«Il est des circonstances où se taire est mentir.» On attribue ces propos à Miguel de Unamuno, philosophe, qui (a) passé (sa) vie à façonner les paradoxes et qui venait «d’entendre un cri morbide et dénué de tout sens : vive la mort !». C’était à la suite d’une apologie à la mort par un Général sous le régime franquiste.
Cela, pour dire qu’il y a des circonstances où il est nécessaire de faire entendre, de dire ses vérités, surtout quand il est question d’alerter pour le présent et pour le futur qui engagent la Nation et les générations à venir.
L’actualité trépidante de ces derniers jours à propos d’affaires ou prétendues telles a aussi mis en relief, dans ses «marges de silence» pourtant bruissant qui affleurent dans certains écrits et voix la question, à certains endroits, les relations sujettes à interrogation entre la presse et la justice. Une situation qui somme d’interpeller et d’alerter. Dans ce pays, il est temps d’en finir avec les utilisations à des fins inavouées, tronquées et trompeuses, parfois sur la base d’intérêts personnels, d’un métier aussi noble et exigeant en éthique et en déontologie que le journalisme.
Il est facile de constater, depuis quelque temps, combien en pleine pandémie de la Covid-19 qui aurait dû mobiliser les énergies individuelles et collectives, que le pays bruit de prétendus scandales sur fond de produits et de productions issues d’officines de mensonges et d’impostures.
Il suffit d’un œil avisé et d’une perspicacité cognitive pour situer la provenance de certaines informations ou supposées comme telles. Hélas, quelque fois de milieux du Temple de Thémis, parfois en des formes qui frôlent des violations de dossiers en instructions judiciaires. Certes il existe chez tout journaliste le désir et même l’exigence d’informer, de dévoiler ce qui se voile, mais encore faut-il que ce qui est diffusé reflète les faits les plus têtus afin de servir la bonne cause de la justice et du justiciable, mais aussi qui renforce la crédibilité du journaliste.
Or à la vérité, il existe des hommes qui ne rendent pas à cette cause du journalisme toute sa noblesse. Cela mérite une réflexion courageuse. La prise de parole et les écrits de certains qui habitent la sphère des médias ne sont pas, hélas, de nature à protéger la profession contre les doutes, les soupçons et les suspicions.
Cheikh Yérim Seck, qu’on le dise ou qu’on le taise, fait partie de cette réduite galaxie dans la presse. Beaucoup de Sénégalais, instruits par son récent passé et par ses faits d’armes auparavant à Jeune Afrique, qui n’est pas la bonne école de la vertu du journalisme, réagissent souvent outrés à ses écrits et prises de parole. Il y va souvent avec une hardiesse assortie quelquefois de menaces sidérantes. Mais quelle est donc la main judiciaire qui le rend si hardi ?, se demande-t-on.
Dans quelques chaumières dakaroises où les confidences sont comme des fumées qui s’échappent sous les portes les plus closes, il paraît que Cheikh aime faire étalage de ses relations «fraternelles» avec le plus puissant des procureurs du Sénégal. De là à alimenter des suspicions sur des relations professionnellement incestueuses…
Dans tous les cas, il importe dans ce pays d’écouter ceux qui méritent vraiment de l’être, de faire confiance à des porteurs de dignité, d’exemplarité, de probité intellectuelle. Bref, ceux qui méritent d’être sur les langues de la postérité.
Par ailleurs, même si «les occasions de conflits ne manquent pas, l’enjeu d’une relation équilibrée, respectueuse des contraintes et des règles déontologiques de chacune des parties dépasse les clivages socioprofessionnels. Journalistes, avocats et magistrats sont chacun à leur manière les chiens de garde de la démocratie. Leur alliance bien comprise, dans le respect des contraintes comme des fonctions des uns et des autres, ne peut que la renforcer»* (voir ci-dessous).
Autant donc relever la nécessité d’approfondir les relations plus normées entre la presse et la justice, deux piliers qui sont gardiens et protecteurs des libertés, même s’ils se font parfois méfiance à juste raison.
Toutefois, la presse ne doit en aucun cas servir de bras armé à la justice ; autrement les causes justes sont sous coupe réglée et le danger plane comme une épée de Damoclès sur tout citoyen dans quelque situation où il se trouve, dans quelque lieu où il cherche son chemin de vie.
Et qui plus est, l’arme du chantage, surtout quand elle est dans la géhenne de l’impunité, n’est pas celle qui sied à la plume du journaliste. Le chantage et l’imposture sont des virus plus mortels que la Covid-19 et pour la presse et pour la justice.
En la matière, la perception que l’opinion a de notre justice et de ses connexions est fondamentale. Tout comme la crédibilité et la confiance qu’elle doit nourrir envers la presse. Ce sont des ingrédients essentiels, des anti-virus pour empêcher la maladie de la presse et de la justice. Surtout en cette époque de quête de l’émergence fondée aussi sur l’équité sociale, la promotion d’une économie plus résiliente, éléments constitutifs avec d’autres d’une nouvelle politique en marche depuis 2012.
Quand on dit qu’il faut éclairer les rues, les avenues et les villes, il faut aussi et surtout éclairer les esprits. La presse et la justice doivent y apporter leur part de lumière. Par le respect de la loi et de l’équité. Par l’information juste et vraie.
Soro DIOP
Les Cahiers du journalisme n°8. Décembre 2000. «Les relations entre presse-justice. Le cas des journalistes spécialisés.