Dégoûté et dépité. Ce sont ces sentiments qui peuvent animer en voyant l’incident qui s’est produit hier à l’Assemblée nationale du Sénégal. Le député Massata Samb de Yewwi askan wi s’est attaqué à sa collègue Aminata Ndiaye de Benno bokk yaakaar, à la suite de son intervention au pupitre. Les invectives et la montée de la tension n’ont pas manqué au Parlement depuis une adresse de la députée Aminata Ndiaye qui avait «égratigné» le marabout et chef du parti politique Pur, Serigne Moustapha Sy. On parlera un autre jour de la conciliation des casquettes spirituelle et temporelle dans ce pays et du lot d’amalgames qui en découle.

Une série de polémiques sur les propos de la dame Ndiaye a animé le jeu des rentiers de la tension toute cette semaine, avec le cycle classique fait d’indignations, de concert d’injures et de menaces, la requête d’excuses publiques par la députée et une propension à rajouter de l’huile sur le feu à chaque passage de parlementaire au micro. Résultat des courses, un député s’emporte dans ses pulsions et agresse de la plus brutale des façons, sa collègue députée, dans l’Hémicycle. On ne pourra faire mieux en termes de désacralisation d’un symbole républicain, d’illustration de politiciens qui pensent par les nerfs et avec une émotivité à fleur de peau. Pour avoir pris le temps de suivre les différentes plénières pour le vote du budget 2023 dans ce nouveau Parlement, je suis conforté par toutes les lignes d’une chronique publiée en septembre dernier («Un cirque, des «singes» et du chaos»), qu’on a pu me reprocher d’être violente et frôlant le mauvais procès d’intention à la nouvelle législature de l’Assemblée nationale du Sénégal.

L’agression de la députée Aminata Ndiaye par son collègue Massata Samb est grave pour la gratuité par laquelle un homme peut se lever et s’en prendre à une femme de toute sa force pour lui faire la leçon. Quelle est cette forme primitive de patriarcat ou d’une dictature phallocrate qui bande les muscles pour tabasser une femme jugée «impudente» par sa prise de parole ? Qu’est-ce qui dérange le plus, les mots de la dame Ndiaye sur Serigne Moustapha Sy ou la liberté qu’une femme puisse librement formuler des opinions et poser son constat sur un état de fait, même si les formes y sont plus ou moins ? Les organisations des droits des femmes ont une sacrée matière, si dans l’enceinte supposée être la plus policée du pays, des femmes sont battues du fait de divergences d’opinions. On ne va pas s’étonner de la récurrence des féminicides, de la multiplication des cas de viol et d’abus sexuels, si les représentants de la Nation ont une posture aussi prédatrice sur le corps des femmes. Tout homme insécure ou à la masculinité contrariée se fera volontiers un objecteur de conscience par la force de ses muscles face à toute dame, et cela exposera toutes nos sœurs.

Le chroniqueur Hamidou Anne soulignait dans ces colonnes la semaine dernière, une «mystique» de la République qu’on est en train de perdre dans ce pays. Revenant sur les incidents violents lors de l’installation de la quatorzième législature, il soutenait que «certains parmi ceux qui ont profané le Parlement le 12 septembre dernier ont sciemment violé le sacré, car au fond ce que nous sommes en tant que République les dérange. Ils incarnent le courant antirépublicain qui s’est emparé d’une partie des esprits et a fait irruption au sein des institutions pour les détruire». Son mot ne pouvait être plus juste. On voit sous nos yeux une entreprise de mise à sac de tout ce qui est symbole et balise lucide. Cela se fait par une violence bête et grégaire, et les femmes sont les premières victimes de cette inquisition.

Aujourd’hui, c’est une gifle qui est infligée à une parlementaire. Qui sait demain si un parlementaire n’oserait pas dans l’Hémicycle en poignarder un autre ! On ne peut qu’espérer que les dispositions nécessaires seront prises pour sanctionner l’incident qui s’est produit au Parlement, à la hauteur de l’indignité de l’acte. Un tel précédent ne doit rester impuni, car s’il y a un exemple pour lequel on pourra combattre les violences faites aux femmes sous nos cieux, c’est bien celui-ci. On a vu en France un député du Rassemblement national (Rn) exclu deux semaines du Parlement pour une remarque raciste à l’encontre d’un autre député. On n’en attend pas moins du Parlement sénégalais.

L’Europe s’était permis pendant deux siècles (16ème au 17ème) d’exécuter entre 50 000 et 200 000 femmes dans sa fameuse «chasse aux sorcières». Aristote pensait que le fœtus masculin se faisait insuffler une âme après quarante jours, alors que pour son vis-à-vis féminin, il fallait trois bons mois. Notre député censeur, prompt à corriger, des dames «impudentes» ou «insolentes» à son goût, doit sûrement s’abreuver de tels enseignements. Croisons les doigts pour que ses prochaines victimes ne lui tendent pas l’autre joue, après une première gifle. Tout ça, en pleine période d’activisme contre les violences faites aux femmes, dans un Parlement de ruptures !

* Le titre est emprunté à l’illustration d’un recueil de contes «Fabliaux et contes du Moyen-Age» paru en 1913 qui met en scène un homme assénant une gifle à une dame avec la description suivante : «De sa rude main, il lui appliqua un soufflet.» A cette époque, les histoires de femmes battues faisaient rire. On ne pourra pas dire que les temps aient beaucoup changé.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn