Par Serigne Saliou DIAGNE –

Le Sénégal aura rarement enfanté un fils aussi tortueux, adepte du ridicule et maître de la couardise qu’en la personne du leader de l’ex-parti Pastef. Il a rarement été vu un homme qui a crié son courage devant tous les micros et podiums, qui a fait de la défiance, de l’insolence et de l’outrage ses fonds de commerce, puis se dégonfler de la sorte. Le fait que Sonko soit têtu dans sa conspiration ne dérange pas, mais l’entêtement d’une meute à le suivre, de surcroît de sérieux intellectuels, est pénible à voir. S’il ne reste plus qu’au tout-puissant Ousmane à se réfugier dans les jupes de ses épouses pour plaider une clémence et tenter de tirer une fibre empathique, ou si sa dernière carte est la publication d’une tribune par un conglomérat d’intellectuels aux arguments des plus intéressés qu’ils maquillent sous des notions grandiloquentes de respect des droits humains et de soumission au jeu démocratique, le jeu est perdu d’avance pour le Gandhi du Pavillon spécial de l’hôpital Principal.

En parlant de ces intellectuels, le zèle que certains d’entre eux, originaires du Burkina Faso, ont à signer des tribunes sur le Sénégal, tout en détournant le regard de ce qu’expérimentent des «bébés Sankara» dans leur pays d’origine, a de quoi faire rire. Signer une tribune sur le respect des droits humains et la démocratie au Sénégal alors que ça ferme des médias à Ouagadougou, il faut oser !

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Tout d’abord, l’état de santé du détenu Ousmane Sonko dont un agenda vise à faire coûte que coûte un sujet au centre de tout, est à déconstruire. La détérioration de l’état de santé de Ousmane Sonko, si elle est avérée, part du choix de cet individu de se priver volontairement de nourriture comme forme de lutte pour améliorer son sort. Pourquoi voudrait-on que le choix personnel d’un individu, pris dans une situation, soit considéré comme alarmant aux yeux de l’opinion alors que nul n’impose à cette personne une telle voie ? On ne me dira pas que l’Administration pénitentiaire, d’une quelconque manière, empêche Ousmane Sonko de manger ou essaie d’une quelconque manière d’attenter à son intégrité physique. Les lieux de détention sénégalais sont remplis de milliers de gens qui ne bénéficient pas de l’attention, du suivi ou de la précaution dont jouit Ousmane Sonko. Ceux-ci ont des santés qui peuvent être fragiles, ils ont des proches qu’une détérioration de leur santé pourrait inquiéter et ont les mêmes droits quant au suivi sanitaire et à l’assistance. Pourquoi doit-on accepter de tomber dans le piège de Ousmane Sonko et de ceux qui le conseillent, en faisant de son pronostic médical une matrice du débat public ? Qu’est-ce qui justifie que la santé du détenu Ousmane Sonko soit plus importante que la santé de n’importe quel autre prisonnier sénégalais ? Pourquoi accepter un traitement différencié pour un individu qui, si on se fie aux faits qui lui sont reprochés, a coché toutes les cases d’un ennemi domestique qu’il faut plutôt combattre que chercher à ménager ?

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Le jeu en cours ne trompe personne, tout est mis en place pour constituer à Sonko un dossier médical des plus alarmistes. Des sorties du parti Pastef aux fuites dans la presse, en passant par les déclarations des activistes encartés de la Société civile, tout est mis en œuvre pour émouvoir l’opinion et trouver, par un subterfuge, un moyen de tordre encore une fois les bras de la Justice. Les renforts qui sont utilisées à travers les médias internationaux pour exposer hors des frontières les informations sur son état médical, sont d’une grossièreté telle que tout observateur voit de loin l’implémentation d’une stratégie de communication maladroite. La visite de quelques leaders de Yewwi askan wi au Khalife général des Mourides est un autre acte, tout comme la pièce jouée par les épouses de Sonko sur le web sénégalais pour davantage émouvoir ou développer un sentiment de commisération.

Il n’y a pas meilleur moyen de siffler la fin d’une grève de la faim que de prétexter recevoir un ndigël, avec des dattes à l’appui, du Khalife général des Mourides, pour prétexter rester dans la voie des braves et des fiers guerriers de l’islam. Le khalife dont on acquiesce tout ouïe à son «injonction» de se nourrir, est le même que Sonko et ses sbires tançaient par paraboles à plus d’une fois. On aura vite oublié que c’est un Ousmane Sonko ragaillardi qui disait, dans ses déclarations en direct, qu’aucun des khalifes généraux ne lui demande de faveur ou l’invite à une quelconque forme de clémence dans son «Mortal Kombat» avec Macky Sall. Que le temps peut mettre à nu ! De «gatsa gatsa» à «Mbacké sauve-moi», la soif et les gargouillements d’estomac ont eu raison de la fougue insolente de Sonko. Qui l’eût cru ! On aurait aimé voir un entêtement poussé jusqu’au bout pour emprunter aux cyniques leur mode de raisonnement.

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La sortie des épouses de Ousmane Sonko concourt aussi à cette théâtralisation d’un dossier judiciaire qu’on voudrait vider de toute sa substance grave pour en faire une banale affaire de persécution d’un opposant. Tout le script répond à cette exigence de faire triompher les larmes et empêcher de penser ou d’interroger les faits. Des épouses vêtues de voile, mimant la posture de Lingéér dévouées à un époux vaillant, sont venues quémander balle à terre, pour absoudre leur champion. Elles auraient été crédibles si dans tous les errements, abus, déclarations outrancières et actes scandaleux de leur mari, elles avaient au moins une fois rappelé ce dernier à l’ordre. Je me rappelle qu’en mars 2021, après que les péripéties de la convocation de leur époux avaient fait une dizaine de morts, elles trônaient fièrement depuis le balcon de leur résidence sous les vivats d’une foule de militants. Des gens qui dansent sur une pile de cadavres à la libération d’un époux instigateur de tout un grabuge, ne peuvent appeler à une commisération.

La tribune de nos intellectuels qui ne se gênent pas quand l’occasion se présente, de cracher sur le Sénégal, est aussi une pièce voulant travestir les bases du débat. Le parti Pastef a été dissous non pas pour mettre à carreau une force politique, mais pour mettre hors d’état de nuire un groupe qui, devant tous, n’a cessé d’exprimer ses velléités insurrectionnelles.

Ousmane Sonko est en prison parce qu’il a été le maître, l’instigateur et le harangueur de toute une dynamique insurrectionnelle, guerrière, criminelle et terroriste qui a fait des morts et des dégâts qu’il faudra tirer au clair. Des intellectuels, dans le confort de leurs intérêts et baignant dans les douces contradictions de leur lot d’insécurités et compromissions, peuvent signer une tribune cherchant à absoudre de tout péché le taureau sur lequel ils ont misé pour tout renverser et donner vie à leurs utopies. Ils ne peuvent pas se réfugier dans l’argumentaire des libertés bafouées et d’une montée de la dictature quand leur taureau fou est pris par les cornes et que son élan criminel est freiné net.

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Il est une chose de promouvoir un humanisme, mais ç’en est une autre de fermer volontairement les yeux à la vérité pour sauver quoi qu’il en coûte votre poulain. La République que certains de nos intellectuels ne cessent de chahuter et caricaturer pour bien se faire voir d’un homme et son clan, ne mérite pas tous les affronts qu’ils lui font subir. Le terrorisme de la pensée aura émasculé bien des intellectuels sénégalais. Il est dommage que le règne de la peur et la dominance de l’insulte dans la sphère publique aient fait d’eux des bêtes brutes, refusant tout usage critique de leur pensée pour l’arrimer aux pires logiques partisanes dont l’avènement de Ousmane Sonko et son parti Pastef sont les sources premières.

Si je peux concéder à Sonko une victoire, c’est celle d’avoir terrorisé de brillants penseurs, après avoir clivé complétement la société sénégalaise, pour en faire des laudateurs qui troqueraient leurs carrières, leur honneur et leur intégrité pour le défendre corps et âme dans tous les scénarios bordéliques où il s’empêtrera. Cette part d’absurde qui a converti des esprits libres en de lâches intellectuels, est un regret que doivent partager beaucoup de Sénégalais.

saliou.diagne@lequotidien.sn