Saint-Louis a son pont. Ndar a son université. La ville a ses artistes photographes. Entre ces différentes richesses de Saint-Louis du Sénégal, s’est construite une passerelle. Le MuPho. Le Musée de la photographie.Par Moussa SECK –
Saint-Louis du Sénégal, une nuit de mai. Faidherbe mouille ses piliers dans la coulée qui distille timidement de doux bruits. Et qui mêlent leur douceur à celui d’un caressant vent. Envie d’éterniser cet instant onirique ! Légitime, cette envie. Mais le temps, l’eau et le vent ont ceci de commun qu’ils passent entre les doigts. Seulement, l’homme a eu le génie d’inventer la photographie, afin de capturer les moments qu’il veut éternels. Et à Ndar, face à l’eau qui ruisselle et chante, le vent qui fredonne et coule, le temps qui s’envole, s’écoule et se dilate, est bâti un lieu de mémoire. Un Musée de la photographie. MuPho. En face du fleuve, un bâtiment, deux, puis d’autres ailleurs : «neuf sites, numérotés de 0 à sept avec trois bis», selon la formule du collectionneur à l’origine du MuPho. Amadou Diaw…
Les bâtiments disséminés dans la ville qui se veut monde, constituent un lieu de dialogue entre «plusieurs visions de la photographie et écrivent tous ensemble l’histoire du Sénégal et de ses échanges avec le reste du continent, sans oublier l’apport des photographes étrangers». Kër Thiané a dans cette logique, accueilli une rencontre qui synthétise ce qui s’est précédemment dit. Saint-Louis, ville-monde : Bimpe Nkontchou, nigériane basée à Londres qui vient parler de James Barnor. James Barnor : photographe ghanéen qui fête bientôt ses 94 ans, qui craint (craignait !) que son œuvre ne lui survive et ne soit léguée à la jeune génération, exposé devant de jeunes photographes du Sénégal. Il fallait bien quelque chose de l’ordre de ce musée pour permettre aux uns de découvrir, aux autres de poursuivre leur vieillesse tranquillement, parce que déchargés de la hantise de voir leurs clichés éclipsés par le contre-jour de l’oubli. Et, puisqu’il faut du symbole, le hangar (disons la cour) de Kër Thiané a tenu qu’on en discute autour d’un des marcheurs en fer d’un certain Ndary Lô….
La lumière est des meilleures, les éléments de décor, des plus beaux, la mémoire des assistants à la rencontre de ce 3 mai tient le moment propice pour photographier quelque chose de «timeless». Le souvenir, plus tard, fera revenir la capture sous forme de «rêveries d’hier». A l’instant de ce samedi de rencontre, on narre les «Songes du Présent». Et, de la projection des uns et des autres, jaillissent les «Promesses des Lendemains». Dans tous les cas, this is «timeless» ! Entre «Rêveries d’Hier, Songes du Présent, Promesses des Lendemains», tel le proposé par la programmation 2023-2024 du MuPho…
Aux extrémités, des mains tendues
Saint-Louis, c’est sans doute son iconique pont physique, mais aussi ces ponts imaginaires non moins importants que certains rêvent de tisser entre son centre pensant (l’université Gaston Berger) et son centre sentant (la ville, son histoire, sa mémoire…). M. Diaw se satisfait d’être de celles et ceux qui architecturent les ponts de l’esprit entre les deux centres de Ndar. Autour du marcheur de Ndary dont tout dans la posture dit dynamisme et assurance, l’Ugb est alors représentée, en la personne de Gora Seck. Les passerelles se ficèlent donc et pour M. Seck, c’est évident que ça se fasse. Parce qu’ «on ne peut pas installer au niveau de l’université Gaston Berger de Saint-Louis, une section dénommée métiers des arts et de la culture, que cette ville de Saint-Louis soit tricentenaire, que cette ville de Saint-Louis porte toute une histoire (je vais particulariser ici du point de vue culturel et artistique) sans pour autant que naturellement, ce pont ne puisse se mettre en place». L’enseignant-chercheur à la section ci-dessus citée ! «Naturellement», et la concrétisation n’attendait que des mains tendues d’une extrémité à une autre. Des gens comme M. Diaw et M. Cissé d’une part, et d’autre part, des étudiants ainsi que des professeurs tout aussi déterminés «pour un moment se rendre compte que cette possibilité doit être réalisée afin que réellement, quelque chose puisse sortir de tout cela et éclore, et aller à la conquête du monde». «Quelque chose»… comme ce que Amadou Diaw désigne sous le nom d’«école de Saint-Louis» ? «Je ne sais pas si c’est l’école de Saint-Louis ou c’est une autre école. Ce que je sais, c’est qu’il y a quelque chose qui est en train de germer, qui part de la ville et qui va à la rencontre de l’université ou qui part de l’université et qui va à la rencontre de la ville, et qui va essaimer, qui va exploser, qui va aller à la conquête de l’intérieur du Sénégal d’abord, pour aller ensuite à la conquête de l’Afrique, pour toucher le monde» enfin, poétise M. Gora Seck. Il prophétise aussi, en annonçant la venue de quelque chose «d’étonnant», dit-il. Et qu’il dit «détonnant» ! L’histoire a entendu, et a sûrement tout enregistré dans les replis de ses pellicules. Le temps qui coule nous dira ce qu’il sera de leur développement. Pour l’heure, le fleuve, assisté des vents et de l’aspect pittoresque de Saint-Louis l’éternelle, fait son blues. Au moment où le MuPho accroche en souvenir sur l’un de ses murs, les photos du Festival de jazz….