J’ose croire que le texte de M. Saliou Yatte (Le Quotidien, Mardi 11 Février 2020), professeur d’anglais au lycée de Dodel, département de Podor, n’aura pas la prétention de passer pour une analyse. Il se contentera surement de l’attribut de «Cri du cœur» d’un éducateur désemparé par les contre-performances de son système éducatif, mais pas assez audacieux pour interpeller tout le système et ses acteurs, ni assez prudent pour s’aventurer dans un espace qu’il ne maîtrise guère.
Une analyse est une étude approfondie des éléments constitutifs d’une situation, d’une entité ou d’un phénomène pour établir les relations logiques internes qui fondent sa cohérence et facilitent sa compréhension. C’est cette structure interne qui révélera entre autres relations, celles de cause à effet, de contradiction ou de complémentarité entre ces éléments constitutifs. Le souci d’une telle analyse rigoureuse nous aurait épargné un titre catastrophiste dont le développement manque de substance, une carence que l’auteur n’a su combler que par des banalités du «National Syllabus» (Programme national d’anglais) que les praticiens avertis savent bien. Il nous aurait aussi fait l’économie d’une confusion conceptuelle entre un produit et son processus, entre enseignement-apprentissage et évaluation, entre les diverses déclinaisons du National Syllabus c’est-à-dire entre les a priori conceptuels et la prise en charge de leurs implications méthodologiques par les enseignants, les formateurs dans un cadre institutionnel et infrastructurel porté par l’Etat. L’autre forme d’indigence analytique de l’article de M. Yatte procède d’une tendance à la parcellisation et à la fixation pathologique sur un élément (la discipline) sans avoir le souci de l’intégrer dans l’environnement dont il est tributaire. Comment peut-on valablement évaluer une discipline sans l’intégrer dans le système éducatif qui la porte ?
Les résultats d’examens sont des indices synthétiques, des révélateurs de performance dont l’analyse sourcilleuse des processus en amont doit interpeller la formation des enseignants, leur maitrise de la discipline enseignée, le respect des quotas horaires, l’appropriation judicieuse des concepts et principes qui orientent les pratiques de classe. Voici quelques faits irréfutables et réflexions irrécusables d’observateurs avertis de l’éducation qui nous donnent la vision globale qui peut porter une analyse crédible :
«6 000 abris provisoires !» (L’Observateur, Novembre 2016)
«Il y a trop de grèves. Sur les 900 heures, c’est à peine si l’élève sénégalais en fait 600 !» (Dame Mbodj, syndicaliste, Enquête, 23 juillet 2014).
«Ces élèves-là n’ont fait que deux à trois mois en seconde ou première.» (Kader Ndiaye, Cosydep, Op.cit)
«Comment voulez-vous avoir de bons résultats si n’importe qui peut devenir enseignant ?» Abdoulaye Ndoye, Cusems, 13 aout 2014.
«Le français étant la langue des apprentissages, s’il n’est pas maîtrisé, l’ensemble des autres ap­prentissages en souffrira.» (Pr. Moussa Daff, Facl, Le POP, 8 août 2014).
«Aucun projet pédagogique ne peut se passer d’une réflexion autour de la langue qui le porte, surtout lorsque le projet est profondément malade, voire agonisant.» (Pr. Emmanuel Magou Faye, Fastef, Le POP, 8 août 2014)
La formation des enseignants a été compromise dès la parution de corps émergents non encadrés par une formation continue et soutenue par la Fastef et L’Inspection générale (Igen), toutes deux sevrées de moyens d’action et de déploiement sur le territoire national. Cette tare congénitale nous vaut des enseignants qui confondent syllabus prescrit, syllabus instruit et syllabus acquis. Que dire d’une formation à distance montée expéditivement pour endiguer la révolte syndicale et résorber le déficit en développement professionnel ? Que dire du dépérissement du corps des Inspecteurs de l’enseignement moyen secondaire, dont le dernier rescapé en anglais ira à la retraite cette année ? Que dire des ravages du «quota sécuritaire» manipulé politiquement pour caser des individus qui n’auraient même pas dû être des surveillants d’école ? Voilà des erreurs ou errances qui se paient au bout d’une génération. Les enfants formés par le système des vacataires en 2004/5 sont aujourd’hui en 3e ou Seconde ! Que dire de la gestion pédagogique des Crfpe, coquilles vides, objets de convoitises dont la Fastef et l’Igen ont été évincées par des lobbys qui se sont découvert des vocations didactiques dès l’annonce du projet par l’Usaid ?
Le titre de Monsieur Yatte est un réquisitoire qui ne dit pas son nom, contre les acteurs et décideurs de l’anglais au Sénégal dont je fais partie. Formés dans les meilleures universités d’Améri­que, d’Angleterre et du Canada, ils ont une expertise et une expérience qui ne souffrent d’aucun complexe devant qui que ce soit, d’où qu’il vienne, fût-il un consultant au verbe haut et savant de la prestigieuse Albion ! Nos jugements de valeur doivent toujours être l’aboutissement d’une analyse rigoureuse, d’une collecte de données ou de faits crédibles. C’est ainsi que le 3 décembre 2016 à Diourbel, mes étudiants élèves-professeurs Caes (Niveau Maitrise) et moi-même avions présenté au Congrès des Professeurs d’anglais nos résultats de recherches exploratoires sur le Bfem en anglais dans un cadre systémique. En effet, en vue de démontrer la valeur prédictive et transversale de notre recherche, nous avions collecté à Kolda des données pédagogiques et académiques en classe de CM2, pour comparer une école privée et une école publique. Les résultats avaient révélé un décalage significatif entre les performances d’une école privée tenue par des enseignants bien formés et une école publique tenue par un personnel de moindre qualité, exposé aux vicissitudes d’une école publique indigente, instable et démotivée. Cette même étude a présenté de nouveaux formats d’épreuve révolutionnaires inspirés par la taxonomie de Bloom et Krathwohl (1956, 2001), capables de réaliser des taux de couverture programmatique jamais atteints et une meilleure validité de construit (adéquation entre la théorie de l’Approche Communicative et le format de l’évaluation).
Je suis fier de déclarer que notre recherche préfigurait en 2016 les préconisations de l’atelier de validation du format du Baccalauréat par les Inspecteurs généraux tenu les 21 et 22 septembre 2018 à l’Office du Bac : notre recherche était en avance de deux ans sur le Bac et de quatre ans sur le Bfem ! Aujourd’hui, cette recherche quantitative est à sa phase décisive d’évaluation à l’échelle nationale et les résultats seront présentés à tous les acteurs et j’espère que Monsieur Yatte y sera pour percevoir la clarté que procure une analyse rigoureuse éloignée des slogans de salon, et l’humilité qu’impose l’inexpérience devant un travail d’équipe de neuf professeurs pendant quatre ans.
Que faut-il attendre de la prochaine rencontre des anglicistes le 7 mars 2020 ? Le Graal surgira-t-il des ténèbres pour nous sortir de l’impasse ? Je ne saurais le prédire. J’espère seulement qu’au-delà des sempiternelles complaintes sur «la difficulté» des épreuves, nos jeunes collègues auront d’abord l’honnêteté de reconnaitre la faiblesse du niveau disciplinaire et didactique des professeurs. Ensuite, qu’ils nous proposeront des alternatives qui dépassent celles qui existent déjà et qui ont été présentées à Rufisque le 19 décembre 2019 sous le titre «Meeting the Challenges of National Exams» !
Dédié à toute l’équipe de conception de la recherche et de la première mise en œuvre : N’deye Coumba Barro, Maimouna F. Souaré, Seydou Keita, Feu Mamadou Ngom, Dr. Saadibou Diagne, Shane Sanders, Sokhna Fall et Sagar Diop (Lycée Blaise Diagne).
Mathiam THIAM
Fastef, Inspecteur Général (Anglais)