On n’en finit pas de se réjouir de l’élection de Bassirou Diomaye Faye. Chez certains. Chez d’autres, on n’en finit pas de réfléchir autour de cette R/Evolution. Par Moussa Seck –

Après le combat, le débat. Peut-être parce que le débat est un préalable au combat, et le combat, même gagné, une autre manière de prolonger le débat. Les débats politiques faits, le combat présidentiel aussi, M. Bassirou Diomaye Diakhar Faye a été élu. Et le désaccord continue. Le Désaccord, ce débat initié par la Raw Material Company. R/Evolution : appels démocratiques, le sujet. Après débats et combats, «ce pays doit être construit. Ce pays doit se réconcilier». Phrase du modérateur, Thierno Souleymane Diop Niang, qui, même dans un contexte de désaccord, fait s’accorder les intervenants. Borso Tall était du panel. Son travail de journaliste l’a projetée dans plusieurs parties du pays. Elle a pu tâter le pouls. De Dakar à Ziguinchor en passant par Saint-Louis, ça se sentait. Le changement était voulu, même si d’une zone à une autre, les préoccupations spécifiques articulées autour de ce changement voulu, diffèrent. De son périple se dégage alors cette conclusion : «il y a une colère tellement profonde» que les mots peinent à la dire. Et, «à côté de ça, il y a cet espoir qui est tellement réel que quelque part, j’ai pitié du nouveau gouvernement».

L’ancien gouvernent n’a aucunement été épargné par les panélistes. Cette «colère tellement profonde», décrite par Borso Tall, sera reprise et dite autrement par Thierno Souleymane Diop Niang. Lui, parlera d’une «humiliation constitutive» vécue par plus d’un dernièrement au pays de la teranga. Mais, «heureusement» ! «Heureusement, dit-il, qu’on s’est sublimé à travers les urnes.» Ce Peuple sénégalais a du génie : aucun désaccord sur ce point, dans cette rencontre tenue ce 29 mars à la Raw Material Company.

Borso Tall tâta alors un pouls pour dire une chose que Souleymane conceptualisera à partir de son vocabulaire de sciences politiques et que Mouhamed Moriba Cissokho ramènera à son expérience d’activiste. Il s’est, avec le régime de Macky Sall, constitué une terminologie de la violence, à l’en croire. «Le mot report, ce n’est pas un mot violent : il l’a été le 3 février.» Ainsi en est-il de «mandat de dépôt». Même si par nature l’expression contient une touche de piquant, avoue Moriba, il y a eu un rajout de violence sur celle préexistante. «Pour un rien, pour un post Facebook, des amis ont été envoyés en prison» où ils ont demeuré «neuf mois à un an». Pour moins-que-rien : «Pour des emojis.» Ça ne fait pas rire le public du Raw. Et, comme pour coller à la signification «cru» de «Raw», on s’est lâché. «Shit», «damn», «what the fuck» y a-t-on proféré quand les cœurs trouvaient le français trop léger pour extérioriser la lourdeur de leur cœur.

«Restriction d’internet» entre dans la terminologie égrenée par l’activiste. Dans la bouche de ce dernier, c’est un lexique et autant de mots qui font ainsi état d’une «littérature de la violation de l’Etat de Droit» qu’on apprendra. Et dans ces conditions, continue de faire remarquer le jeune à lunettes, «il est arrivé un moment où être sous mandat de dépôt était une fierté».

Aujourd’hui, après le combat, le débat de fond, du point de vue de Moriba, est d’interroger le non-dit derrière le vote qui a faussé les projections, et basées sur la logique des partis et des coalitions. Le non-dit : les populations ont voté pour leur bien-être ! Et là aussi, le panel a été d’accord pour dire que la population votante a élu Bassirou Diomaye Faye pour son bien-être. Par espoir. Une voix taquine, dans le public souriant des fois et des fois s’offusquant des récits de bri­mades, de charrier en appelant à aider «le petit sérère» dans sa mission de Présidence. Espoir…

Accompagner…par la culture
Oumy Regina Sambou sera d’accord avec son jeune frère : «des analyses foireuses» ça et là, entre blogueurs et qui se sont vues désavouées par la réalité des votes qui ont donné au Sénégal un Président que tous n’attendaient. Oumy Regina Sambou, c’est avant tout de la culture et c’est à partir de cette perspective qu’elle analysera la R/Evolution de mars 2024. Ou, c’est partant de ce qu’a engendré la R/Evolution qu’elle en arrive à se demander si la culture a eu un apport réel allant dans le sens de pacifier. Négatif. Le cousinage à plaisanterie, par exemple, n’a pas été cet outil à même de ramener les gens à la raison. «A quel moment ça a intervenu durant tout ce qui s’est passé entre 2021 et maintenant ?», s’est interrogée O.R. Sambou. Et Oumy Regina Sambou, c’était ce 29 mars, la voix tonnante d’une actrice culturelle qui a malheureusement vu son domaine d’activité incapable d’offrir des solutions endogènes à une crise. Pire : cette crise, «ça a sérieusement remis en cause les fondements de la société». Ici aussi, accords entre les panélistes. Autant d’accords donc, qui trahissent l’appellation Désaccord de la rencontre…et non finalement !
En effet, si Oumy Regina Sambou a affiché un certain pessimisme pour ce qu’il pourrait advenir, Borso Tall, elle, penche pour l’optimisme. Parce que précisément, ce Peuple qui s’est sublimé par les urnes, qui a voté pour son bien, majoritairement jeune soit-il, a fait exactement ce qu’on attendait de lui. Voter ! L’attitude de ce jeune Peuple qui a jubilé bien avant la proclamation des résultats, parce que sûr du triomphe de son choix, témoigne, suivant l’idée de B. Tall, de la capacité de résilience du Sénégal et du Sénégalais. «Et un Etat, c’est beaucoup d’étapes à franchir», commentera Thierno Souleymane Diop Niang. Ce commentaire s’accordera avec l’idée de Borso selon laquelle l’accompagnement est un impératif. Pour ce faire, «la culture doit être au centre» (Regina’s voice, moins pessimiste du coup). Le Sénégal, dira-t-elle, «s’il brille sur le plan mondial, c’est partant de ses hommes de culture, de sa culture, de ses traditions».  La culture donc…mais, en ce qu’elle a de stratégique et non seulement de folklorique. Commentaire de l’auteur de Le son d’humanité…