Dakar et sa foire aux affichages sauvages

Par Serigne Saliou DIAGNE –
Les murs de ma ville sont agressés. On ne peut lever la tête sans voir le nom d’une personne, un slogan politique ou une signature de campagne, agresser sauvagement les murs des échangeurs routiers. Tous les murs des voies passantes, qu’ils soient ceux d’institutions publiques, de domiciles privés ou même d’établissements scolaires, sont tapissés de noms de personnes qui voudraient toutes nous diriger. Si chacun des deux-cents candidats déclarés à la course au palais de la République veut flanquer son nom, les signatures de sa campagne ou poser son effigie sur tous les espaces publics, Dakar n’en a pas encore fini d’être un palimpseste où le mauvais goût, le désordre et l’anarchie sont gravés en lettres d’or.
Sans aucune esthétique et sans aucune forme de respect de la sacralité des espaces publics, on peut lire un tel comme chantre du changement, un autre comme incarnation d’une relève dont on ne saurait encore trouver la racine ascendante pouvant justifier la prétention. Plus loin, d’autres vont se réclamer porteurs de solutions, hommes et femmes de valeurs ou réponses ultimes à tous nos maux. Si on rajoute à cela l’affichage légal sur les panneaux publicitaires qui commencent à mettre en avant les candidats déclarés et la conversion de certaines devantures de maison en affiches géantes à l’effigie des formations politiques, on peut dire que ça pique fort aux yeux.
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Il est assez incohérent que des gens qui invitent partout à inverser une roue, se présentant comme vecteurs d’une dynamique nouvelle et chantant leur amour du pays et leur souci du sort de la communauté nationale, soient les commanditaires et donnent caution au plus primaire des vandalismes, à savoir la pollution visuelle, accompagnée d’une dégradation du cadre de vie. Je ne peux croire en des gens qui nous disent avoir des postures en rupture de ban, mais portent avec leurs équipes politiques des dégâts et dégradations sur tous les espaces politiques. Pour minimes qu’on pourrait considérer la pollution visuelle et les nuisances visuelles, je trouve qu’elles sont un grand déterminant du respect de base qu’on pourrait avoir envers une communauté nationale. A titre illustratif, je n’ai jamais entendu argumenter un certain Dr Tine, après avoir vu son nom inscrit partout à Dakar d’une façon des plus sauvages depuis des années. Un juriste qui cautionne de telles agressions du cadre de vie, je me passerai bien de ses opinions sur la gestion d’un Etat démocratique ou d’une République.
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Lors de la campagne de 2012, il y avait fréquemment ces écrits sauvages qui revenaient dans Dakar : «Mor Dieng 2012», «Model avec Ibrahima Sall», «Roule avec Samba pour Kara», «Pikine réclame Aminata Lô», «Modibo l’espoir», «Pikine réclame Dr Bousso Lèye», «Guédiawaye regrette Bocar Sadikh Kane», ou encore «MLD, Président». Pendant des mois et dans les années qui ont suivi, plusieurs édifices de Dakar ont été souillés par de telles mentions sans qu’on ne puisse reconnaître à leurs commanditaires un poids électoral et politique qui pourrait justifier de tels abus au cadre de vie. Va-t-on laisser la myriade de candidats déclarés pour 2024, agresser allégrement les murs de notre capitale et tapisser tout l’espace public de leurs effigies ?
On entend par pollution visuelle, les nuisances entraînées par la vue de quelque chose. Outre le fait d’avoir une appréciation esthétique, elle prend aussi une charge mentale dans la mesure où l’on ne maîtrise pas tout ce qui nous est envoyé à longueur de journées et surtout de l’usage ou de la perception que pourrait en avoir notre cerveau. L’affichage publicitaire abusif ou sauvage, la dégradation de paysages, l’obstruction volontaire de vue, la disposition sauvage de déchets et les écritures sauvages entrent tous dans la définition de la pollution visuelle. On ne peut pas dire qu’on ne constate pas tous ces symptômes dans Dakar.
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Un tour rapide dans la ville permet de constater l’agression par des écrits sauvages de tous les ronds-points et ouvrages de franchissement. Un trajet routier renverse la tête, au vu de l’exposition à tous ces affichages publicitaires. Les panneaux et affiches se comptent en centaines sur des itinéraires peu longs. Les autorités administratives de la région de Dakar s’étaient mises dans une logique d’assainir l’affichage publicitaire après que l’anarchie qui régnait dans ce secteur avait fait de la ville un laid collage d’une culture de la consommation non encadrée. Il est vrai que l’Acte III de la décentralisation a mis au jeu de l’affichage publicitaire chacune des communes de Dakar afin de délivrer des autorisations d’affichage et percevoir des recettes, mais l’anarchie qu’il y a encore dans l’affichage commercial mérite que des actes forts soient posés.
Pour revenir à la barbarie des agressions de nos espaces publics et du paysage, l’action de nos politiques s’allie aussi à celle de particuliers et privés qui ne se gênent pas pour tout vendre et tout proposer en usant des mêmes procédés. Tout dans Dakar invite à de la réclame commerciale des plus agressives. Des enseignants vont vandaliser tous les panneaux de signalisation routière en y agrafant la publicité de leurs offres de cours de renforcement. Quel exemple pour les élèves ! Le vendeur de virilité du coin va tapisser tous les lampadaires de la ville de ses solutions contre l’impuissance, les troubles érectiles, et encenser sa nouvelle formule magique pour booster la libido. Les artistes nous ont déjà habitués à draper tous les murs vierges des affiches de leurs prochaines soirées de gala, s’ils ne nous rappellent pas à coup de flyers grossiers, dressés à tout bout de rue, l’arrivée imminente de leurs anniversaires de carrière ou la célébration de quelconques faits d’armes !
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La plupart des flancs d’autoponts de la région de Dakar sont transformés progressivement en de gros babillards où des sociétés, dans des logiques commerciales et marketing, diffusent des campagnes et messages publicitaires. C’est dans le plus grand calme que des peintres et artistes habillent les infrastructures de contenu publicitaire, sans aucune matrice. La juxtaposition de toutes ces affiches est un sacré patchwork d’un primat des logiques commerciales sur la neutralité que devraient arborer des espaces communs. On me dira que les entreprises qui font de telles pratiques ont les autorisations qu’il faut. Encore une des joies révulsantes de notre si beau pays !
Pour finir, je vais préférer rire au fait d’inscrire son nom dans tous les murs de Dakar alors qu’on ne pourrait pas avoir une centaine de parrainages dans sa propre famille élargie. Puisque rien de ridicule ne peut tuer dans ce pays, les murs de notre ville continueront d’être souillés par des gens aux ego surdimensionnés dont rien ne justifie l’insolence des actes qu’ils posent. Et cela, au préjudice de tous.
saliou.diagne@lequotidien.sn