La Cour pénale internationale (Cpi) a fait droit aux demandes d’acquittement de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé. Elle a aussi ordonné leur libération immédiate, mais cette décision est suspendue à la demande du procureur qui doit délivrer ses observations. Une nouvelle audience est fixée ce mercredi à 10 heures, heure de La Haye.

En attendant que la décision soit confirmée lors de l’audience d’aujourd’hui où les observations du procureur seront étudiées, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé peuvent savourer la décision historique des juges de la Chambre de première instance de la Cpi qui se sont prononcés en faveur de leur acquittement. Une décision qui intervient après quatorze demandes successives de liberté provisoire refusées. Ce mardi, la Chambre de première instance a ordonné leur libération immédiate. Et ce, après un examen rigoureux des éléments de preuve. Les juges considèrent que le procureur n’a pas été capable d’apporter suffisamment de preuves pour démontrer que Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé étaient à l’initiative «d’un plan commun» visant à se maintenir au pouvoir et, de ce fait, à user de violence pour y parvenir, d’après le communiqué de la Cpi.

La décision de la Cpi n’a pas été unanime
Les juges estiment par ailleurs que le procureur n’a pas démontré que les deux prévenus ont prononcé des discours de haine contre les populations civiles. La décision de la Cpi n’a pas fait l’unanimité. La décision d’acquittement de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé a été prise à la majorité des trois membres de la Chambre. Les juges Geoffroy Henderson et Cuno Tarfusser ont voté pour l’acquittement et la remise en liberté des deux accusés. Au contraire de la juge Olga Herrera Carbuccia qui ne les a pas suivis.
L’avocat principal de Laurent Gbagbo parle d’une victoire sur le site Bénin Tv. «La décision d’acquittement est de notre point de vue une victoire de la justice. C’est aussi et surtout une victoire de la Cpi. Les juges ont fait preuve de professionnalisme et d’indépendance. Ils ont aujourd’hui contribué à bâtir sa légitimité.» Il ajoute : «Laurent Gbagbo est soulagé. Soulagé et heureux d’avoir fait confiance en la justice. Il a toujours eu confiance et a eu raison. Sachez que le Président Gbagbo est un homme droit et qui a toujours été droit alors même que les circonstances étaient difficiles», a poursuivi l’avocat. L’avocat de Charles Blé Goudé assure, quant à lui, que son client souhaite rentrer dans son pays au plus vite.
Dès l’annonce de la décision, les habitants de Gagnoa, (centre ouest de la Côte-d’Ivoire, la ville natale de Gbagbo) ont exprimé leur joie à travers des scènes de liesse populaire, cris, danses, concerts de klaxon, a constaté l’Afp. D’un autre côté, à Abidjan, on fait part de manifestations de mécontentement. Quant à son épouse Simone Gbagbo, elle n’a pas contenu sa joie. Dans une vidéo enregistrée en direct sur sa page Facebook, elle exprime sa satisfaction. Pour elle, c’est l’heure de la vérité qui a sonné. «Le mensonge part toujours en premier, mais il se fait toujours rattrapé par la vérité», a-t-elle avancé. Le Président ivoirien, Alassane Ouattara, n’est pas indifférent à cette annonce. «Il reste calme et prend acte de la décision», a confié l’avocat de l’Etat, Jean Paul Benoit à Jeune Afrique.
En tout cas, cette liberté accordée à Laurent Gbagbo ne pouvait pas mieux tomber. A moins d’un an de l’élection présidentielle, l’ancien Président s’offre une nouvelle image. Il apparaît comme victime d’un complot et pourrait bénéficier d’une sympathie de bien des Ivoiriens. Contrairement au camp Ouattara sans doute malmené par l’usure de l’exercice du pouvoir.

Une décision de trop qui ébranle les fondements de la Cpi
Laurent Gbagbo a été arrêté le 11 avril 2011 à Abidjan, et détenu dans un premier temps à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire. Il avait été transféré à La Haye le 29 novembre 2011. Son procès a démarré le 28 janvier 2016. Poursuivi pour «crimes de guerre et crimes contre l’humanité», l’ancien Président ivoirien a toujours plaidé non coupable. Au fil des 231 jours d’audiences sur le fond, plus de 80 témoins se sont succédé à la barre.
Des questions se posent : La Cour pénale internationale est-elle en mesure de rendre une justice pour les crimes les plus graves relevant de sa compétence ? Après près de trois revers, les observateurs commencent à douter de sa capacité à conduire un procès et à rendre justice. L’acquittement de Gbagbo et de Blé Goudé est un cuisant échec qui ébranle fortement ses fondements.
Pour les observateurs et autres organisations de défense de la justice pénale internationale, cette décision est le troisième revers majeur du procureur Fatu Bensouda après l’échec du dossier du Président du Kenya et des poursuites contre Jean Pierre Bemba. Faut-il le rappeler, l’ancien vice-président congolais avait dans un premier temps été condamné par la Cpi à 18 ans de prison pour crimes commis par sa milice en Centrafrique entre 2002 et 2003, avant d’être acquitté en appel en juin 2018 par la Cour, à la surprise générale. Un acquittement perçu comme un camouflet pour la Cpi. Or la Cour pénale internationale a été instituée pour juger les hauts responsables des crimes les plus graves dans le monde, mais le constat est qu’elle n’y parvient pas. Seuls les chefs des milices et des responsables de rangs intermédiaires ont été condamnés par la Cpi. Finalement, la Cour compte plus d’acquittements et de procès interrompus que de condamnations.
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