Les remous dans le département de Kanel ces derniers jours, suite à la publication des listes de la coalition Benno bokk yaakaar, la bruyante audience au Palais accordée aux leaders de ce département, la guerre de positionnement entre le clan de l’honorable député Farba Ngom et celui de Daouda Dia, frère du milliardaire Harouna Dia, supposé être l’un des principaux bailleurs du candidat Macky Sall, sont les effets collatéraux de l’activisme de la Sainte alliance.

Kanel a de toujours été l’épicentre du Damga où étaient formatés les leaders et se structuraient les forces politiques en compétition dans l’échiquier départemental. Pour avoir abrité la première école française de cet espace (1909), on comprend aisément que cette bourgade a donné au Fouta ses premiers intellectuels et se prévalait d’une certaine urbanité face aux autres communes du département.
Bastion du Parti socialiste, ce sont les ténors des Verts de Colobane qui ont marqué l’histoire politique de ce territoire. Ils ont eu localement pour nom d’abord Amadou Fadima Wane, le docteur vétérinaire Amadou Hamet Wane, le géomètre-expert Amadou Sada Dia, et plus tard l’ingénieur agronome Amadou Tidiane Wane, le journaliste Abdoul Salam Kane de Kanel, Abdourahmane Touré, feu Cheikh Hamidou Kane «Matiara» de Matam, Elimane Kane de Thilogne, Abdourahim Agne de Gaol pour ne citer que ceux-là. Tous ces leaders étaient obligés de prendre le petit café à Kanel avec les grands électeurs, notables du village.
Dakar abritant le village-bis était bien sur soigneusement entretenue par les cadres à la recherche d’une base électorale, gage un tant soit peu d’une légitimité politique. Il est clair que celui qui réussissait à avoir les notables les plus influents à ses côtés (et ce jusque dans l’isoloir), avait beaucoup plus de chances de gagner le combat contre son adversaire du moment, ou de toujours. Pour l’essentiel, le renouvellement des instances du Ps et les élections législatives, communautaires et plus tard celles communales se sont révélés structurants des clans politiques électoraux.
En ces temps-là, il était impensable et inimaginable de voir un leader politique appartenant aux castes, dites inférieures, tant le conservatisme pulaar était de rigueur et si prégnante dans la vie de tous les jours. Ce conservatisme, Kanel l’a connu jusqu’à un passé récent avant la démocratisation de l’accès aux fonctions électives. Il faut dire que sur ce plan, l’école, loin d’être exclusivement celle des héritiers pour parler comme Bourdieu, s’est révélée comme un ascenseur social. Ou, à tout le moins, comme facilitateur des conditions d’accès surtout pour les citoyens de seconde zone aujourd’hui à la fois électeurs et éligibles. Mais comme le rappelait déjà il y a plus de quarante ans Yaya Wane (1969), la démocratie au Fouta a été plutôt débaptisée par dérision «Dembacratie», de l’homme anonyme Demba qui, malgré le décret le nommant à des fonctions administratives ou son élection à un poste de responsabilité, ne serait aux yeux des aristocrates (RimBe) qu’un suiviste traditionnel (Dampe Dawa).
L’avènement de l’Apr avec l’accession de Macky Sall au pouvoir a-t-elle changé la donne ? On peut le penser. Mais peut-être à son corps défendant ? En tout cas, une sacrosainte valeur de la République voudrait que tous les citoyens soient égaux devant la loi. Et à ce titre, devraient-ils tous avoir un égal accès aux fonctions électives.
Leçon bien sue. Dans le Damga où la Sainte alliance «Jaa­wanBe» et «Tallakoro» a fini de faire main basse sur tous les postes de responsabilité politique. Une sacrée révolution orchestrée en finesse et intelligence par l’honorable Farba Ngom, député à l’Assemblée nationale, et non moins ami de Mme Sall, Première dame, et griot attitré de M. Sall ci-devant président de la République et le ministre de la Formation professionnelle Mamadou Talla, ami du couple présidentiel.
Déjà au sortir des élections locales de 2014, les cadres du Fouta avaient crié leur indignation face aux agissements de Farba Ngom qui en a écrasé plus d’un qui se croyaient incontournables dans leur commune pour mettre en sellette ses propres hommes. L’ancien ministre de la Communication, Abou Lô de Sinthiou Garba, en a fait les frais.
Cependant, la Sainte alliance, soutenue par les financiers du Plan Sénégal émergeant, s’est véritablement structurée le 16 mai 2015 à Terrou-bi, précédée un mois et demi plutôt d’un déjeuner dans un hôtel huppé de la place, lors du lancement en grande pompe de «Kanel émergent» par Mamadou Oumar Bocoum (auréolé du décret le nommant en janvier de la même année, comptable des Grands chantiers de l’Etat), Haymout Daff et Mamadou Talla, Abdoulaye Hane, président du Conseil départemental et le préfet de Kanel. Sans oublier le questeur Daouda Dia et non moins coordonnateur de l’Apr dans le Kanel ! En plus d’autres notabilités politiques invitées pour l’occasion ! Du beau monde venu cautionner le projet et prêter allégeance aux nouveaux maîtres du Damga.
Une rencontre à coup de plusieurs millions dont on attend encore la suite. Plus de deux ans déjà ! Les commissions formées ( ?) par la suite et chargées de mener la réflexion sont restées aphones depuis lors. On comprend aisément qu’avec l’affaire Khalifa Sall, ce n’est pas demain la veille qu’elles restitueront le fruit de leurs réflexions, et pour cause.
Le ralliement de l’ancien directeur de Cabinet de Abdoulaye Wade, Zacharia Diaw de Sinthiane, travaillé de mains d’orfèvre par l’honorable député Farba Ngom et le ministre de la Formation professionnelle Mamadou Talla et dont on se souvient encore des couleuvres avalées par le maire de Kanel, Haïmouth Daff, empêché de prendre la parole au cours du meeting par les jeunes supposés appartenir au clan électoral du questeur Daouda Dia traduisait déjà un malaise dans le Damga. La sortie dans la presse du deuxième adjoint au maire de Kanel, Racky Billel Diallo, ayant pris ses distances avec son colistier dès le lendemain de l’installation de l’équipe municipale, et un des seconds couteaux des maîtres du Bosséa, en est une parfaite illustration.
La bruyante sortie du tonitruant Haymouth Daff, maire de Kanel, pour s’attaquer à Harouna Dia, lui prêtant un agenda caché qui trahirait ses amitiés avec Macky Sall, est de la pure intoxication pour plaire à ses nouveaux maîtres, après avoir cherché un temps à se rapprocher du frère. Elle s’inscrit, c’est un secret de polichinelle, dans le sillage de l’entreprise de destruction ou à tout le moins de neutralisation du leadership aujourd’hui contesté du premier questeur Daouda Dia. En atteste la rencontre d’un groupe de cadres de l’Apr initiée et tenue en janvier dernier dans la capitale régionale Matam par le griot du président de la République, et lors de laquelle les souteneurs de la loge du grand maître Farba avaient réussi à mobiliser, outre les 10 (sur les 12) maires du département de Kanel, le ministre Mamadou Talla, le comptable des Grands chantiers de l’Etat, Mamadou Oumar Bocoum, le président du Conseil départemental de Kanel, Abdoulaye Hane. En plus de Zacharia Diaw et de Adama Sall. C’est précisément à cette occasion que le ministre Mamadou Talla a été investi au forceps coordonnateur de l’Apr dans le Kanel et ce, en dépit du renouvellement de confiance réitéré par le président de la République lorsqu’il a reçu en audience le premier Questeur Daouda Dia. C’était en fin décembre dernier. C’est également depuis la rencontre de Matam que la Sainte alliance a décidé de ne plus reconnaître le leadership politique du premier Questeur et de surcroît sa fonction de coordonnateur départemental de l’Apr. Parce qu’il n’aurait plus la majorité des maires avec lui… Comme si l’addition arithmétique de maires pouvait traduire mécaniquement la majorité politique. Enfin, c’est mal connaître l’électeur foutanké qui n’est point «marié» avec un «son» maire et dont le comportement peut aussi être volatile. Au gré des conjonctures… et de la realpolitik.
Ces luttes entre factions politiques rivales ne sont pas sans conséquences. La situation bloquée du Sipa de Kanel (en dépit des démarches entreprises par l’honorable député sortant Mamadou Sadio Diallo) dont le démarrage tarde à commencer (3 ans se sont déjà écoulés) risque de faire perdre 200 millions de crédits non remboursables avec à la clé 150 emplois directs. Pourtant, c’est mieux que rien dans une zone où les secteurs économique et industriel n’offrent que très peu d’emplois aux jeunes réduits à l’oisiveté, source de vulnérabilité multidimensionnelle. L’inauguration de la radio Damga Fm en début janvier de cette année était pourtant une fenêtre d’opportunités, serait-on tenté de dire, pour faire taire les querelles politiciennes. Mais que nenni ! Beaucoup de soi-disant leaders ont brillé par leur absence, signe en effet de comportements fractionnistes.
Le clanisme ne serait que le résultat d’une énergie débordante des frères et sœurs de l’Apr pour le président de la République, soutient le Premier questeur lors de la tournée économique du président de la République début mars dans le Kanel. Certes, mais dans les faits elle est plutôt nuisible, car elle inhibe toute volonté individuelle ou collective de prise en charge des défis majeurs du Damga. Pour preuve, le Plan Kanel émergent (Pke) tarde à sortir la tête de l’eau et le Plan départemental de développement (Pdd) est toujours en attente de validation, alors que les prochaines élections locales sont dans 2 ans. On peut d’ailleurs valablement se demander de quel référentiel pour l’action digne de ce nom a disposé l’acteur public départemental pendant ces trois dernières années et de quelle manière celui-ci, s’il existe, s’articule avec le Pke en cours d’élaboration ? Quid de la mise en valeur du Colengal de Kanel, vaste de plus de 12 mille hectares et dont aucun des membres de ces clans politiques rivaux ne se préoccupe ?
L’appel à l’unité politique lancé déjà par le président de la République après les investitures lors des élections du Hcct et réitéré lors de l’audience qu’il a récemment accordée aux frustrés des investitures du Damga semble apparaître pour le moment comme la seule réponse politique à ces divisions. Il en est de même des retrouvailles supposées dans quelques jours entre les leaders de l’Apr de Kanel en vue de battre campagne ensemble pour faire triompher la coalition Benno bokk yaakaar. Chiche ! Pour qui connaît la modalité majeure de fonctionnement de notre système politique, le fractionnisme, le rêve de l’unité (dans la division) est sans doute permis.
En attendant, Sainte alliance et noblesse déchue de ces terroirs mènent le même combat, celui de l’asservissement des pauvres populations du Fouta, meurtries dans leur chair par l’indigence, l’état de la Rn2 et les pistes de désenclavement du Jeeri comme du Daande Maayo, les problèmes sanitaires,  les inondations (Ranérou Ferlo en ce moment même) et la déstructuration du tissu social par le phénomène de l’immigration, dont on ne sait plus s’il est un bien ou un mal nécessaire ?
A la veille des élections législatives, il n’est pas superflu de rappeler à ses Messieurs et Dames (du reste inaudibles) les profondes attentes de nos familles, nos frères et sœurs, nos parents pour une prise en charge des préoccupations essentielles : manger à sa faim, avoir un toit, se soigner et éduquer nos enfants, pouvoir se déplacer assez facilement seul ou avec son troupeau. C’est bien de cela qu’il s’agit et non des luttes fratricides pour des postes de prébendes.
Dans une semaine, les sentiers du Fouta seront envahis par de rutilants 4X4, déversant leur trop-plein de billets de banque, faisant oublier la profonde misère des populations, le temps d’une campagne. De plus…
Dr Amadou Hamath DIA
Citoyen du Damga
Sociologue de l’action publique et de l’environnement
Université Assane Seck de Ziguinchor
Amadou LY
Expert en Communication
Directeur Mca Stratégie & médias