De quelques enjeux de la Can 2017 pour le Gabon

Le Gabon a la chance d’organiser la Can. Elle se doit de saisir cette opportunité pour montrer quelle Nation elle est : Une Nation dans notre Afrique en train de se trouver des voies pour son unification. Le Gabon est certes meurtri comme tous les pays africains, anciennes colonies, par des blessures très profondes (esclavage, colonisation, présence économique très forte d’entreprises étrangères, manque d’infrastructures, gestion douloureuse de périodes post-électorales…) dont certaines ne sont pas encore cicatrisées. Mais cette Can doit aussi être une occasion pour montrer à la face du monde que le Gabon est une Nation qui, comme la plupart des pays africains, est en train de travailler à son développement avec ses propres moyens, son propre rythme, ses atouts et ses faiblesses. Qu’on lui concède donc le droit d’avoir ses hauts et ses bas comme tous les pays de la surface de ce globe. Les problèmes du Gabon, ce sont les Gabonais eux-mêmes qui les régleront sans ingérence de qui que ce soit. Pour l’instant, place à la compétition sportive qui s’annonce. Et de la même manière que dans l’antiquité on observait des trêves pour les joutes sportives, je demande à la classe politique gabonaise d’observer cette trêve, car tout n’est pas que politique en ce bas monde, tout n’est pas que conquête du pouvoir politique. De ce point de vue, ceux qui aiment le sport sont aussi en droit de voir leurs besoins satisfaits. Alors, cet article se veut une contribution pour montrer comment le sport et l’organisation de manifestations sportives d’envergures mondiales peuvent aider à la consolidation de nos Nations encore assez frêles en Afrique. Et si la Can 2017 peut servir de détonateur pour des retrouvailles entre opposition et pouvoir au Gabon, ce ne sera que bénéfice pour les populations dans ce pays et pour l’image de l’Afrique.
Il y a des années derrière nous, lorsqu’on abordait les questions supposées «sérieuses», surtout dans les cercles intellectuels, le sport ne retenait pas du tout l’attention. Cette activité relevait des loisirs. Le football en particulier était plus pratiqué et regardé par les couches défavorisées. Aujourd’hui, il s’inscrit dans l’ensemble des rapports sociaux, économiques, politiques, idéologiques et symboliques. C’est si vrai qu’un éminent et très averti observateur de la société contemporaine a pu dire sans ambages que «la connaissance du sport est la clé de la connaissance de la société» (Norbert Elias). En effet, de plus en plus, dans presque tous les pays, le sport est aujourd’hui considéré comme un véritable secteur économique qui reçoit la sollicitude des pouvoirs publics sous forme de politiques pour la croissance économique et le développement. C’est dire qu’il ne s’agit plus du tout d’une activité marginale dans l’économie nationale.
De fait, sport, politique, économie et société se nourrissent mutuellement. D’ailleurs, en accueillant pour la première fois en 1996 la Coupe africaine des nations de football, l’Afrique du sud de Nelson Mandela avait pour objectif de signifier son intégration à la communauté africaine et sa reconnaissance définitive dans le concert Nations. Elle y est parvenue. Pour preuve, ces paroles de Mark Fish sur la Can 1996 en Afrique du Sud. On était à la veille de la première Coupe du monde en Afrique et c’est le pays de Mandela qui organisait en 2010. «En 1996, nous représentions une Nation et en 2010, voilà le résultat. En 1996, les Blancs venaient au Fnb Stadium pour soutenir à la fois une Equipe de football et une Nation. C’était fantastique. Avant cela, ces gens connaissaient par cœur la composition des Springboks, mais ils auraient été bien incapables de citer un seul joueur des Bafana-Bafana. Tout cela a changé avec Mandela. C’est le plus beau moment de ma carrière de footballeur. Pas la victoire, mais de voir tous ces gens unis derrière les Bafana-Bafana. Je crois que cela nous a beaucoup aidés pour remporter ce tournoi. Tout le pays était derrière nous. C’était absolument phénoménal.»
(Figure légendaire en Afrique du Sud et témoin privilégié du pouvoir qu’a le sport de faire changer les mentalités, Mark Fish faisait partie des Bafana-Bafana vainqueurs de la Coupe d’Afrique des nations 1996. La finale avait eu lieu au Fnb Stadium, devenu depuis Soccer City. Le trophée avait été remis au capitaine sud-africain par Nelson Mandela en personne qui arborait cette fois la tunique jaune de la sélection nationale de football). Et Mark Fish de poursuivre : «Une nouvelle fois, tout le pays a soutenu les Bafana-Bafana, les gens ont beaucoup parlé de football. Le défi maintenant pour nous, en tant que Nation en général et de football en particulier, est de profiter de cet élan pour continuer de progresser. Mais pour cela, il faut que nous continuions de travailler ensemble.» (Source : Fifa.com, 2010).
Oui, travailler ensemble ! Ce discours conforte l’opinion qui professe que le sport sert aussi de sentiment fédérateur à une communauté lorsque les projets collectifs manquent. Oui, pour toutes les disciplines sportives, en particulier pour le football, une Equipe nationale n’est pas seulement le simple résultat de la création d’un Etat. Elle aide souvent à forger la Nation, une conscience nationale et à affirmer l’existence de l’Etat aux yeux de la communauté internationale. C’est ce qui a conduit Pascal Boniface à ajouter à la traditionnelle définition de l’Etat que la Science politique limitait à trois éléments (un territoire, une population, un gouvernement), un quatrième tout aussi essentiel : une Equipe nationale de football. Par ailleurs, l’activité sportive est plus que jamais un phénomène de société qu’aucun Etat ne peut délaisser, car au-delà du fait qu’elle est un puissant vecteur d’éducation et de formation, elle représente aussi une véritable activité économique qui draine des flux financiers considérables.
En réalité, en dehors de son importance sur le plan strictement politique et économique, le sport possède une vertu sociale à nulle autre pareille. En conséquence, je crois que le Gabon dans son entier, classe politique, société civile et secteur privé a tout à gagner dans cette manifestation attendue et suivie par le monde entier. Certes le résultat sportif garde son importance, mais il est tellement aléatoire que ce serait prétentieux pour toute les équipes présentes à cette Can 2017 de promettre la victoire à leur Peuple. C’est cela le charme du sport, il porte sur des compétitions dont les résultats ne dépendent pas des théorèmes des sciences exactes comme les mathématiques. Nul ne peut dire qui sortira vainqueur de ces joutes à venir.
Mais pour le pays organisateur et ses populations, il y a lieu de nourrir des attentes légitimes que tous les pays du monde attendent de l’organisation de manifestations sportives d’envergure mondiale ou continentale. Ce n’est pas pour rien que l’organisation de ces manifestations sportives d’envergure continentale ou mondiale est devenue un champ de combats sans merci entre les pays.
En ce sens et à mon avis, la Can peut contribuer à l’affirmation des valeurs de la République au Gabon et à la consolidation de l’identité gabonaise, socle de la construction d’une Nation qui, malgré ses différences, demeure une et indivisible.
A mon avis, les différences doivent être des atouts, des opportunités et non des obstacles, car la diversité enrichit contrairement aux opinions répandues par ces «gardiens d’un ordre» prétendument inconciliable avec les valeurs et préceptes de vie d’êtres humains issus de sociétés différentes de la leur.
Je demeure convaincu que de la même manière que la liberté ne se divise pas, on doit veiller à ne pas diviser une Nation. En ce sens, le sport, particulièrement le football, est un puissant vecteur. La classe politique du Gabon, toutes tendances confondues, doit saisir l’opportunité qu’offre la Can pour montrer qu’elle n’est pas mue que par des intérêts égoïstes et individualistes, mais qu’elle vit et travaille pour le Peuple gabonais. C’est ce que nous, spectateurs et téléspectateurs des autres pays, attendons durant cette période qui, certes n’effacera pas les différences, mais doit permettre d’ouvrir, au plan du jeu politique, le chantier de l’acceptation de l’autre comme il est, avec ses différences. La pensée unique a fait long feu.
Quelques exemples choisis çà et là dans l’histoire contemporaine du sport dans notre humanité montrent que le Gabon est légitime à fonder des espoirs sur l’organisation de la Can 2017.
Au plan politique, malgré de fréquentes dénégations, sport et politique forment un couple parfait et se nourrissent même mutuellement. Ainsi, dès la fin du 19e siècle, des individus, partis ou Etats utilisèrent le sport pour conforter ou développer leurs conceptions politiques et idéologiques.
En Afrique du Sud, pendant les années d’apartheid, le sport est utilisé comme principal outil de résistance contre la politique ségrégationniste. Ainsi, ce pays est exclu de la scène internationale dans la plupart des disciplines sportives. Ces sanctions ont pour objectif de dénoncer les injustices du système de l’époque et de mettre la pression sur le National party afin qu’il en finisse une bonne fois pour toutes avec l’apartheid. Par la suite, l’Afrique du Sud s’est servie d’une politique sportive d’ouverture post apartheid pour réintégrer très vite le gotha des Nations.
Outre le cas de l’Afrique du Sud, je peux m’appuyer sur d’autres exemples pour étayer mes propos. Ainsi, certains analystes considèrent que le baron Pierre de Coubertin voyait dans la restauration des Jeux olympiques en 1896 un moyen de mettre en pratique ses conceptions très aristocratiques de la société et ses positions nationalistes. Autre exemple, les Jeux olympiques de Munich en 1972 ont permis à Willy Brandt et aux sociaux-démocrates de conjurer les Jo de Berlin et mettre en avant une Allemagne démocratique, éloignée de ses vieux démons hitlériens.
Ainsi, à chaque grand événement sportif qui se dessine, de nombreux pays – principalement des grandes puissances ou des Etats qui voudraient s’affirmer comme tel – proposent leur candidature et se livrent une véritable bataille.
Au plan économique, il s’est produit un phénomène : la mondialisation du sport. Les foules d’amateurs de sport n’ont de cesse d’augmenter. Les manifestations sportives deviennent des enjeux énormes sur le plan économique. Ce que je vais montrer à présent.
Comme pour tous les produits de consommation de masse, les sommes investies dans les événements sportifs majeurs sont conséquents. Les multinationales et les grands groupes financiers utilisent le sport non seulement pour se développer au plan commercial et augmenter leurs profits, mais aussi pour faire triompher leur idéologie. Les médias jouent eux aussi un rôle croissant dans le sport. Désormais, grands groupes industriels, médias et clubs sportifs se retrouvent dans un agrégat où seules la performance et la loi du marché règnent. La marchandisation des épreuves qui deviennent des produits à vendre au plus offrant se double d’une «chosification» des athlètes auxquels on demande toujours plus d’exploits au risque d’agir à la limite de la morale et de l’éthique sportive (corruption, fraude et dopage).
Bref, ces flux financiers que draine le football mondialisé doivent aussi revenir, pour partie, à l’Afrique. En réussissant cette Can 2017, le Gabon sera légitime à piloter des initiatives en vue de la sauvegarde des droits des pays africains dans ce vaste marché économique du sport (marché des droits de retransmission ou droits de télévision, marché de transfert, marchés des droits de propriété intellectuelle…).
Au plan social, c’est le vrai défi à relever pour le Gabon à l’occasion de cette Can 2017. C’est sur ce terrain-là qu’on attend les Gabonais et leur classe politique. Maturité, don de soi pour son pays, capacité de dépassement doivent être le leitmotiv.
Oui, le sport sert de sentiment fédérateur à une communauté, surtout lorsque les projets collectifs politiques ne sont pas très mobilisateurs, mais aussi et surtout après certaines épreuves difficiles (indépendance nationale dans la douleur et la division politique, période post-électorale mal vécue par une frange de l’opposition politique : ce qui est le cas du Gabon).
Pour raisonner sur le cas du Sénégal, dans le début des années 60, le Président Senghor a employé le sport pour consolider la Nation naissante par le biais des Jeux de l’amitié en 1963. En avivant le nationalisme sportif et sa forte charge symbolique, c’est toute la Nation qui apparaît et qui existe pour elle-même d’une part, mais aussi aux yeux de la communauté internationale. Ainsi, après l’éclatement de l’Urss, l’Estonie, la Slovénie, la Croatie et la Lettonie, dès leur indépendance, ont créé chacune sa propre Equipe nationale. Actuellement, l’indépendance d’un Etat-Nation passe par la création d’une Equipe-Nation, «dépositaire d’un énorme investissement symbolique et synthèse des grandes vertus patriotiques» (Pascal Boniface).
En raisonnant à nouveau sur l’exemple du Sénégal et son Equipe nationale de football de 2002, on se rend très vite compte de l’importance du sport pour la Nation qui retrouvait une fierté que l’on croyait perdue à jamais. Le succès de cette équipe était tel que la plupart des jeunes ont troqué les maillots floqués des noms des vedettes européennes et sud-américaines de l’époque pour des maillots et tuniques avec des noms bien de chez eux. Un culte du drapeau national naissait, inspirant créateurs, stylistes, équipementiers, accessoiristes… Les femmes et les hommes, dans une communion indescriptible, étalaient les éléments de leur appartenance à cet espace et à ce pays dont l’exploit en match d’ouverture de la Coupe du monde de football (victoire 1-0 sur la France, championne du monde en titre et ancien pays colonisateur) avait fait la Une de la presse mondiale.
L’exemple sud-africain est également celui d’une Nation unifiée grâce au sport. En 1994, l’Afrique du Sud sort du carcan imposé par l’apartheid et fait ses premiers pas sur le chemin de la démocratie, sous la direction de l’un des grands héros du combat pour la liberté, Nelson Mandela. Cela ne conduit pas pour autant à l’unification automatique d’une population longtemps divisée par la ségrégation raciale. Premier Président d’Afrique du Sud démocratiquement élu, Mandela œuvre d’arrache-pied à l’unification d’une population divisée, condition sine qua non de la renaissance nationale. Pour cela, le prix Nobel de la paix 1993 ne se contente pas de légiférer. Il utilise également toutes les cordes de l’arc politique et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sud-africain. «Madiba» compte notamment sur le sport pour favoriser l’unification d’un Peuple ghettoïsé. Dès lors, les grandes compétitions sportives internationales vont se succéder dans le pays le plus austral du continent mère. En 1995, l’Afrique du Sud accueille la Coupe du monde de rugby qu’elle remporte après avoir triomphé en finale de la Nouvelle-Zélande, à l’Ellis Park de Johannesburg. L’impact de cette Coupe du monde de football est peut-être allé plus loin que celle du rugby en 1995 et la Can en 1996, lesquelles avaient entr’ouvert l’amélioration des relations sociales. L’un des principaux dirigeants du cricket sud-africain, Ali Bacher, est bien placé pour parler de l’importance du sport dans l’histoire de son pays. Capitaine de l’Afrique du Sud contre l’Australie en 1970 pour la dernière sortie de l’Equipe nationale avant son exclusion du giron mondial, Bacher s’est toujours fait l’avocat d’un sport multiracial. «Aujourd’hui, on peut voir que les choses ont réellement évolué. Dans les stades, des milliers de Blancs portent le maillot des Bafana-Bafana et soutiennent à fond l’Equipe nationale. Avant, seuls les Noirs le faisaient. Maintenant, je vois des familles noires et blanches mélangées, qui discutent du match et se prennent en photo les unes avec les autres. Quand vous venez de l’étranger, ça paraît anodin, mais pour un Sud-Africain, c’est le signe d’un changement profond. Cela signifie que l’unification est devenue une réalité.» (Source Fifa.com 2010).
En définitive et pour conclure, je demeure convaincu que le sport se veut une fête, un vivre ensemble, un rapprochement entre tous. Je sais que ma voix n’est rien et que celle des Gabonaises et Gabonais est primordiale dans le contexte actuel, mais qu’on me permette d’exprimer juste un souhait, celui de voir le Président Ali Bongo Ondimba et tous les dirigeants de la classe politique gabonaise, en commençant par Jean Ping, dans une même tribune pour le match inaugural de cette Can 2017. Ils le doivent à leur pays et à l’Afrique. Quel cadeau de début d’année !
Sportivement !
Professeur Abdoulaye SAKHO
Le Professeur Sakho, Agrégé des facultés de droit, actuel Directeur du Master de droit fiscal de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD)et premier Directeur de l’Ecole Doctorale des sciences juridiques Politiques Economiques et de Gestion de l’UCAD, est l’auteur de plusieurs publications et recherches sur le droit du sport, notamment : en 2006, Gestion du football sénégalais, Onze éléments pour comprendre, en collaboration avec Cheikh Diassé à l’époque Magistrat à la Cour des Comptes. (Editions Crédila/Réussir ) ; en 2010, Les grands défis du football africain, 2010, Préface de Pape Diouf, Editions Clairafrique, Ouvrage collectif en codirection avec Maître Moustapha Kamara du Barreau de Marseille ;en 2013, trois livres sur le droit du sport en collaboration avec Mamadou Selly Ly et Maitre Moustapha Kamara : Droit des associations sportives, Sport et contrat de travail, Sport et droit des sociétés, en hommage à Lamine Diack avec la Préface de Marie Malaurie Vignal prof à Paris II et de Claude Alberic Maetz professeur à Aix Marseille, Editions Cres/L’Harmattan, 2013 ; dans les Cahiers de Recherche du CRES : Le sport au service de l’accélération de la construction de l’identité africaine.
1 Comments
M. SAKHO
Comparaison n’est pas raison cher monsieur et j’ai pitié de vos étudiants! Tant que la société sud africaine était anti démocratique quel événement sportif continental s’y est déroulé ? Ali Bongo déni aux gabonais le droit de vivre dans un pays moderne et démocratique alors il sera traqué jusqu’à son départ voilà l’enjeu du peuple gabonais dans son expression majoritaire.
Vous les africains manquez singulièrement de profondeur. Pensez vous qu’il est normal qu’un pays de 1,6 millions d’habitants avec un budget qui parfois est au dessus de celui du Sénégal se retrouve avec des enfants assis à même le sol par manque de table-bancs? Est- il normal que ce pays manque d’eau potable dans toutes les localités ? Je préfère m’arrêter là car votre aveuglement par la CAN vous empêche de regarder objectivement les causes profondes de la colère du peuple gabonais. Cette colère est loin d’être liée à M. Ping
Instruisez vous sur le cas singulier du Gabon avant de pondre des analyses bidons à la gloire
d’une CAN dont on a que faire au Gabon actuellement.