DECLARATION Pr Mariame Wane Ly sur la première Noire, lauréate du Nobel de littérature : «Etre féministe, c’est trop réducteur pour la vision de Toni Morrison»

En hommage au Dr Toni Morrison que Oprah Winfrey appelle l’«Impératrice des lettres américaines», le Centre de recherche ouest africain (Warc) et l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal ont organisé mercredi dernier une séance de projection, suivie de débat sur un documentaire de la Bbc, datant de 2015, consacré à cette immense romancière et intitulé «Toni Morrison remembers».
Le Centre de recherche ouest africain (Warc) et l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal ont rendu mercredi un vibrant hommage à l’auteur Toni Morrison, morte à l’âge de 88 ans, lundi 5 août dans la soirée, à travers une projection suivie d’un débat du documentaire de la Bbc consacré à cette immense romancière et intitulé Toni Morrison remembers, autrement dit, «Toni Morrison se rappelle».
La romancière a été la première Africaine-Américaine à remporter le prix Nobel de littérature et plus connue pour ses discussions sur la race en Amérique. Les livres de Morrison sont acclamés tant par le public que la critique. Son livre Beloved a été adapté au cinéma en 1998. Home, son dernier livre, une plongé dans l’Amérique des années 50 et de la ségrégation raciale. Ainsi, l’écrivain a exploré toute l’histoire des Noirs américains depuis leur mise en esclavage jusqu’à leur émancipation dans la société américaine actuelle.
«Les thèmes et questions abordés par ce grand auteur ont une portée universelle. Il s’agit pratiquement de l’odyssée du Peuple africain-américain à travers toute son histoire, depuis l’esclavage qui les a implantés au sud, depuis le sud où la culture africaine-américaine s’est forgée et depuis là-bas jusqu’au nord avec les migrations qui ont suivi lorsque les esclavages ont été libérés et n’avaient pas de quoi se nourrir dans le sud parce qu’ils n’avaient pas de moyens de production. Tout cela a suivi Toni Morrison jusque dans l’Ohio», a commenté Dr Ousmane Sène, directeur du Warc (West african reearch center), qui a convié le Professeur Mariame Ly au Département d’anglais de l’Ucad, le Professeur Louis Mendy et Rose Curtis de l’ambassade des Etats-Unis au Sénégal autour d’un débat sur la romancière.
Mariame Wane Ly, spécialisée particulièrement dans les productions romanesques de Tony Morrison, déclare : «Toni Morrison s’est inscrite dans la dénonciation, la restitution d’une histoire. Et ce qui est intéressant, c’est que Tony Morrison met de côté tout ce qui est document officiel pour avoir vraiment tout ce qui s’inspire de l’expérience africaine-américaine.» Avant de citer l’écrivain qui demande à l’homme noir de ne pas se morfondre sous le poids du regard des autres : «La définition appartient à ceux qui définissent, mais pas à ce qui sont définis.» D’après Mme Ly, c’est ce qui pose alors le problème de la self-définition dans la production de la romancière. Elle dit : «Pour Toni Morrison, se définir est extrêmement important. Cela fait partie d’une quête identitaire. Comment laisser l’autre, Euro-Américain, nous définir ?» Donc, poursuit-elle, toute l’œuvre de Toni Morrison entre dans ce cadre de la self-définition. Se revoir dans son propre miroir, se revoir selon les termes de notre propre miroir, se revoir selon les termes de notre propre histoire, celle qui est racontée selon le point de vue de l’autre de l’Africain-Américain et non point à partir du regard du Blanc. «S’il y a un livre que vous aimeriez lire, mais qui n’a pas encore été écrit, alors c’est votre devoir de l’écrire», disait Toni Morrison.
Par ailleurs, contrairement à ce que croient bon nombre de lecteurs, Mme Wane Ly estime que son écrivain préféré n’est pas féministe. «Selon Toni Morrison, le fait d’être femme et noire en Amérique offre une perspective littéraire très intéressante. Il n’y a pas un être aussi sensible qu’une femme. Donc Toni Morrison, au-delà de condition féministe, elle parle de la condition humaine. Elle a une perspective universaliste qui dépasse le cadre même. Elle dit qu’être féministe, c’est trop réducteur pour la vision qu’elle a pour sa communauté qui est faite d’hommes et de femmes. Ainsi, en empruntant un personnage féminin, elle parle de la femme en tant que mère, fille, mais aussi de ce qui se passe autour d’elle, et de sa vision du monde.»