Il y a quelques jours, en allant courir, j’écoutais la chanson de Youssou Ndour, Ligueye. Il y chantait : «Si on t’élit ou te nomme à un poste de responsabilité, tu dois montrer l’exemple.» Je crois que l’exemplarité est le premier critère d’un leadership efficace : elle permet à un leader de se faire respecter et suivre par ses subordonnés.
J’ai ressenti un malaise en voyant les images et vidéos de la tournée économique du président de la République. Peu de personnes portaient des masques ou respectaient les mesures de distanciation sociale. Au même moment, certaines parties du monde étaient en proie à une troisième ou quatrième vague, due au variant Delta. Des pays comme la Tunisie ou l’Inde, ne maîtrisaient plus rien.
La situation sanitaire aurait voulu que le Président annule ou suspende ses tournées économiques. Je ne suis ni un médecin ni un virologue. Aussi ne pourrai-je pas affirmer si ces tournées économiques sont à l’origine de la troisième vague. Cependant je suis d’avis que la prudence aurait recommandé d’éviter attroupements et autres meetings jusqu’à des lendemains meilleurs.
Les populations ont reçu un mauvais signal des politiques. Elles se sont interrogées : pourquoi les politiques nous demandent-elles des sacrifices qu’elles ne se sentent pas obligées de faire ? Pourquoi est-ce toujours à nous de subir les conséquences de leurs actions ?
La principale leçon que les politiciens doivent apprendre du Covid est le devoir d’exemplarité, d’intégrité et surtout de faire ce qu’ils disent. La population sera ainsi plus encline à accepter les sacrifices temporaires qu’ils leur demandent parce que sachant que c’est pour des lendemains meilleurs.
Au début de la pandémie, j’avais écrit une chronique intitulée Leçons du Covid pour le Sénégal. J’y suggérais des mesures à mettre en place pour améliorer le quotidien des Sénégalais. Ces mesures permettraient aussi de combattre plus efficacement la maladie.
L’on parlait à l’époque de confinement. J’étais très sceptique parce que la plupart des Sénégalais sont mal logés. Ils s’entassent à plusieurs dans des appartements et chambres exigus. Dans certains quartiers, parler de confinement ou de couvre-feu est un leurre. Quand une maison accueille le triple ou quadruple des personnes qu’elle aurait dû accueillir, demander à ses occupants de rester chez eux sera difficile, pour ne pas dire impossible.
L’Etat doit se demander : comment améliorer la situation du logement au Sénégal et permettre qu’il soit accessible, à un prix modique, à l’ensemble de la population ? Cela commence par combattre la spéculation foncière, le prix du mètre carré de terrain coûte excessivement et anormalement cher à Dakar. C’est au gouvernement de réguler tout cela.
Une politique de logement à bas prix aiderait aussi les couches défavorisées à bien se loger. Cet effort a été impulsé aux lendemains des indépendances avec les Sicap, ce qui a permis à beaucoup de Sénégalais d’acquérir leurs propres logements. Cette politique doit être reprise.
Il y a pas loin de chez moi, une dame qui vend du tiakry. Le soir, son étal est bondé : beaucoup de personnes y font la queue pour acheter leur dîner. Si tu ne vis pas ou n’as jamais vécu ces conditions, tu peux avoir l’impression que les Sénégalais sont indisciplinés et qu’ils ne respectent rien. Cette pensée est erronée.
Mettons-nous à la place du Sénégalais qui travaille dans l’informel. Il gagne sa vie au jour le jour, il descend tard. A sa descente, il trouve difficilement un bus Tata ou Ddd. Il est normal qu’il brave le couvre-feu pour se procurer de la nourriture.
La précarité de la vie de la majorité des Sénégalais fait qu’il leur est difficile de penser à long-terme. Aussi, si leurs conditions de vie ne sont-elles pas améliorées, il ne pourrait leur être demandé de respecter des règles difficilement applicables pour une personne vivant dans la précarité. Si j’ai rempli mon frigo de nourriture, si je suis abonné au Wifi, si chaque membre de ma famille dispose de sa propre chambre, il me sera facile de respecter le couvre-feu.
Cependant, pour la majorité des Sénégalais qui n’ont pas accès à ces conditions favorables, ils ne pensent qu’à leur survie. Parfois, les difficultés de la vie entraînent que nous ne nous soucions plus de la mort. Nous avons l’impression d’être déjà morts, que nous ayons le Covid ou pas, cela ne changera rien parce que nous sommes en proie au désespoir.
C’est pourquoi il est important d’améliorer le quotidien des Sénégalais. C’est ainsi qu’on les aidera à devenir plus disciplinés, à pouvoir penser à demain plutôt que toujours se soucier d’aujourd’hui.
Je ne dis pas que tout est de la faute de l’Etat. Cependant, il a le devoir d’être exemplaire : avant de demander des sacrifices à la population, il doit d’abord montrer l’exemple. S’il diminuait son train de vie et utilisait l’argent épargné pour améliorer le quotidien des populations -santé, systèmes de transport public de qualité, logements, éducation-, ces dernières seraient plus enclines à se sacrifier.
Mais si les acteurs étatiques continuent à faire comme bon leur semble, terrés dans leurs superbes villas, la population ne respectera pas leurs paroles, ne mettra pas en application les mesures gouvernementales.
Je ne serai jamais d’accord avec l’indiscipline, car je croirai toujours que sans discipline, point de développement. Mais la discipline doit être collective, et les premiers qui doivent montrer l’exemple, doivent être les acteurs au sommet de l’Etat. C’est ainsi que la population suivra leurs exemples. Plus vite ce sera compris, plus rapidement le Sénégal avancera et dépassera le stade actuel.
Je me refuse à juger les populations parce que je sais que la plupart d’entre elles vivent dans la précarité, la promiscuité. Cela doit d’abord être résolu avant de les indexer.
L’Etat peut grandement y contribuer : il ne peut résoudre tous les problèmes mais il peut montrer l’exemple en diminuant son train de vie, et utiliser cet argent au profit des populations nécessiteuses. Il doit développer davantage l’Etat-providence afin que les populations, même pauvres, puissent disposer du minimum nécessaire.
S’il entreprend toutes ces actions, il sera surpris par comment les Sénégalais réagiront : ils deviendront plus civiques, plus disciplinés, paieront leurs impôts, respecteront volontairement les mesures étatiques. Que l’Etat soit exemplaire et ait le souci de la population, et il méritera la confiance de la population. Si le Covid devait amener cette prise de conscience, cela ferait avancer grandement le Sénégal.
Moussa SYLLA