut.
Ne pas abandonner la pratique de confinement. La reprendre avec comme nouveauté, bien étudier la modalité de confinement à administrer.
Sans conteste, le confinement est le moyen le plus efficace pour rompre la chaîne de transmission. Parce que tout l’arsenal de protection suggéré aux populations est tributaire de la seule volonté de la personne. Or les personnes sont incontrôlables.
On gagnerait à sortir la religion et les croyances communautaristes de la lutte anti Covid-19. La sensibilité et l’inopportunité sont évidentes pour les êtres pensants que nous sommes.
Le chalenge est ailleurs. On peut gagner la bataille sanitaire en restant dans les secteurs publics qui nous sont communs (marchés, transports, écoles, lieux publics, etc.).
Eviter de communiquer en continue sur la vaccination. Tout le monde connaît la vaccination. Cela ne ferait que raviver les suspicions. Une alternative plus rassurante serait d’emprunter à l’économie libérale un mécanisme dit – loi des débouchés qui stipule : «Toute offre crée sa propre demande.»
En quoi faisant, en popularisant davantage le vaccin. On pourrait créer des postes mobiles, itinérants de vaccination (des camions frigorifiques conviendraient), installer des chapiteaux dans les endroits de forte fréquentation. Toute chose qui ferait que le vaccin soit à la portée de tous. Que le vaccin cesse d’être une simple information volatile et une corvée pour les populations.
Aujourd’hui, une accalmie revient progressivement. Toutefois, nous devons rester dans une défensive soutenue, car c’est pendant la dernière accalmie que le variant «Delta» est brusquement apparu – surprenant tout le monde. Une accalmie, quelle que soit sa durée, ne signifie pas la fin de la pandémie.
Enfin, il faut se rendre compte que le monde microbiologique (pathogène ou non), comme tous les termes vivants de la biosphère, est profondément bouleversé par le dérèglement climatique général provoqué par notre économie excessivement «carbonée».
Du point de vue mutations microbiennes, tout peut aller dans tous les sens. Tous les génomes du microbiote sont maintenant sujets à évolution rapide pouvant déboucher sur des pathogénicités si meurtrières à pouvoir effacer le vivant sur la planète en un temps record.
Tant que le statuquo climatique persiste, la fréquence des épidémies devrait être logiquement en hausse partout à l’avenir.
C’est vrai qu’une mutation peut être avantageuse dans certains cas, mais c’est le scénario alarmiste qui sert la prévention sanitaire et le principe de précaution. C’est pourquoi notre propension catastrophiste (tout de même scientifiquement cohérente).
Comme cela n’a jamais été, le changement climatique a transformé la planète en une véritable «couveuse» d’épidémies par la hausse de la température terrestre créée. L’explication en est que c’est la température qui gouverne la vie organique.
Les longs silences épidémiques d’autrefois devraient nécessairement se raccourcir de plus en plus avec la montée thermique de la terre, donc des biotopes. (Evidemment jusqu’à certaines limites).
Le pessimisme n’est pas débordant, si l’on sait qu’autrefois la nature créait elle-même les épidémies et en même temps les éteignait elle-même par l’existence de facteurs et d’obstacles naturels (montagnes, rivières, fleuves, microclimats, éloignement, distance, programme génétique, immunité collective, forte mortalité, biologie, insularité, etc.).
Cela faisait que les épidémies anciennes étaient non seulement rares, mais aussi clairsemées, circonscrites dans l’espace et limitées dans leur diffusion.
Le monde a changé.
Aujourd’hui, nous avons si transformé la nature, si développé la technostructure et l’économie que tous les facteurs limitants des épidémies précités sont devenus incapables d’éteindre les foyers locaux d’épidémies de départ.
Cette raison explique pourquoi maintenant une épidémie devient si vite une pandémie entretenue durablement par la mondialisation (globalisation) et le développement.
Cette réalité menaçante exige que les Etats africains repensent le développement territorial avec comme objectif principal d’éviter la formation des mégapoles urbains en homogénéisant l’attractivité des villes.
Au moyen de bonnes politiques interventionnistes, minimiser le pouvoir classique du marché dans la création et le développement des agglomérations urbaines afin d’occuper le maximum d’espaces simplement en les rendant habitables, vivables, car surpopulation, proximité et déplacements favorisent l’explosion épidémique.
C’est de cette façon seulement que l’on pourrait augmenter la densité écologique (nombre d’habitants au km2 de territoire habitable) au détriment de la traditionnelle densité géographique – actuellement sans intérêt (nombre d’habitants au km2 de territoire).
Le cas de la Covid-19 en est un exemple éloquent. C’est la première pandémie de l’histoire «format/mondialisation».
Cheikh NDIAYE
Biologiste/Ecologue-Aménageur
Maire de Lambaye