Au moment où la 13e Biennale de l’art africain contemporain invite à réfléchir sur «Une nouvelle humanité», le peintre Abdoulaye Diallo a préféré, lui, cogiter sur l’humanité de demain. Le berger de l’île de Ngor tente d’y apporter une réponse, à travers son expo qui porte le même nom et qu’accueille la Bibliothèque universitaire de Dakar dans le cadre des Off de la biennale. Plus de 47 œuvres y interpellent toutes les consciences sur les dérives de l’humanité.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, dit-on. Pour comprendre le sens de cette assertion, il suffit de visiter l’expo que Abdoulaye Diallo tient à la Bibliothèque universitaire (Bu) de Dakar, dans le cadre de la 13e édition de la Biennale de Dakar. Celle-ci s’ouvre officiellement à partir du 3 mai jusqu’au 2 juin prochain. Pourtant le peintre a déjà fini d’accrocher ses œuvres. Dans le parvis de la Bu, où elles sont dévoilées, les étudiants peuvent contempler le tout nouveau décor tout aussi «gigantesque» que «pittoresque» qui s’offre à eux. «Quelle humanité pour demain ?», l’œuvre éponyme de cette expo attire justement tous les regards. Peinte avec une technique mixte, cette œuvre est un triptyque mesurant 245 sur 740 cm. Elle résume en gros le thème de l’expo. Sur la première partie de cette œuvre, l’artiste parle des accélérations, autrement dit l’un des éléments qu’il identifie comme étant à l’origine des dérives notées dans l’humanité. Dans la seconde partie de l’œuvre, intitulée «li moo ma tiss», le peintre aborde les manifestations et conséquences de ces dérives. Et dans la troisième, il propose une solution qui n’est pour lui qu’une humanité basée sur la confiance et l’entraide.
Face aux multiples problèmes auxquels sont confrontées les sociétés actuelles et qui ont pour noms terrorisme, éco-sexualité entre autres, M. Diallo adopte une attitude provocatrice, voire choquante, quitte même à déplaire. Pour lui, il ne s’agit pas d’exposer pour simplement plaire mais aussi de dénoncer les maux actuels de la société. Ainsi dans cette œuvre, les terroristes sont représentés sous forme mi-humaine mi animale, les reins ceints par un collier d’explosifs et la bouche béante comme pour suggérer qu’ils sont fous de rage et prêts à attaquer. Avec des formes très musclées, ces loups-humains sont au nombre de 3 et apparaissent sous différentes couleurs (rouge, blanche, noire). Un étudiant en a déduit que l’auteur rappelle ainsi que les actes terroristes n’épargnent personne.
Une autre toile, intitulée «Les robots mimétiques», poursuit l’œuvre de dénonciation. Là l’artiste interpelle les consciences sur des faits concernant la robotisation. «Ces non-humains ont tendance à remplacer l’humain», indique-t-il. Et pour preuve le flux dans le web, généré à 28% par ces non-humains. Dans certains pays même, ces robots mimétiques se substituent, à plus de 20%, à la main d’œuvre humaine. Et comble de l’hérésie, la Corée du Sud va jusqu’à suggérer aux Nations-Unis de modifier la déclaration universelle des droits de l’Homme pour une déclaration des droits des robots humains. Et à l’heure où cette population de robots dans le monde fait 12 millions (c’est-à-dire à peine moins que la population du Sénégal et 2 fois plus que la population de Finlande) et que certains revendiquent le transfert de l’intelligence et de la conscience judiciaire dans les machines en créant des «juges virtuels», il n’y a donc plus matière à rire, selon l’ingénieur en télécommunications et chef de l’atelier Ecrin. Il sonne alors l’alerte.
Puisant son inspiration jusque dans l’histoire contemporaine et locale du Sénégal, Abdoulaye Diallo peint «La bête», en hommage aux victimes de la tuerie de Boffa. Il pose aussi son regard inquiet sur le plus vieux métier du monde, la prostitution, sur la toile qu’il intitule «Demoiselle de Khouroum Bouki» (Ndlr : la vallée des hyènes, nom d’un ancien quartier de Pikine). Accrochée sur les cimaises du hall de la Bu, cette dernière toile présente des formes humaines grossièrement peintes (Femmes nues et hommes nus avec visage de loup) et suscite un certain dégoût chez le public, au point d’amener la médiatrice culturelle, Ndèye Aïssatou Diop, à comparer ces hommes nus à visage de loup à des charognards. Le peintre indique que quand le monde s’emballe, et que l’humanité est interpellée, il ne s’agit plus de choquer pour le plaisir, mais de faire une critique constructive. Et l’œuvre de Abdoulaye Diallo retrouve tous son sens : «Elle propose de donner à chacun les moyens de connaitre les promesses et les menaces du monde, d’en mesurer les chances et les risques, pour y naviguer au mieux entre les écueils et rejoindre le port de son choix.»
En attendant l’inauguration de cette expo le 5 mai, le directeur de la Bu, Arona Ndiaye, la directrice de l’animation scientifique et culturelle, Marième Wane Ly, et le professeur, Maguèye Kassé (commissaire de l’expo), voient en cette expo une belle opportunité pour les étudiants de former leurs esprits et de s’ouvrir à l’art. De plus, elle contribue à l’animation culturelle et scientifique de l’université Cheikh Anta Diop.

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