Crise politico-institutionnelle : Seul le Conseil constitutionnel détient la solution mais…

Il est possible de sortir grandi, plus fort, plus uni de cette crise politico-institutionnelle, si et seulement si les sept «Sages» restent sages jusqu’au bout de l’épreuve, en mettant le pays, la paix et la cohésion sociale au-dessus de toutes autres considérations, autrement dit s’ils restent sourds à toutes les clameurs, de l’intérieur comme de l’extérieur, refusent de succomber à toutes formes de pressions ou l’émotion. Ce sont des êtres d’exception dans leur art, mais pas exceptionnels, car comme tous les humains, ils sont tenaillés par sentiments et passions. Un survol de l’histoire politique des pays africains révèle que beaucoup de pays ont brûlé en Afrique suite à des élections et au cœur de ces tragédies, sont souvent empêtrés les organes constitutionnels (Cours ou Conseils) chargés de superviser les élections et de proclamer les résultats définitifs. La liste est longue : Togo, Bénin, Centra-frique, Côte d’Ivoire, Gabon, Rdc, Congo Brazza, Tchad, Zimbabwe, Kenya, etc., et partout parmi les causes, les décisions du juge constitutionnel, succombant parfois à l’émotion, à la passion, à la pression populiste de la rue, ou autoritariste des pouvoirs en place, au détriment de la raison, du Droit ou du bon sens.
Aujourd’hui, notre pays est sous les rampes du fait qu’il traverse une double transition importante, à la fois politique et démocratique, mais surtout économique, et le tout dans un contexte géopolitique sous-régional lourd de menaces et de périls, de géostratégie internationale du «butin».
Dès lors, notre Conseil est à l’épreuve. Même si tout le monde a salué le courage et la sagesse du Conseil constitutionnel annulant le projet de loi constitutionnelle modifiant l’article 31 de la Constitution, dans le sens de proroger le mandat présidentiel, après le décret présidentiel annulant la convocation initiale du collège électoral et ceci pour non-conformité à la Constitution (Art 27 et 103), il lui reste une autre paire de manches à jouer. Celle du réaménagement du calendrier électoral, jugé comme opportunité par tous ceux qui par des arguments solides, se plaignaient déjà de la manière dont le juge constitutionnel avait traité leurs dossiers. Ainsi, prenant en compte le contexte particulier de crise interne aigue et sous-régional décrit plus haut et dans lequel notre pays organise cette élection, la tension pré-électorale née du parrainage, les supputations relatives à la double nationalité de certains candidats retenus par le Conseil, un dialogue national a été convoqué à cet effet et a donné des indications consensuelles allant dans le sens de la préservation des intérêts des différentes parties.
Alors, même si les propositions de sortie de cette grande concertation enjambent de très peu l’échéance du 2 avril prescrite dans la Constitution, à mon humble avis, l’intérêt supérieur du pays (ici préservation de la paix civile et de la cohésion nationale) reste au-dessus de toute Constitution, mais surtout au-dessus d’un écart observé de délais de quelques mois par rapport aux prescriptions constitutionnelles. L’équation ou la dialectique entre légitimité et légalité s’impose à vous «Sages» dans le cas de figure actuel du pays, et de votre délibéré de l’heure qui requiert sagesse, sérénité, lucidité et courage dans ce climat de charivari, de clameur des sirènes de médisance qui fusent de partout, dépendra le sort du Sénégal de demain. Il ne faudrait surtout pas oublier que toute légalité (la Constitu-tion, les lois organiques, les lois ordinaires et règlements) tire sa substance, sa force, de la légitimité ou onction populaire ou majoritaire. En outre, le compromis issu des concertations ou dialogue national, au-delà de la couverture de légitimité recherchée et revêtue, a l’avantage de réconcilier les positions en prenant en compte les préoccupations des parties qui s’affrontaient sur des principes apparemment, mais pas forcément antagoniques, «continuité du processus électoral» et «réparation d’éventuels préjudices» conformément à la loi. La démarche semble illustrer ce que les conseillers judiciaires conseillent à leurs clients : mieux vaut un compromis boiteux qu’un mauvais procès. La même posture est attendue de notre juge constitutionnel : la recherche d’un compromis institutionnel. Que le Tout-Puissant éclaire nos 7 «Sages», les assiste dans le dilemme cornélien qui est le leur et qui nous étreint tous, pour que tous fassent le pas décisif vers une élection juste, apaisée, libre et transparente, consolidant la spécificité sénégalaise.
Walmmaakh NDIAYE
Enseignant à la retraite
Officier Ordre national du mérite