La crise du Covid-19 a démontré que les sociétés qui ont pu rester ou devenir compétitives sont celles qui avaient anticipé sur les crises et maîtrisé les outils de l’innovation avant les autres. Un webinaire organisé par le journal Financial Times a permis de l’illustrer.

C’est quasiment de mode d’entendre que la crise provoquée par la pandémie du Covid-19 a agi pour plusieurs entreprises, citoyens, et même des Etats, comme un accélérateur de changements et d’innovation. Cela est sans doute vrai. Mais il est aussi ressorti d’un webinaire, organisé le jeudi dernier par le Financial Times de Londres, et réunissant des acteurs économiques et sociaux originaires de l’Afrique de l’Ouest (Sénégal), du Maghreb (Tunisie, Maroc), ainsi que le représentant d’un opérateur mondial, mais parlant depuis la Suisse, que les innovations les plus réussies sont celles qui ont été planifiées et préparées depuis un bon moment. Quand le Covid-19 oblige les sociétés et les économies à se cloisonner, réussissent à mieux s’en sortir ceux qui ont prévu depuis longtemps de surmonter les con­traintes par l’esprit d’innovation.
C’est ce qu’a fait comprendre Ramatoulaye Adama Diallo, la responsable (Ceo) d’Orange money Sénégal, quand elle a expliqué que la pandémie a eu un effet d’accélérateur dans leur activité. «Pendant des années, nous avions démarché des partenaires pour qu’ils dématérialisent leurs systèmes de paiement par exemple. Les gens comprenaient le besoin, mais ne sentaient pas la nécessité de s’empresser. Et quand le Covid-19 est arrivé, cela a été un accélérateur. Nous avons été submergés par la demande.»
Mais pour réussir à répondre à la demande en un temps aussi court, il faut déjà avoir disposé de la technologie nécessaire et se préparer aux innovations que cela entraîne. L’époque actuelle est faite de nombreuses crises et ruptures. Au point que, constate l’économiste marocain Fathalah Sijilmassi, «le temps de gestion des crises est de plus en plus court, parce que les crises et ruptures sont trop rapprochées. En fin de compte, la gestion de crise est devenue structurelle et non plus conjoncturelle. Et pour mieux intégrer et anticiper sur les éléments disruptifs, il faut faire preuve d’innovation, pour rester compétitif et passer à un palier supérieur».
Un des cas les plus frappants est celui de la Tunisie qui a vu son industrie touristique littéralement s’écrouler du fait de la pandémie. Noomen Lahimer explique que le pays recevait, avant le Covid-19, entre 8 et 10 millions de touristes par an. «Le Covid-19 a arrêté tout cela. Et la crise du tourisme a touché tous les secteurs, les hôtels, les tour-opérateurs, mais aussi les services, l’agriculture, la pêche, et toute la demande générée par le tourisme. Il fallait s’adapter rapidement. Et c’est là que l’accélération digitale a pu faire ses effets, dans l’industrie textile, la mécanique ou l’électro-mécanique, qui ont vu des secteurs se délocaliser de l’Asie en Tunisie, pour profiter de la proximité avec l’Europe, ainsi que de la maîtrise technologique qui existait sur place.»
Philip Morris International n’a pas attendu la crise du Covid-19 pour faire le bon technologique d’adapter son industrie aux innovations de son temps. Tommaso di Giovanni, son responsable de la communication, a ainsi expliqué que l’innovation était voulue et anticipée : «Nous savons tous depuis des nombreuses années que fumer est nocif. Mais la question est de savoir ce que l’on doit faire de ces nombreuses personnes qui ne parviennent pas à arrêter. Et la technologue et l’innovation ont joué un rôle clé dans ce domaine. On sait depuis les années 1970-90 que c’est la combustion qui provoque la majorité des éléments toxiques dans la cigarette, mais on ne pouvait connaître ces éléments faute de maîtriser la technologie. C’est entre 2000 et 2010 que l’industrie a pu trouver la solution, en créant un élément qui ne générait pas des éléments nocifs, parce qu’il n’y a pas de combustion.» Ce produit, testé actuellement sur une soixantaine de marchés dans le monde, semble avoir rencontré l’agrément de tous les fumeurs qui l’ont essayé. Au point, assure Tommaso di Giovanni, que son entreprise consacre maintenant 98% de ses ressources en recherche-développement au développement des produits sans fumée.
Une innovation comparable à celle d’Orange money. Rama­toulaye Adama Diallo indique qu’il y a une dizaine d’années, peu de cadres de la Sonatel voyaient le besoin de se lancer dans les services financiers et préféraient rester dans leurs services numériques de base. Mais «quand on n’est pas préparé à la disruption, on peut être contraint de la faire par quelqu’un d’autre. Orange money a adapté une idée venue d’Afrique de l’Est, et permis à une bonne couche de la population d’avoir son compte bancaire dans son téléphone, parce que le téléphone était déjà dans toutes les mains». La prochaine étape pour Orange money, dans quelque mois, sera de pouvoir accorder des prêts, sur des montants très faibles, qui n’intéressent pas nécessairement les services financiers classiques. «En juillet, on a lancé Orange bank Africa en Côte d’Ivoire. On le fera en début d’année prochaine dans les autres pays de l’Afrique de l’Ouest, dont le Sénégal. C’est une mini-révolution qui montre que l’innovation doit être utile aux populations», dit-elle.