De quelques divagations sur une situation mouvante

Comme 2 jarbaat m’ont demandé ce que je pense de la situation au Mali, voir ci-dessous (si vous avez vraiment du temps à perdre) quelques mots qui ne représentent pas du tout une analyse, dont je me sens incapable sur ce sujet, mais plutôt des élucubrations pour des neveux et nièces qui n’oseront pas me dire : «Tonton, tu racontes des sornettes !» Donc, ce texte est uniquement pour mes jarbat, donc nièces et neveux et pour personne d’autre.
A : De la Cedeao et de ses deux sanctions principales
Je considère que le fondement de l’Union africaine et, par dérivation, de la Cedeao, est l’unité des peuples africains. Et de la même façon que le 1er amendement de la Constitution américaine dispose que le «Congress shall make no law…» qui peut restreindre des libertés (religion, presse, etc.), je considère qu’aucune instance de l’Ua ou de la Cedeao ne peut édicter un vote, une résolution, un accord qui peuvent restreindre la liberté des peuples africains de circuler et communier. Par conséquent, j’en déduis que la fermeture des frontières du Mali, décidée par la Cedeao et celle décidée, en réponse, par les autorités du Mali, sont illégales au regard même des fondements de l’Ua et de la Cedeao (notamment le protocole de Dakar de 1979), illégitimes au regard des trajectoires des peuples africains, notamment sénégalais et maliens, issus de la même matrice et de nul effet considérant le fait qu’aucune frontière n’a été tracée par une main africaine, même si elles ont été sanctifiées en 1964, avec des failles comme la partition de l’Ethiopie, puis du Soudan, mais aussi avec des entités bien africaines mais sous juridiction de pays européens, sans que l’Ua ne les réclame, véhémentement comme il se doit.
L’une de vous (je mets une car mes nièces sont de vraies intégristes de la liberté) devrait aller forcer la frontière entre le Sénégal et le Mali et si on lui interdit de traverser, je vais cotiser pour faire saisir, par un avocat, la Cour de Justice de la Cedeao afin qu’il soit établi -ou tout au moins je l’espère- une jurisprudence favorable à la liberté de circuler.
Dans une tontine -pratique que vous connaissez bien, neveux et nièces begg xaliss-, on cotise et, à tour de rôle, une personne prend toute la mise qui n’est qu’une épargne collective de solidarité. On ne peut pas être privé de son tour de prise de la mise au motif que les autres cotisants ont une dent contre toi ! Les réserves du Mali au sein de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest proviennent des activités du Peuple malien dans ses relations, notamment commerciales, avec les autres pays. Par conséquence, je ne peux trouver de base légitime -je ne parle pas de bases légales- pour priver le Peuple malien de son bien, au motif que les 12 autres dirigeants de la Cedeao ont une dent contre le dirigeant du Mali.
Ma première conclusion est que ces deux sanctions devraient être levées, même si, par ailleurs, la Cedeao le juge nécessaire, elle peut prendre d’autres sanctions. Je dois aussi dire que j’ai pensé à la fable de La Fontaine nous rappelant que «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir» dans «Les Animaux malades de la peste». Car, nak, des tuxiduna présidentiels, ça ne manque pas dans cet espace ouest-africain.
B. De la France, de Hollande et de Macron
1 – Insulter la France ou applaudir la France n’a aucun sens. Pétain était avec les soldats noirs en 14-18 pour se battre pour la liberté, le même Pétain était du côté de l’Allemagne nazie qui voulait asservir les peuples noirs également. La vérité est toujours entre le tout blanc et le tout noir.
2 – Certains éléments déterminants dans les relations entre la France et les pays francophones ont disparu à jamais ou sont en train de disparaître : camarades de guerre (Senghor, Bokassa, De Gaulle, etc.), camarade de promotion (Senghor/Pompidou, mais aussi d’un bon nombre de cadres communistes ou de la gauche d’Afrique francophone ont de solides liens avec leurs condisciples ou camarades français), section africaine de partis français ou affiliation à des partis français (Sfio, Pc), anciens membres du gouvernement ou du Parlement français devenus dirigeants nationaux en 1960. Sans compter les partenaires certainement sincères, mais de nationalité française, etc.
3 – Un Etat qui se respecte ne fait jamais mourir ses soldats pour rien et la seule maxime de Donald Trump (né en 1946) que les chefs d’Etat devraient répéter en mettant le nom de leur pays est «America first». Si la France est au Mali, c’est que Francois Hollande (né en 1954) avait estimé que l’installation d’un régime dit «islamiste» à Bamako menaçait les intérêts stratégiques de la France au Mali et, accessoirement, n’était pas souhaitée par les Maliennes et les Maliens et pouvait déstabiliser les pays voisins. Emmanuel Macron a donc hérité d’une situation avec des forces armées françaises au Mali après le charivari créé par la France et ses alliés occidentaux en Libye et dont son prédécesseur Hollande avait hérité (merci Sarko, Cameron et Obama).
– A mon avis, faut reconsidérer notre vision de la France. Le France comme la Chine, la Russie, les Usa, la Turquie, mais chacun avec ses moyens plus ou moins importants, demeure un Etat dont la survie économique et politique dépend aussi de sa capacité de contrôler des zones externes à ses frontières, pour avoir accès aux ressources stratégiques, matérielles ou de simples positions militaires stratégiques. Macron (né en 1977), qui n’a aucun ami africain avec qui il a fait la guerre ou les grandes écoles, est quasiment un enfant de l’internet, anglophile et mondialiste ! J’ai l’impression qu’il veut restructurer ses alliances en se rapprochant plus du Nigeria et du Ghana et de garder un petit pré carré fortifié avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Il se dit sans doute que l’Afrique ne peut échapper à la construction de grands ensembles dominés -comme l’Allemagne en Europe- par de puissances régionales avec qui il vaut mieux nouer dès maintenant des relations stratégiques pour que ses successeurs aient des leviers africains pour maintenir tant soit peu la «Grandeur de la France», jusqu’à la réalisation de son rêve d’une Europe fédérale. Si Francois Hollande ne s’était pas impliqué au Mali, je pense qu’on n’aurait même pas eu de Barkhane ou autres aujourd’hui, car je pense que Macron se serait tenu à l’écart de ce qui ne peut être qu’un bourbier pour une armée non africaine. C’est pourquoi je pense que l’actuel Président français (au moins jusqu’à la passation du pouvoir en mai s’il n’est pas réélu) ne mènera la guerre à personne, surtout pas au Mali. D‘abord stratégiquement, cela n’a pas de sens, et ensuite ce sera susciter une quasi-guerre civile en France, car la banlieue flambera dans toutes les villes françaises ! Peut-être au grand plaisir de Makhouredia Zemmour (nom qu’il aurait pris pour s’assimiler sénégalais) qui y verrait la réalisation de la prophétie de l’ancien ministre de l’Intérieur, transhumant politique, Gérard Collomb, parlant des «zones difficiles» : «Aujourd’hui, on vit côte à côte, je crains que demain on puisse vivre face-à-face.»
C : De Vladimirovitch et de Robinette
Avec l’arrivée de Vladimir Vladimirovitch Poutine (né en 1952) dans le jeu, Joseph Robinette Biden Jr, (né en 1942) est entré aussi dans le jeu. Et forcément dans ce jeu de grands, la France va redevenir la petite soldate des Usa comme naguère en Syrie. Avec un Président autorisé à fanfaronner à Paris tout en sachant que tout mouvement de son armée devra être dûment autorisé par le «Chief Commander» américain.
Héritant de la guerre de Obama (né en 1961) et Trump contre la Chine de Xi Jinping (né en 1953), Biden l’a durcie et l’a étendue à la Russie de Poutine. Dans ce nouveau contexte, le Mali ne risque-il pas de devenir un enjeu de la nouvelle guerre froide, comme l’Ukraine ou naguère Cuba ? Peut-on même exclure qu’un régime islamiste modéré mais violemment anti-russe à Bamako ne serait pas un pis-aller pour les Occidentaux, plus préoccupés à «contenir» Poutine que par le bonheur du Peuple malien ?
D : Du Mali et de Goïta
Le Peuple malien, comme tous les peuples, aime applaudir les coups d’Etat. Aujourd’hui, notre génération vous pousse à célébrer Kwame Nkrumah ou Modibo Keïta comme de grands dirigeants. Eh bien ! quand ils ont été victimes de coup d’Etat, le peuple, et la jeunesse en particulier, était sorti pour acclamer leurs tombeurs ! Le tombeur de Modibo a été applaudi et son tombeur aussi et le tombeur de son tombeur, et aujourd’hui Assimi Goïta !
Je ne considère Assimi Goïta (né en 1983) ni comme le nouveau Sankara dont vous semblez rêver sur la base de ce que nous vous racontons, ni comme un dangereux «wagneriste» qu’on vous décrit et qu’il faut éliminer. Il a profité des circonstances pour se faire Président du Mali (quand même dans tous les bons coups, notre neveu Assimi, lol) et voilà que les circonstances en font le centre d’un conflit avec la Cedeao. Son discours souverainiste est porteur mais est aussi affaibli par cette perception qu’il s’agit simplement de passer de Macron à Poutine, alors qu’il faut revenir à la souveraineté ante-coloniale. En attendant, des millions de gens sortent dans la rue. Contre les sanctions ? Pour soutenir Goita ? Pour les deux ? Je n’en sais rien.
Tout ce que je sais, c’est que le Peuple malien ne mérite pas une punition collective décidée par des présidents censés parler en votre nom. On a tous les leviers traditionnels et modernes pour un dialogue si on revient à la vieille et pratique méthode permettant de séparer la contradiction principale de la contradiction secondaire. Il se pourrait que la présence de militaires au pouvoir à Bamako pendant un temps à déterminer par la négociation, serait bien une contradiction secondaire par rapport à la réelle menace qui pèse sur le Sahel avec des frontières bien fermées par une résolution mais bien ouvertes puisqu’elles échappent depuis longtemps au contrôle des autorités étatiques !
Voilà, c’est un peu long mais qui traduit aussi ma perplexité devant une situation dont il est difficile de maitriser tous les facteurs. A moins de jouer au prestidigitateur ou au charlatan enduit du bon karité du Mali.
PS : Au moment où j’écris, j’apprends le décès de Ibrahima Boubacar Keïta. Qu’Allah l’accueille dans Son Paradis. Que les 14 chefs de la Cedeao se réunissent pour une prière collective œcuménique pour le repos de l’âme de leur ancien collègue ou prédécesseur. Inutile de prendre une dérogation pour ouvrir temporairement les frontières : elles n’existent que dans vos têtes !
Nijaay Maalik FAAL