Plaidoyer d’un musulman pour une justice sans fanatisme
Je suis musulman. Je crois au Coran avec ferveur, je prie avec confiance, et je cherche dans les textes sacrés non des justifications à la colère, mais des chemins vers la justesse.
Je sais ce que représentent Jérusalem, la mosquée al-Aqṣā, les versets évoquant la terre bénie. Je sais la charge spirituelle, historique et symbolique que cette région porte pour les musulmans, les juifs et les chrétiens.
Et pourtant, je le dis avec clarté : la lecture religieuse a été valable un temps -mais elle ne suffit plus.
Elle a permis d’élever la douleur au rang du sens. Elle a servi de langage commun aux opprimés, de refuge sacré dans l’épreuve, de boussole morale dans l’effacement. Elle a donné une voix aux sans-voix.
Mais aujourd’hui, à force d’être brandie comme une arme plutôt qu’habitée comme une guidance et un exutoire, elle a été pervertie.
Elle est devenue l’alibi d’un manichéisme stérile, où l’on s’enivre de versets tout en oubliant la justice. Où l’on prie pour les martyrs tout en oubliant les vivants. Où l’on appelle Dieu à la rescousse mais sans jamais interroger sa propre responsabilité dans le désastre.
Le conflit israélo-palestinien, que l’on désigne trop facilement comme «religieux», est en réalité une tragédie politique, un processus d’effacement colonial, une guerre d’occupation travestie sous les oripeaux de la mémoire sacrée.
Et s’il suscite mon indignation de croyant, ce n’est pas parce que les victimes se nomment Mohammed ou Aïcha, mais parce que l’injustice y est méthodique, froide, structurelle, et que le silence qui l’enveloppe est complice.
Mon Coran commence par «Au nom de Dieu, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux» -non au nom de la vengeance.
Il m’ordonne la justice, même contre moi-même. Il m’enjoint de défendre les opprimés, mais de ne jamais trahir l’équité.
Il dit : «Que la haine d’un peuple ne vous incite point à l’injustice. Soyez justes : cela est plus proche de la piété» (5:8).
C’est cette parole que je choisis comme axe.
Je refuse les lectures apocalyptiques. Je récuse les discours de haine masqués en ferveur. Je me méfie de ceux qui instrumentalisent le Livre pour nourrir la colère, quand il fut révélé pour purifier le cœur.
Je ne me battrai pas pour l’effacement d’un peuple. Mais je continuerai de défendre inlassablement le droit du Peuple palestinien à vivre libre, digne, enraciné.
Ce que je réclame n’est pas une victoire sur l’ennemi, mais une victoire sur la logique de l’ennemi : celle qui justifie l’exclusion, le tri ethnique, l’apartheid.
Ce que je souhaite, ce n’est pas l’effondrement d’un Etat, mais l’émergence d’une justice réelle, qui ne soit ni conditionnelle, ni partielle, ni différée.
Je suis croyant, oui. Mais ma foi n’est pas une armure idéologique. Elle est un appel constant à l’humilité, à la clairvoyance et à la responsabilité.
Elle me dit que la justice est le nom secret de Dieu sur terre.
Et que ceux qui prétendent Le servir, mais foulent la justice aux pieds, ne font que L’invoquer en vain.
Mais comment parler de justice lorsque le Droit international lui-même semble devenir un théâtre d’ombres, où les principes sont brandis à géométrie variable, au gré des intérêts géostratégiques ?
A chaque bombardement de Rafah, à chaque expropriation de Jérusalem-Est, à chaque enfant extirpé des décombres, le silence du Droit hurle.
Car enfin, que vaut un Droit qui s’indigne pour l’Ukraine mais s’évanouit pour la Palestine ? Que vaut une Communauté internationale qui sait sanctionner avec vigueur, mais qui se tait dès que l’agresseur est un allié stratégique, un partenaire militaire, un bastion régional dans un échiquier plus large ?
La dignité humaine est-elle à ce point divisible ?
Les grandes puissances invoquent la stabilité, la sécurité, la paix. Mais c’est souvent la paix du plus fort, la sécurité de l’oppresseur, la stabilité du statu quo injuste.
Elles parlent de Droit tout en armant ceux qui le violent. Elles parlent de paix tout en neutralisant ceux qui osent réclamer justice.
Alors oui, il faut dire les choses sans détour : le Droit international est pris en otage. Non par des peuples, mais par des puissances.
Ce n’est pas la morale qui guide les résolutions du Conseil de sécurité, mais le calcul diplomatique, le poids des alliances, la peur du déséquilibre.
L’Onu observe, condamne mollement, puis détourne les yeux.
La Cour pénale internationale s’ébroue, menacée dès qu’elle s’approche de ceux que l’Occident protège.
Et pendant ce temps, la Palestine devient un test moral. Un révélateur.
Elle révèle l’imposture d’un ordre mondial qui prêche les droits de l’Homme tout en marchant sur les ruines des peuples déracinés.
Elle met à nu l’hypocrisie d’un système où la souveraineté des uns est sacrée, et celle des autres toujours en sursis.
Mais ce que ce système oublie, c’est que l’histoire finit toujours par se souvenir de ceux qui se sont tus quand il fallait parler. Et qu’il arrive un moment où la conscience collective dépasse les barrières diplomatiques.
Alors, en tant que musulman, en tant qu’être humain, je ne peux m’en remettre à cette diplomatie cynique pour rendre justice à la Palestine.
Je crois à la force du Droit, mais je crois plus encore à la force de la vérité.
Et cette vérité, même si elle est ignorée aujourd’hui, finira par se frayer un chemin dans la mémoire des peuples.
Car ni les murs, ni les mensonges, ni les votes véto ne pourront indéfiniment étouffer la voix d’un Peuple qui réclame simplement ce que Dieu a accordé à tout être humain : une terre, une dignité et la possibilité de rêver.
Ndaga SARR
Directeur Général – Capital Gain HR
Recrutement | Intérim | Conseil RH & Stratégie