La notation du crédit du Sénégal par l’agence Moody’s a mis en émoi tout le gouvernement, qui n’a pas hésité à y voir une intention politique cachée. Cette attitude bien commode permet au gouvernement d’éviter de se remettre en question en se posant des questions sur les déclarations hasardeuses de certaines autorités.
Par M. GUEYE – 

Les publications des agences de notation sur la situation de l’économie sénégalaise n’ont jamais auparavant suscité autant de commentaires. Pire encore, cette fois-ci, même les services du ministère des Finances et du budget, d’ordinaire très pondérés, semblent avoir goûté à du chine enragé. Les accusations vont au-delà de la notation de Moody’s qui, en elle-même, est assez terrible.
Les collaborateurs de Cheikh Diba estiment que «cette action, qui abaisse la note de crédit du Sénégal de B3 à Caa1, tout en maintenant une perspective inchangée, repose sur des hypothèses spéculatives, subjectives et biaisées». Les fonctionnaires de l’immeuble Peytavin n’hésitent même pas à prêter des intentions politiques cachées à la sortie de ladite décision de Moody’s, qui vient d’être publiée à moins d’une semaine de la clôture du forum sur l’investissement, Fii Sene­gal.
Lors de ce forum, il a été annoncé des intentions d’investissement de l’ordre de 13 211 milliards de Cfa, ainsi que 51 accords signés. Ces chiffres avaient tellement impressionné les autorités que le Premier ministre se permettait de garantir 13 millions d’emplois d’ici 2050 à la population sénégalaise ! Le gouvernement était même dans l’attente des résultats de la levée des fonds sur les Diaspora bonds, où le Sénégal escomptait 300 milliards de francs Cfa.
L’atmosphère était donc à l’optimisme, au point que les dernières déclarations de certains responsables du Fonds monétaire international -avant Mme Kristalina Georgieva- avaient pu laisser les Sénégalais croire que les portes du système financier international leur étaient à nouveau ouvertes. Hélas ! Patatras !
Cheikh Diba reproche à l’agence de notation Moody’s de travailler comme toutes les agences de notation, par le biais des opinions, et lui demande, s’agissant du Sénégal, de tenir plutôt compte des performances du pouvoir du régime Pastef. «La robustesse des fondamentaux du Sénégal se manifeste à travers :
• la mobilisation réussie de financements diversifiés, illustrée par les importantes levées de fonds sur le marché régional et par l’élargissement continu de la base de partenaires financiers, incluant des banques commerciales internationales ;…
• des perspectives de croissance économique dynamiques, portées par les réformes structurelles en cours, le développement du secteur énergétique et l’amélioration continue du climat des affaires, renforcés par l’adoption récente du nouveau Code des investissements.»
Invitant ses partenaires à porter ses lunettes, le ministère les appelle à déduire comme lui, que «le Sénégal demeure confiant dans la solidité de son économie, et invite les partenaires et investisseurs à apprécier la situation réelle du pays sur la base d’informations fiables, d’analyses équilibrées et de faits objectifs».
Pourtant, toute la logorrhée de Diba camoufle mal son inquiétude et le manque de transparence et les biais politiques qui se dégagent de ses déclarations, et que dénonce justement l’agence internationale de notation. Depuis que la note souveraine du Sénégal a commencé à virer à la baisse, c’est la première fois, en 18 mois, que le classement du Sénégal quitte la catégorie B, qui est la zone spéculative, pour entrer dans C, qui est jugée à risque. Même les investisseurs potentiels qui s’étaient manifestés lors du Fii Senegal 2025 vont y réfléchir à deux fois avant de se risquer à mettre leurs billes ici.
Moody’s s’inquiète de la trajectoire de la dette du pays dont le taux est passé à 110% du Pib en 2024, après les corrections imposées par le gouvernement. Moody’s a estimé que «le ratio d’endettement des recettes publiques du Sénégal, estimé en 2024 à 581%, dépasse largement la moyenne de l’Uemoa, qui est de 283%, pour les émetteurs souverains notés B… ce qui en fait l’un des taux les plus élevés parmi les marchés émergents à l’échelle mondiale».
Le plus grave est que le gouvernement n’est toujours pas parvenu à convaincre le Fmi de reprendre la coopération, et ainsi faciliter les relations avec les autres bailleurs multi et bilatéraux. Sans la confiance de ces partenaires, le Sénégal continuera à se tourner vers le marché financier international, où même à ce niveau, il ne lui est pas fait de cadeaux. Le pays n’a pas assez de liquidités pour financer des projets à long terme, et en plus, ces financements ne sont pas à faible coût. La situation est d’ailleurs si dramatique que le pays doit toujours s’endetter dans le marché de l’Uemoa pour payer sa dette extérieure, et payer les salaires des fonctionnaires. Le succès des différentes levées de fonds et autres bons du Trésor souverains n’est, en réalité, qu’une goutte d’eau pour un assoiffé dans le désert.
L’ironie est que, quelque part, les autorités publiques sénégalaises ne pourraient s’en prendre qu’à elles-mêmes. Dès le jour de clôture du forum sur l’investissement, le Premier ministre Ousmane Sonko a voulu prendre de haut tous les potentiels partenaires, en prétendant que le pays a les moyens de réussir un développement endogène. Prenant à contre-pied l’un des arguments de l’attraction du pays face à l’extérieur, il a dit que la monnaie commune, le Cfa, est l’une des responsables de nos échecs économiques. Lui qui disait qu’aucun pays au monde n’a réussi son développement avec une monnaie commune, a «oublié» que l’euro appartient à un des groupes économiques les plus puissants du monde, l’Europe. Et la force du dollar repose aussi et surtout sur le fait que les Américains, bien qu’émetteurs, n’en limitent pas l’utilisation à leur seule économie. Ce qui vaut au Trésor américain une influence quasi mondiale.
Pour revenir aux diatribes de notre chef de gouvernement, en dehors de mettre mal à l’aise ses partenaires, il ne nous dit pas comment il pourrait se passer des partenariats des organismes étrangers. Ce qui fait que les lamentations de Cheikh Diba n’émeuvent pas les agences de notation.
mgueye@lequotidien.sn