Déclaration – Opération militaire ou massacre à Moura : Bamako se félicite d’un succès contre les terroristes

Que s’est-il passé à Moura ? Difficile d’y voir clair. Bamako, acculée, affirme avoir éliminé 203 terroristes alors que Human right watch pointe la responsabilité de la junte sur un massacre civil de 300 personnes. Pour l’heure, l’Onu n’a toujours pas accès à la ville pour les besoins de l’enquête internationale.Par Malick GAYE
– Entre le dimanche 27 et le jeudi 31 mars à Moura, l’Armée malienne a tué plusieurs centaines de personnes. Si les Forces de sécurité de Bamako ont présenté cette opération comme un important succès de la lutte anti-terroriste, des voix se sont levées pour s’indigner contre un massacre civil. En effet, les Fama ont déclaré avoir éliminé 203 «terroristes» lors de cette offensive militaire. Une position que ne partage pas l’Ong Human right watch. Elle fait état, dans un rapport, de «l’exécution sommaire de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, présumés russes».
Situé au Centre du Mali, la ville de Moura est un terrain privilégié de groupes affiliés à Al-Qaïda. La ville est l’un des principaux foyers de violence. En dehors de 203 «terroristes» tués, 51 autres ont été capturés, renseigne le communiqué des Forces maliennes publié le 1er avril. Elles ont procédé «au nettoyage systématique de toute la zone». Après avoir pris le contrôle de Moura, les Forces maliennes ont procédé à un «tri» et identifié des «terroristes» dissimulés dans la population, a-t-on précisé mardi soir dans un nouveau communiqué.
Human right watch estime le contraire
Après les affrontements initiaux du 27 mars, «les soldats ont capturé des centaines d’hommes et, les jours suivants, ils auraient exécuté, par balles et par petits groupes, des dizaines de captifs, peut-être en fonction de leur tenue vestimentaire ou parce qu’ils portaient la barbe suivant des règles édictées par les djihadistes, ou en raison de leur appartenance ethnique», rapporte Human right watch (Hrw). «La grande majorité» des hommes tués était peule, un groupe dans lequel les djihadistes ont largement recruté. Des civils ont été forcés à creuser des fosses communes avant d’être exécutés, selon l’Ong, qui précise que «des dépouilles ont été brûlées au point d’être méconnaissables».
Les Forces maliennes refusent l’accès à l’Onu
La justice militaire malienne a annoncé, mercredi soir, l’ouverture d’investigations sur les événements de Moura. Les Nations unies ont également ouvert une enquête et la Mission de Casques bleus de l’Onu, la Minusma, cherchait encore, ce jeudi, à accéder à la zone. «L’autorisation de déploiement d’une mission intégrée n’a jusqu’à présent pas été autorisée, malgré un engagement important auprès des autorités nationales», a déploré l’émissaire de l’Onu pour le Mali, El-Ghassim Wane, ce jeudi, réclamant au gouvernement malien un accès «impératif» à Moura. «Si l’annonce, hier soir (mercredi), par le procureur du Tribunal militaire de Mopti de l’ouverture d’une enquête, y compris le déploiement sur le terrain du personnel requis, est une initiative bienvenue, il est impératif que les autorités maliennes apportent la coopération nécessaire à ce que la Minusma ait accès au site des violations alléguées, conformément à son mandat», a souligné El-Ghassim Wane. «Plus généralement sur les droits humains, la Minusma a ouvert 17 enquêtes sur des allégations d’attaques aveugles contre des civils, d’arrestations extrajudiciaires, de mauvais traitements, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires dans le Centre du Mali depuis le début de cette année», a aussi déclaré l’émissaire.
La Russie continue de livrer des armes au Mali
En attendant que l’Onu obtienne une autorisation afin de se rendre à Moura pour les besoins de l’enquête, Bamako continue de recevoir des armes de son allié russe. Le ministre de la Défense malien, Sadio Camara, un des hommes forts de la junte au pouvoir, a réceptionné, mercredi soir, de nouveaux équipements militaires dont deux hélicoptères de combat livrés par la Russie. La livraison de ce matériel est le «fruit d’un partenariat sincère et très ancien (Russie-Mali)», a indiqué l’Armée malienne sur son site internet. La Russie avait, jusqu’à mercredi, livré au Mali au moins quatre hélicoptères et des armes. Le Mali a accueilli en grand nombre ce que la junte présente comme des instructeurs russes. Les équipements acheminés par avion transporteur russe et réceptionnés mercredi soir sur la Base militaire de l’aéroport de Bamako, sont composés «d’hélicoptères de combat, (de) radars dernière génération et beaucoup d’autres matériels nécessaires dans la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme», dit l’Armée sur son site.
Deux hélicoptères et au moins cinq camions de transport ont été observés. Parmi les équipements figure un radar 59N6-Te, a dit le Colonel Sadio Camara. «Ce radar est capable de détecter en 3D des objets volant à une vitesse pouvant atteindre 8000 km/h», a-t-il déclaré.
«Aujourd’hui, nous pouvons dire avec fierté que notre Armée nationale est capable d’opérer en toute autonomie, sans demander de l’aide à qui que ce soit», a-t-il assuré, faisant référence à la dépendance jusqu’à récemment des Forces maliennes aux moyens aériens étrangers, notamment français. Aucune information n’a été rendue publique quant aux conditions d’acquisition des équipements.
mgaye@lequotidien.sn