Il fut un temps où Madièye et ses camarades de l’Aj/Pads, alors dans le gouvernement de Wade (de 2000 à 2007), étaient confrontés à un choix face à l’approche des Législatives de 2006 et de la Présidentielle de 2007. Madièye avait alors produit une contribution appelant la Gauche à une alliance avec Wade. On était alors au sein de la Gauche, sans sectarisme vis-à-vis de ceux qui étaient au pouvoir, dans une dynamique inclusive de recherche de l’unité, avec l’initiative du ‘’Mouvement des Assises de la Gauche’’. Voici ce que Madièye disait : «La Gauche ne saurait, d’emblée ou par principe, rejeter l’opportunité d’«un nouveau pacte pour un nouveau compagnonnage» avec Wade et ses partisans», pour disait-il, «empêcher la restauration de l’ancien régime, de promouvoir l’approfondissement de l’alternance et la concrétisation toujours plus poussée des attentes populaires essentielles». (Cf. Le Soleil du 11-12 février 2005). Je lui répondais, entre autres arguments, «… En vérité, il ne peut s’agir, dans une telle alliance, que de perpétuer l’hégémonie libérale sur l’espace politique et sur les forces de Gauche. Si une telle alliance se constituait, ce serait signer l’arrêt de mort de cette gauche-là qui accepterait d’aller à Canossa. Et cette fois-ci, elle n’aurait même pas l’excuse d’avoir été trompée de bonne foi. Elle se serait compromise en toute connaissance de cause, éduquée qu’elle a été par sa propre expérience. Elle aura fait son choix !» Celui d’«accepter de se dissoudre dans une majorité décidée à avaler sans état d’âme tout ce qui bouge sur le chemin de sa pérennisation au pouvoir.» (Ma contribution parue dans les quotidiens Le Matin, Le Journal, WalFadjiri et Taxi, en date respectivement des 23, 25 février et 18 mars 2005)
Ce qu’il est advenu de l’Aj/Pads et du Pds en 2007, après l’échec des Assises de la Gauche, et la scission qu’ils ont opérée pour créer Yaw/Pap (mai 2008), éclaire définitivement sur l’invalidité de l’option que Madièye nous avait proposée à l’époque.
Aujourd’hui, après avoir quitté la Cds pour se radicaliser avec l’opposition, le voilà qu’avec ses camarades de Ferñent, des Fodé Diagne et Guy Marius Sagna qui ont fusionné avec eux (2013), il dissout son parti, Yoonu askan wi/Mouvement pour l’Autono-mie populaire (Yaw/Map), dans Pastef.
Ces agissements de Madièye avec ses camarades ne sont pas chose exceptionnelle. Ils ne constituent pas un accident dans leur parcours politique, mais s’inscrivent plutôt dans une continuité. Il en a été ainsi en 2011, lorsqu’il a fallu dans Bennoo siggil Senegaal, œuvrer pour le choix d’un «candidat de l’unité et du rassemblement», conclusion retenue lors du séminaire du 28 mai 2011, pour la Présidentielle de 2012, parmi les acteurs des Assises nationales, Madièye et ses camarades de Yaw/Map ont rompu l’entente qui unissait les forces de la Gauche historique (Ld, Pit, Rta-S, Udf/Mbooloo mi) pour monter, avec quatre autres partis, une entité dissidente, appelée «Bennoo alternative 2012», pour le choix d’un candidat alternatif. A l’époque, j’avais élevé la voix pour dénoncer une telle démarche dont la finalité était d’affaiblir Bss, surtout après la sortie de Jëf-Jël de Talla Sylla qui, peu de temps avant, avait créé son ‘’Bennoo taxawal Senegaal’’. Voici ce que je leur disais : «Comment peut-on parler de «transcroissance» ou de «dilatation» de Bennoo si l’opération, dans sa réalisation, exclut de fait 27 partis et organisations sur les 32 signataires de la déclaration du 28 mai, ayant acté leur engagement ferme pour la candidature de l’unité et du rassemblement ? Ne faudrait-il pas plutôt parler de rétrécissement (5 Bennoo + Société civile) en lieu et place d’un véritable élargissement (32 Bennoo + Société civile) ? » (cf. ‘’Lettre aux amis de Benno siggil Senegaal engagés dans l’initiative de Benno alternative 2012’’ -El H. Momar Sambe- 5 août 2011).
La suite, on la connaît. Leur choix n’a pas pu prospérer et, après ces errements, Madièye et Yaw/Map vont revenir dans la dynamique autour de la candidature de Moustapha Niasse, choisie par Bss, et renouer avec les forces de Gauche (Ld, Pit, Rta-S, Udf, Ordc), à qui il avait tourné le dos.
C’est ainsi que nous avons repris, ensemble, le processus ininterrompu d’unification de la Gauche entamé, dans sa deuxième phase (après l’échec de la phase des Assises de la Gauche 2006-2007) en 2011, dans le contexte de tenue du Forum social mondial à Dakar. C’est cette dynamique qui aboutira à la mise en place de la Cds en février 2015.
Ensemble donc, nous sommes allés à la Présidentielle de 2012 autour du candidat Niasse, au premier tour et du candidat Macky Sall, au second tour, sous le drapeau de Benno bokk yaakaar. C’est donc ensemble que nous avons œuvré pour porter Macky Sall au pouvoir. Mais, toujours impatients à faire émerger la Gauche, ils ont, dès l’année 2015, conçu et développé une stratégie en direction de l’élection présidentielle devant se tenir en 2017, si le mandat du Président Macky Sall devait durer 5 ans.
Tombant encore dans leur péché mignon de démarcation, Madièye et ses amis conçurent le projet, sans bilan du compagnonnage dans Bby, de trouver un «candidat alternatif de Gauche pour la Présidentielle», disaient-ils. Ainsi, ils entamèrent, dans cette perspective, des consultations séparées, avec les différentes composantes de la Cds.
Encore une fois, cette stratégie n’aboutit pas, le prolongement du mandat de Macky de 5 à 7 ans aidant. Ils restèrent donc dans la Cds, mais en 2016, avec le référendum en vue, Yaw/Map se démarqua encore de la Cds pour conduire une politique parallèle, contraire à celle de toutes les autres composantes de la Confédération, pour aller s’allier avec l’opposition (Pastef, Taxaw-Temm, Rnd, etc.) pour créer Wattu Senegaal, dans l’objectif, selon eux, de faire respecter les règles du Code électoral. La suite est connue, Yaw/Map a fait campagne avec l’opposition pour le Non, au référendum de mars 2016. Ce parcours ruine définitivement les prétentions de Madièye, proclamant qu’ «aucune organisation, dans notre pays, n’a fait plus que Yoonu askan wi pour l’unification des forces de gauche…» (Le Quotidien du samedi 30 octobre au lundi 1er novembre 2021)
Ces pratiques successives de démarcation-retour au sein de la Gauche ou de cadre plus large, Bss et Bby, traduisent une ligne politique instable et une nature idéologique faite d’impatience petite bourgeoise, consistant à agir non selon le principe de «l’analyse concrète d’une situation concrète» traduisant le rapport des forces du moment, mais selon ses désirs et sa volonté.
Or, quelles que soient la légitimé et la noblesse de l’objectif visé, si les conditions, les réalités ne sont pas mûres pour secréter une telle option, celle-ci risque d’échouer. Et, ni les raccourcis, ni les ruses, par rapport aux réalités objectives (indépendantes de notre volonté), ne la feront advenir. Pire, l’impatience petite bourgeoise, option subjective par essence, risque même de faire tomber dans l’aventurisme, avec son lot de violence destructrice et de morts, et de différer pour longtemps encore la réalisation victorieuse de la révolution sociale libératrice à laquelle nous aspirons.
C’est ce mal, le Gauchisme, qui affecte la pensée politique de Madièye et ses amis et les empêche de voir, en toute objectivité, que les raisons évoquées pour justifier leur alliance avec Wade dans son gouvernement de 2000 à 2007, devraient les amener à considérer, ne serait-ce que par simple probité intellectuelle, que l’option des forces de Gauche de la Cds, alliées de l’Apr dans Bby avec laquelle ils ont rompu, est fondée non sur des intérêts mesquins, alimentaires, mais bien sur des convictions politiques, en rapport avec l’objectif ultime de la révolution sociale liée à la défense des préoccupations immédiates des masses ouvrières et populaires. Nos divergences donc devraient être traitées sur le terrain des options politiques, non pas sur celui futile de ceux qui ne pensent que par le ventre et qui ramènent toute question politique à un problème de gain. En effet, selon Madièye : «Diverses composantes de la «gauche sénégalaise», et pas des moindres, ayant depuis lors succombé à l’appât des pouvoirs prédateurs (Souligné par nous), ont fini par capituler avec armes et bagages, à l’appel des sirènes des régimes Diouf, puis Wade et Sall.» (Madièye Mbodj ‘’De la Gauche qui se meurt à la Gauche qui vit !’’)
N’est-ce pas Madièye qui prônait en 2005, l’approfondissement de l’alternance, le «Siggil alternaas», en s’appuyant «sur tous les acquis enregistrés en vue de les élargir et les pérenniser, redresser et dépasser les limites de taille identifiées, notamment ‘’en matière de gouvernance démocratique et républicaine, de justice sociale, d’équité, de valeurs et de comportements éthiques’’, loin de toute dynamique de restauration de l’ancien ordre politique.» (Cf. Contribution de Madièye : «La gauche à la croisée des chemins», Le Soleil du 11-12 février 2005).
Ce qu’il s’accordait comme justifications politiques pour rester avec son parti dans l’alliance avec Wade au point d’appeler au renforcement de celle-ci, il le refuse aux autres forces de Gauche, notamment celles organisées dans la Cds et qui sont restées dans Bby. Quelle est la cohérence d’une telle posture ?
Or, il n’y a aucune commune mesure entre le régime de Wade que défendait Madièye et ses amis (2000-2007) et celui de Macky Sall de 2012-2019 ! J’invite Madièye et ses amis à accepter de faire l’exercice auquel on les avait conviés quand ils ont manifesté des velléités de quitter la Cds, et de quelle manière ! (j’y reviendrai). Il s’agit, selon une démarche scientifique, de faire l’évaluation des politiques publiques délivrées pour les masses populaires dans tous les domaines, en prenant comme situation de référence ce que le régime de Wade nous a laissé en partant (2012).
Tout militant de gauche, tout progressiste dans ce pays et dans le monde, intéressé par le sort des masses populaires, doit se poser ces questions pour apprécier les politiques en cours dans son pays : est-ce que, dans les conditions historiques données (niveau de conscience des forces sociales porteuses du projet de libération sociale, état des forces d’avant-garde) aux plans international et national, ces politiques vont dans le sens d’améliorer les conditions de vie des masses ou non ?
Est-ce que les masses ouvrières et populaires dans notre pays, exercent leurs droits à la liberté d’organisation, d’expression, de revendications de leurs droits et intérêts ? Est-ce qu’elles sont associées aux politiques à elles dédiées ?
Est-ce que leurs conditions de travail sont améliorées par une assistance continue en termes de moyens de production dans l’agriculture, l’élevage, la pêche, etc. ?
Est-ce que dans l’économie formelle, les conditions des salariés sont-elles améliorées ? Qu’en est-il de la protection sociale : avancées ou reculs ?
Est-ce que les plus pauvres reçoivent une assistance de l’Etat pour briser le cycle de pauvreté dans lequel ils sont confinés depuis des générations ?
Est-ce que l’accès des masses populaires au service minimum d’éducation, de santé, d’eau et d’électricité s’améliore, s’élargit de plus en plus ou non ?
Est-ce que l’enclavement dans lequel étaient abandonnées ces masses, surtout rurales, en marge de la société, exclues de la Nation pendant des décennies, est en train d’être brisé pour plus de justice sociale et d’équité territoriale ou non ?
Est-ce que dans le monde libéral qui est le nôtre, l’Etat subventionne les prix des denrées de nécessité courante, en dépit des injonctions des institutions internationales ou non ?
Est-ce que l’Etat travaille à l’amélioration effective des conditions de sécurité et de paix des masses populaires afin d’assurer au mieux la protection des personnes et de leurs biens ?
Nous qui nous réclamons de la Gauche, ce qui nous préoccupe et oriente nos positions tactiques de soutien ou de rejet des politiques en cours, ce sont, pour l’essentiel, ces questions-là qui traduisent le sort des masses populaires, en plus des suivantes :
A-t-on continué à préserver notre indépendance politique ?
S’est-on engagé dans une dynamique de conquête de notre souveraineté économique ?
A-t-on œuvré pour renforcer l’intégration de notre continent ?
El Hadji Momar SAMBE – SG du Rta-S
elmomarsamb@yahoo.fr