Mars 2024-septembre 2024. Voilà presque six mois écoulés depuis que nous, citoyennes et citoyens sénégalais, avons porté à la magistrature suprême, avec un pourcentage de 54, 28% de suffrages favorables, la tête de file de la Coalition Diomaye Président. A la suite du poète-Président Léopold Sédar Senghor dont l’assertion, «la culture est au début et à la fin du développement», de­meure une boussole pour tout adepte du développement endogène, c’est bien la première fois qu’un postulant au fauteuil présidentiel de la République du Sénégal est élu dès le premier tour. Que s’est-il passé le dimanche 24 mars 2024 ? Ni tour de passe-passe ni sortilège ! Toujours est-il qu’un bonhomme de quarante-quatre ans, quasi inconnu de la majorité des populations à la veille du scrutin, l’a remporté haut la main. Paradoxalement, Bassirou Diomaye Diakhar Faye n’était que la carte jouée à la dernière minute par Ousmane Sonko, le candidat souhaité mais recalé, tribun au charisme dévastateur et incontestable messie de la jeunesse paumée et des politiciens en mal de notoriété, pour faire chou blanc à Macky Sall, à vrai dire pour ne pas sortir tout à fait vaincu du «mortel combat» qu’il a livré sans merci au locataire sortant du palais de la République. On peut dire que le président de Pastef, par sa démarche, a donné une leçon d’engagement aux antipodes du culte de la personnalité à ses pairs, boulimiques et obsédés du pouvoir, qui font de leurs partis des propriétés privées et qui se disent : «Moi, moi seul ; rien que moi, et personne d’autre !»

A qui perd gagne ! Voilà le jeu auquel Ousmane Sonko s’est exercé avec succès. Ainsi, Diomaye, un des plans alternatifs du leader pragmatique et clairvoyant, est-il monté au pinacle et a hissé son mentor à sa hauteur, faisant de lui le Premier ministre du Sénégal «souverain, juste et prospère», tel que promis.
Elle est belle, la formule : JOMAAY MOOY SONKO (Diomaye, c’est Sonko) ! Belle, parce qu’elle sublime le renoncement de soi au profit de l’autre, plus que la fidélité, la complicité et la loyauté. Pourtant, peut-elle nous empêcher de méditer la manière tragique dont s’est disloqué le tandem Thomas Sankara-Blaise Compaoré ? Le pouvoir que symbolise un fauteuil plus haut que les autres ne souffre pas le partage, ainsi que le laisse entendre la sentence wolof : «Ñaari kuuy du ñu bokk mbalka !» (Deux béliers ne partagent pas le même abreuvoir !). Pour devenir le maître absolu de Rome, Romulus a tué son frère Rémus. Dieu préserve de la malédiction liée au pouvoir Sonko et Faye ! Cependant, dans une République bien organisée, c’est tout de même le Président élu qui jouit des prérogatives consignées dans la Loi fondamentale. Tant que la Constitution sénégalaise n’est pas révisée, Diomaye, comme l’a été Macky Sall, devient l’alpha et l’oméga du jeu politique, à la fois buur et bummi, roi et prince !
A ce jour, notre problème à nous, citoyennes et citoyens sans parti et ne s’activant au sein d’aucun mouvement, ni de soutien ni de contestation, ce n’est pas de savoir qui dirige, de fait, le Sénégal. Tant mieux si Diomaye et Ousmane s’entendent à merveille pour gérer de manière participative et con­sensuelle le pays ! L’essentiel, pour nous, est qu’ils se décident à donner corps au Projet qu’ils nous ont vendu et que nous avons payé au prix fort. Combien de morts, de blessés graves ; combien de lieux de travail saccagés et d’honnêtes gens privés de leur gagne-pain, pendant près de quatre années (de 2021 à 2024) que le Sénégal, économiquement paralysé, a été rudement secoué, comparable à un navire échoué au large d’une mer démontée ?

Mais depuis six mois, le pays semble immobile ; plus grave, il donne l’impression de s’enfoncer dans du sable mouvant ! Alors, les supputations pessimistes vont bon train. L’op­position manifeste et des chroniqueurs bravaches tirent à boulets rouges sur Sonko qui usurpe le tapis rouge, anticipe sur les décisions du Père de la Nation, bavarde trop, s’agite, mais n’agit pas. Ils s’interrogent sur Diomaye Faye qui se promènerait au frais de l’Etat si, de ses voyages nombreux et rapprochés, il ne ramenait rien de palpable ! L’opinion primesautière soutient que le nouveau régime ne détient point de projet de société à partir duquel un programme cohérent peut être soumis au Peuple impatient qui attend les solutions salvatrices annoncées.

«Cin su naree neex, su baxee xeeñ !» (Un mets ragoûtant est annoncé au fumet qui se dégage de la marmite), marmonnent les désappointés, tandis que les circonspects rappellent que le monde ne s’est pas créé en un jour et qu’il faut concéder du temps au duo dirigeant, tant il est vrai que «diggante summi mbubb mu màggat ak dàlloo mbubb mu yees, def yaramu neen dox na fa !», ce qui signifie en substance : «Entre ôter un vieux boubou pour en enfiler un neuf, il y a la nudité !»

Dans le contexte de la situation que nous endurons, il faut comprendre que nous devons encore prendre notre mal en patience et espérer que le Projet qui va supplanter le Plan Sénégal émergent (Pse) soit promptement mis en route. Ce qui, sans aucun doute, aurait pu rassurer tout le monde, opposants dubitatifs comme républicains sans chapelle politique, serait la livraison, dans les meilleurs délais, par le Premier ministre, de sa Déclaration de politique générale (Dpg). Celle-ci nous éclairerait sur les actions que le gouvernement compte conduire pour sauver le Sénégal de la «ruine» déclarée. Elle devait, du reste, n’être qu’un exercice de tout repos pour Ousmane Sonko. Opposant intransigeant et inspiré, n’a-t-il pas envisagé des solutions aux difficultés que rencontrait le Sénégal sous Macky Sall ? Devenu chef du gouvernement et alter égo du président de la République, le très pondéré Bassirou Diomaye Diakhar Faye, ne tient-il pas enfin l’opportunité de prouver son aptitude, son efficiente perspicacité et sa détermination (pastéef) à soulager les peines de ses concitoyens : chefs de famille hantés par la cherté inouïe des denrées de première nécessité, travailleurs payés au lance-pierre, jeunes diplômés en quête d’emplois et candidats résignés à la migration clandestine, entrepreneurs locaux comptant sur une politique promouvant la préférence nationale et tant d’autres ?
Ce sont les mauvaises langues qui prétendent qu’il a une peur panique de faire sa Dpg à l’Assemblée nationale où guette une majorité supposée vindicative et prête à l’étriper. Le vendredi 13 septembre 2024, date fixée par le président de la République, va-t-il enfin faire sa déclaration ? Les uns l’y encouragent, alors que ses inconditionnels se regimbent. Où ? Pas dans la rue, quoi qu’il advienne ! Dans quelle langue ? En français châtier ou approximatif, qu’importe ! Pourquoi pas en wolof, puisque c’est la langue que tous les députés maîtrisent ? Après tout, Sonko n’est ni Français ni Premier ministre de France ! D’ailleurs, parmi les réformes qui vont matérialiser la souveraineté à laquelle nous aspirons, ne faut-il pas faire du wolof notre langue officielle de communication nationale, à côté du français, non inclusif, mais à ne point jeter aux orties, qui deviendrait notre langue officielle de communication internationale ?

En tout cas, si c’est parce qu’il sait ne pas pouvoir compter sur une «majorité mécanique», tantôt vertement et unanimement décriée, que Ousmane Sonko tergiverse, c’est que la rupture prônée est tout juste un bluff ! En conséquence, à notre humble avis, un défi majeur à relever, de belle manière, pour lui, serait d’oser affronter, au sein de l’Hémicycle, cette majorité à priori hostile, pour signaler que le temps de la politique politicienne est révolu et qu’il est impératif que tous les députés, ceux du pouvoir, ceux de l’opposition et les non-inscrits, comprennent, une bonne fois pour toutes, qu’ils ne représentent ni des partis ni des mouvements, mais le Peuple souverain et que, pour cette raison, ils doivent délibérer en toute bonne foi, ayant en conscience les seuls intérêts du Sénégal qui nous rassemble et que nous devons hisser à la hauteur des grandes nations pour le léguer aux générations à venir, enfin maître de son destin, prospère et compétitif.

C’est à ce niveau de notre réflexion que s’éclaire le bien-fondé de cette déclaration de politique citoyenne. En effet, est-il normal de garder le silence quand nous ne savons plus où va le navire dans lequel nous sommes embarqués ? Devons-nous assister en spectateurs au jeu puéril auquel s’adonnent nos élus ? Dès le lendemain de la prestation de serment du président de la République et la nomination du Premier ministre, le boulot devait commencer, tambour battant. Mais que se passe-t-il, depuis ? Des querelles entre chats et chiens, des menaces d’un côté ; des rodomontades, de l’autre ! Pourtant, un vainqueur doit-il continuer à piétiner un adversaire terrassé ? Quel besoin de nous casser les oreilles avec les dérives et la gabegie du régime déchu ? C’est précisément à cause de ces manquements que le Peuple l’a désavoué. Alors, avançons, s’il vous plaît ! Or, pour avancer vite, il faut, quand même, non seulement connaître le chemin à suivre, mais avant tout savoir où l’on va.

Monsieur le président de la République, et vous, Monsieur le Premier ministre, de grâce, délivrez-nous, en dévoilant au grand jour les recettes-miracle du Projet pour lequel nous vous avons élus, vous croyant sur parole. En tout cas, le tiraillement entre le pouvoir et l’opposition n’engage nullement les citoyens que nous sommes et dont le seul et unique parti reste le Sénégal. Mettant dos à dos Benno bokk yaakaar (Bby) et Yewwi askan wi (Yaw), au premier groupe, nous disons : «C’est le moment d’unir vos forces dans le désintéressement pour nourrir l’espoir du Peuple qui ne peut se réaliser sans la paix, fille du dialogue et du compromis dynamique ! Au second : «Délivrer le Peuple, c’est le protéger contre l’adversité sectaire et réductrice, l’élever au-dessus des querelles partisanes, l’exhorter au dépassement et à la citoyenneté active et responsable !»

A nos jeunes dirigeants à qui nous souhaitons plein succès dans la résilience et la persévérance, et que nous nous promettons d’accompagner suivant le principe qu’ils ont eux-mêmes institué, à savoir «Jub, jubal, jubanti», nous donnons comme viatique cette consigne : «Mujje puso bi, mu réer, musiba la !» Hériter de l’aiguille et la perdre est une catastrophe !

Comparé à bon nombre de pays au Sud du Sahara, le Sénégal, qui n’est point une république bananière, demeure un havre de paix et une démocratie majeure. Il est respecté à travers le monde et sert de référence à ses proches voisins. Les hommes d’Etat qui se sont relayés à sa tête ont, chacun à sa manière, plus ou moins bien, consolidé ses institutions et renforcé son unité grâce au dialogue permanent de leaders politiques ouverts d’esprit, grâce à la discrète mais efficace contribution des chefs religieux et coutumiers, grâce aussi à la levée de boucliers d’intellectuels libres de pensée et patriotiquement engagés qui, chaque fois qu’il le faut, ont tiré la sonnette d’alarme, criant haro sur les apprentis dictateurs.
A bons entendeurs, salut !

Marouba FALL
Ecrivant, auteur du roman La Collégienne
Officier de l’Ordre du Mérite
Chevalier de l’Ordre national du Lion
marouba_fall@yahoo.fr