La question généralement débattue au cours de ces dernières heures, suite aux inondations résultant des pluies qui s’abattent depuis 48 heures dans le pays, est celle de savoir à quoi ont servi les 750 milliards qui ont été investis dans le Plan décennal de lutte contre les inondations. Cette question mérite effectivement d’être posée. Je ne doute point que c’est le sens de la mission que le chef de l’Etat vient de confier au gouvernement et en particulier au ministre chargé de l’Eau et de l’assainissement, Serigne Mbaye Thiam, pour procéder à une évaluation d’ensemble de cette politique décennale. Cette mission a sans aucun doute une finalité comptable, mais pas que cela, car l’évaluation d’une politique publique inclut certes cette vérification des comptes, mais elle dépasse largement l’aspect financier des choses. Quand j’entends certaines critiques émanant de l’opposition et appuyant leurs récriminations à l’endroit des autorités sur l’ampleur des inondations pour considérer que les 750 milliards n’ont jamais été dépensés pour régler le problème, j’appelle à la prudence, en ce sens que tous les ouvrages qui ont été construits à cette fin l’ont été en respectant un dimensionnement particulier, largement en deçà des volumes et des quantités d’eau qui sont tombés en 48 heures dans la capitale, Dakar. Tous les ouvrages construits ont été dimensionnés dans des proportions obéissant à des contraintes de terrain et d’environnement qui ont justifié leurs capacités de base de traitement des eaux pluviales. C’est une évidence technique. Il s’y ajoute que l’argent n’a pas été dépensé uniquement dans la capitale. Je n’anticipe nullement sur les résultats de l’évaluation qui est décidée par le chef de l’Etat. Je dis simplement que la prudence et la rigueur s’imposent à nous dans la manière d’apprécier les dépenses faites, si nous voulons être justes et honnêtes dans nos joutes et dans la manière de conclure notre argumentaire sur la question. Certains protagonistes du débat ont vite fait de conclure à une dilapidation des fonds publics arrêtés pour conduire la politique décennale de lutte contre les inondations. Il n’est pas d’ailleurs inutile de préciser qu’il s’agissait, à compter de l’hivernage 2013, de programmer chaque année budgétaire, pour une durée de dix ans, des dépenses dont le global devrait conduire à terme à un montant total de 750 milliards. L’exécution du Plan décennal de lutte contre les inondations n’est pas encore, en principe, terminée. Si nous comptons à partir de la programmation budgétaire de l’année 2013, nous devrons alors admettre que nous sommes à trois ans de la fin de ce programme décennal. Quelle vanité, pour ne pas dire quelle escroquerie politique, de la part de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye qui, avec une arrogance sans nom, prétend que la question des inondations a cessé d’être une préoccupation ou une priorité depuis son départ du gouvernement ! Lors de la lecture de son discours de politique générale – je rappelle qu’à l’époque notre Constitution disposait : «Le chef de l’Etat définit la politique de la Nation et le Premier ministre la conduit.» Abdou Mbaye lui-même laissait entendre : «Des solutions globales et structurelles seront engagées pour la gestion des inondations, à travers l’élaboration de Plans directeurs de drainage pour toutes les régions concernées. Les programmes prioritaires, qui découleront de ces plans directeurs d’assainissement des eaux usées et pluviales, seront financés avec l’appui de nos partenaires, dans le cadre d’une programmation pluriannuelle. Le Programme de gestion des eaux pluviales pour la zone périurbaine de la région de Dakar, d’un coût de près de 40 milliards de F Cfa, démarre dès 2013. Des options sont à l’étude en vue d’une contractualisation avec le secteur privé, pour la réalisation ainsi que la gestion des ouvrages d’assainissement des eaux usées et pluviales.» Soyons plus humbles et plus raisonnables dans nos prises de positions ! Celles-ci doivent se garder de faire dans la démagogie.
Evitons de chercher à tromper le Peuple en se berçant d’illusions sur un fait : quand les forces de la nature se déchaînent, aucune organisation humaine, quels que soient l’ingéniosité et les moyens dont elle est dotée, ne peut venir à bout de telles forces. Chaque année, on peut le vérifier avec les feux de brousse qui dévastent les forêts australiennes, les ouragans qui mettent à genoux la plus grande puissance du monde, de même que les Nations européennes incapables de faire face aux débordements des eaux des fleuves traversant de part en part les pays du vieux continent et souvent consécutives à de fortes précipitations qui les arrosent. Ma ville natale, Sokone, a reçu en 24 heures 216 millimètres d’eau. Un volume d’eau exceptionnel, car cette quantité constitue plus du quart de ce que cette localité reçoit annuellement (600 à 800ml par année). Jamais un tel volume n’est tombé à Sokone en un seul jour depuis plus de soixante ans. On se demande même si cela est arrivé dans le passé. C’est la même chose presque partout ailleurs au Sénégal. C’est dire que ce que nous avons vécu au cours des 48 dernières heures sort de l’ordinaire de la pluviométrie au Sénégal. Nul Etat sur ce continent n’est préparé à y faire face. Et cela est d’autant plus vrai que tout ce qui est aujourd’hui investi dans l’assainissement collectif au Sénégal n’est tout au plus qu’un rattrapage pour faire face à plus de cinquante ans de défaillance dans le secteur, qu’il faut d’abord régler avant d’entreprendre quelque autre projet qui soit.
De ce point de vue, on peut considérer la vétusté du collecteur mesurant 8km qui s’est affaissé à la hauteur de Ouagou Niayes et des Hlm, vieux de 70 ans, pour comprendre le sens du propos. Les conséquences du changement climatique ne concernent pas uniquement l’avancée de la mer pour notre pays. Elles se manifestent aussi par la survenue de phénomènes météorologiques voire climatiques exceptionnellement dévastateurs. La capitale ivoirienne n’a pas été épargnée par ces inondations. Dans d’autres contrées, la sécheresse ou la hausse vertigineuse des températures constituent les menaces les plus sévères. Au-delà donc de la construction d’ouvrages d’assainissement, c’est la problématique du changement climatique en lien avec l’urbanisation galopante qui se pose ; d‘où l’opportunité et la pertinence du Pse vert, initié par le chef de l’Etat, de même que toutes les initiatives de protection de l’environnement, mais également de développement et de valorisation du milieu rural. La macrocéphalie de Dakar avec son corollaire, l’occupation de zones non aedificandi, constitue un facteur aggravant des inondations.
Abdou Latif COULIBALY
Ministre Porte-parole du Président de la République