Seulement quelques jours après le premier baril du pétrole sénégalais, Baba Diao tire sa révérence. Abdoulaye Baba Diao ne verra pas le Sénégal comme un pays producteur de pétrole. L’homme d’affaires est décédé à l’âge de 79 ans. Par Malick GAYE –
Baba Diao «Itoc» ! Habillé de principes mais jamais dévêtu par la rumeur, le magnat sénégalais du pétrole fait partie des rares fils du pays qui ont une réputation intacte. Et ce, malgré les 79 ans passés dans la quête de la perfection et du bien-être des Sénégalais. Désormais, quand on parlera de lui, le passé sera de mise, mais de par son œuvre, Abdoulaye Diao restera éternel. Il a rendu l’âme à l’âge de 79 ans hier. Le Sénégal doit à ce Thiessois, Petrosen, qui est le bras technique de l’Etat sur la gestion des hydrocarbures. Car c’est le jeune Baba Diao qui a écrit les premiers statuts de la Société des pétroles du Sénégal. C’était dans les années 70. Tout fraîchement rentré de France après avoir obtenu la Licence en sciences physiques et sciences économiques, Abdoulaye Diao fait ses preuves comme ingénieur de l’Ecole centrale de Lille, puis ingénieur de l’Institut français du pétrole (Ifp) de Paris. Remarqué par le Président Léopold Sédar Senghor au concours général où il lui offre une bourse d’excellence, le poète le ramène au bercail pour qu’il participe à l’essor du pays.
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Baba Diao ne déçoit pas. Il est nommé conseiller du ministre de l’Energie et met ses compétences au profit du Sénégal. Son passage dans l’Administration sénégalaise sera de courte durée par rapport à sa riche carrière. En effet, c’est aux côtés de Cheikh Fall qu’il va apprendre les rudiments du marché de la négoce et du transit. Avec l’ancien président d’Air Afrique, Baba Diao ne va collaborer que quelques années, avant de lancer sa propre affaire. En 1985, la société International Trade Oil and Shipping (Itoc) est lancée avec 500 mille francs Cfa. Les locaux sont à l’immeuble Sdih, qu’il n’a jamais quitté d’ailleurs. Les débuts, comme toute entreprise, étaient difficiles. Ses proches s’interrogeaient même sur sa capacité à régler son loyer. Mais sa ténacité lui a permis de supporter ces obstacles. Il se fraie un chemin par les grandes entreprises telles que Total et Mobil pour gagner un appel d’offres lancé par la Société africaine de raffinage (Sar) pour la fourniture de pétrole brut. Aidé par un réseau qu’il a créé quand il était étudiant, Baba Diao amène son premier bateau de pétrole brut au Sénégal qui coûtait à l’époque pas moins de 50 millions de dollars. En respectant ses engagements, il gagne la confiance de ses partenaires et par la même occasion, il met l’entreprise Itoc sur les rails de l’excellence. Discret, Baba Diao l’était au point où son «Itoc» a été peint comme la propriété de Moustapha Niasse. Ce qui n’était pas le cas. Moustapha Niasse ne détient que 5% d’Itoc. Son statut d’ancien Premier ministre a joué en sa faveur pour diriger le Conseil d’administration d’Itoc. Qui, faut-il le rappeler, a longtemps été la deuxième plus grande entreprise du Sénégal, avec des chiffres d’affaires annuels de plus de 800 millions de dollars.
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D’ordinaire discret, Baba Diao est en lumière sous le régime de Wade. En effet, Karim Wade, à qui l’on prêtait des intentions d’entrée dans le milieu des hydrocarbures, aurait pesé de tout son poids pour que l’Etat taxe lourdement Oryx, une société où Baba Diao était l’actionnaire principal. Oryx, qui a été la propriété de Baba Diao et de Jean-Claude Gandour, était l’un des leaders mondiaux des hydrocarbures. Il a été vendu à plus de 7000 milliards de francs Cfa aux Chinois de Sinopec.
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Baba Diao, qui comptait beaucoup de relations chez les hommes politiques, religieux, journalistes, banquiers, est l’un des Sénégalais les plus respectés. Conseiller spécial de Macky Sall, il connaît l’ancien président de la République depuis plus de 25 ans. Il était également très proche de Ousmane Tanor Dieng. Abdou Diouf faisait partie de ses amis. Il n’a jamais oublié d’où il vient. Chaque week-end, il passe du temps avec sa famille dans sa ferme de Pout, un espace moderne où il fait de l’élevage, une activité qu’il adore, comme tout bon Peul. Il est aussi très aimé dans sa ville natale de Thiès, où il a construit et logé tous ses parents.
C’est ce digne fils que le Sénégal vient de perdre. Paix à son âme.
mgaye@lequotidien.sn