A 73 ans, Awa Diop a été rappelée à Dieu avant-hier, jour de la Tabaski. Ministre déléguée sous Wade, plusieurs fois députée depuis 1993, la responsable libérale de Rufisque, au Pds depuis 1975, a été de tous les combats menés par Me Wade.Par Babacar Guèye DIOP
– Dans le parallélisme des combats et de l’engagement, elle incarnait au Parti démocratique sénégalais ce que Adja Arame Diène ou Caroline Faye ont comme statut au Parti socialiste. Aux côtés de Thioumbé Thiam, Ndamouté Fall, Moumy Samb, Ndèye Maguette Dièye…, Awa Diop symbolisait la bravoure et la loyauté en politique à l’égard de Me Abdoulaye Wade. Décédée mercredi, jour de la Tabaski, à Dakar, l’ancienne présidente du Mouvement des femmes du Pds laisse à 73 ans son parti sous le choc, quelques jours après le rappel à Dieu de Abdoulaye Faye. Militante de première heure au Pds, qu’elle a intégré le 2 février 1975, selon un portrait que l’Aps avait fait en octobre 2006. Et c’était par l’intermédiaire de Samba Samaké, alors secrétaire général de la Fédération de Rufisque. «Sur les conseils de son père Ismaïla Diop, ancienne figure locale de la Section française de l’internationale ouvrière (Sfio), Awa Diop démarre sa carrière de militante active en 1978», ajoutait-on. Elle fut plusieurs fois députée et ministre déléguée auprès du Premier ministre sous le régime de Me Abdoulaye Wade. Femme de courage, elle a été un fidèle compagnon de Wade durant les années d’opposition au régime du Parti socialiste. Dans le parti libéral, elle s’est fait remarquer par son «militantisme» et sa «pugnacité». Ces valeurs, une denrée rare en politique, lui vaudront deux arrestations, en 1988 et 1993, pour «manifestations non autorisées». «Mère du parti» pour Ndèye Guèye Cissé, «Linguère» pour Babacar Gaye qui se souvient des succulents «yendu», «mbaxal» ou «racc» organisés à l’Hôtel des députés initiés par Awa Diop.
«On ne m’écoutait pas parce que je n’étais pas diplômée des grandes universités»
Dans un tweet, le président de la République, Macky Sall, ancien du Pds, témoigne : «J’ai appris avec tristesse le décès de Awa Diop, ancienne députée et ancienne ministre déléguée auprès du Premier ministre. Je rends hommage à une femme libérale engagée, généreuse et loyale et présente mes condoléances émues à sa famille, au Président Wade et au Pds. Paix à son âme.» C’est justement dans le gouvernement de Macky Sall, largement remanié le 23 novembre 2006, que Wade a nommé Awa Diop, fait rare dans l’orthodoxie gouvernementale, ministre déléguée auprès du Premier ministre sans attribution précise. Wade l’avait pourtant fait sur un coup de tête, en présence des délégués de la cinquantaine de fédérations départementales du Pds venus prendre part à la réunion du Bureau politique du Pds, transformée en congrès extraordinaire et qui l’a investi par acclamation à l’élection présidentielle du 25 février 2007. Et il anticipait d’ailleurs sur les critiques relatives au niveau d’études de la nouvelle ministre : «Un ministre, ce sont des idées. Peu importe la langue que tu parles. Que ce soit le français, l’anglais, le chinois ou l’américain, ce n’est pas important.» Elle a dû arrêter ses études moyen-secondaire en classe de 3ème pour «raison de mariage». Avec son diplôme de secrétaire-dactylographe, elle travaillera à la mairie de Rufisque, puis au bureau des entrées de la maternité de l’hôpital Aristide Le Dantec, et à la direction régionale de l’Organisation mondiale de la santé à Dakar. Avant de faire un départ volontaire. Mais Awa Diop ne traînait nullement ce complexe de diplôme. «On ne m’écoutait pas parce que je n’étais pas diplômée des grandes universités mondiales et sénégalaises. Je suis plus intelligente et plus mature que ces diplômés», disait-elle, pour expliquer la défaite de Wade en 2012. «Je suis politicienne. Je suis née dans une famille politique. J’ai trouvé mon père et ma mère dans la politique. La politique, c’est un héritage familial pour moi et je ne peux pas en sortir aussi facilement. Des fois, ils disent que Awa Diop n’a pas fait des études, mais je suis allée jusqu’en troisième moyen-secondaire. J’ai toujours refusé de parler français. L’essentiel est que j’étais incontournable dans le parti», insistait-elle fièrement.
«Maintenant, ayons le courage d’être des opposants»
Le vécu politique peut être parfois meilleur que les tournures des politistes. Awa Diop a été une habituée de la Place Soweto : Plusieurs fois députée depuis 1993, secrétaire élue du bureau de l’Assemblée nationale lors de la 8ème Législature, elle occupe le poste de deuxième questeur de la 10ème et 11ème Législature. Réputée proche des populations, elle a quitté selon sa volonté son poste de ministre déléguée auprès du Premier ministre, d’après une proche de la défunte. «Elle disait que ce poste l’éloignait des populations. Awa Diop est une femme de terrain. C’est elle qui a démissionné de ce poste», témoigne Ndèye Guèye Cissé, ex-conseillère technique de la femme de Rufisque. Une version qui est confirmée par Babacar Gaye qui a rendu hommage à la défunte sur sa page Facebook. Awa Diop, c’est la loyauté en toute épreuve. «Un jour, Wade lui disait que si elle avait des diplômes, il allait la nommer Premier ministre. Il disait que Awa ne va jamais le trahir», rapporte Mme Cissé. Elle était si fidèle que lorsque le régime libéral est tombé, elle a averti ceux qui tenteraient de quitter le Pds. «Maintenant, ayons le courage d’être des opposants ! Restons dans l’opposition, ne transhumons pas ! Nous allons dire à Macky Sall de tout faire pour que les transhumants soient audités. Les voleurs de la République doivent rendre compte de leur gestion. Personne ne va sauver sa peau ici. Celui qui ose transhumer pour sauver sa peau, on va balancer ses dossiers sur internet. On va lui pourrir la vie», avait-elle menacé dans un entretien avec Le Quotidien. Awa Diop était convaincue que ce sont les transhumants qui ont fait tomber Wade. «Il n’y avait plus de place pour les pionniers qui ont pu faire élire le frère secrétaire général Me Abdoulaye Wade en 2000. Des anciens adversaires transhumants ont été privilégiés au détriment des fidèles des années de galère», déplorait la lionne de Rufisque. Parmi eux, il y a Aïda Mbodj. «On s’est rencontré pour la première fois à un meeting à Linguère. On s’appréciait. Mais le pouvoir l’a rendue folle. Et elle était vraiment ivre de pouvoir. Elle croyait à un moment qu’elle pouvait tout faire. J’ai initié la tournée des femmes du parti, on m’a taxée de jalouse. On racontait que je l’ai fait juste parce que j’étais jalouse de la campagne ‘’Ma carte, ma caution’’ qu’elle avait lancée», expliquait Awa Diop. Avant d’ajouter : «Pourtant, elle disait qu’elle a vendu 1 million de cartes à des femmes qui vont voter pour Abdoulaye Wade. Si réellement 1 million de femmes avaient voté pour nous, on serait encore au Palais. Elle a trompé le président de la République.»
Contre les départs de Idy, Macky, Aminata Tall…
Femme de conviction, libérale convaincue, Awa Diop assénait ses vérités à qui de droit. Elle avait parfois des relations froides avec Wade parce qu’«elle lui disait que certains gens qui l’entourent sont des vautours», d’après Ndèye Guèye Cissé. Babacar Gaye se remémore aussi de cette journée où la dame a débarqué sans crier gare dans son bureau au Palais pour se plaindre d’une décision de Wade qui avait finalement fini par reculer. En 2012, après la perte du pouvoir, elle a remis les clés de la structure du Mouvement des femmes du Pds à Me Wade. Très discrète lors de la 12ème Législature (2012-2017), elle avait pris ses distances avec les Libéraux. On se souvient qu’elle faisait partie du groupe de Modou Diagne Fada contre Aïda Mbodj en 2015 lors de la bataille pour le contrôle du groupe parlementaire du Pds. Durant son parcours au Pds, elle a été parfois traitée d’«infidèle» au Pape du Sopi. «D’abord pendant les élections municipales et élections générales de 1998 à Rufisque, ensuite dans l’affaire Ousmane Ngom en 1998 et enfin après la perte du pouvoir, les comploteurs, les abonnés aux calomnies ont toujours tenté de te présenter comme l’infidèle. Ils ont toujours échoué dans leur dessein de te remplacer et de trouver une remplaçante (Aminata Tall de Section bleue, Awa Guèye Kébé, Aïda Mbodj, Aïda Ndiongue et in fine Woré Sarr), sans succès, car Dieu a toujours été du côté des justes», rappelle Babacar Gaye. Dans un entretien avec L’Observateur en juin 2015, Awa Diop déclarait que «la dignité (était) en train de quitter le Pds». Et elle s’opposait à l’exclusion de Modou Diagne Fada. «Ce n’est pas sérieux, personne ne sera exclu», avait-elle fulminé. «Je n’ai jamais accepté les départs de Idrissa Seck et Macky Sall. Pour le cas de Macky Sall, j’ai refusé de voter à l’Assemblée nationale la loi qui a provoqué son départ du parti. Moi je ne peux pas faire quelque chose qui est contraire à ma libre conscience. J’ai dit niet. C’était le cas avec Aminata Tall qui se retrouve aux côtés de Macky Sall», précisait la Libérale dans nos colonnes. Pour elle, ç’aurait été pire si quelqu’un d’autre avait gagné en 2012. «C’est Macky Sall qui a gagné, tant mieux. Macky, c’est Abdoulaye Wade en miniature», se réjouissait-elle.
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