Délit de fuite, Madiambal et les autres

Depuis sa sortie du territoire national, Madiambal Diagne n’a cessé d’occuper les conversations de ses compatriotes. Selon leurs penchants politiques et idéologiques, beaucoup le vouent aux gémonies, l’accusant de lâcheté, de manque de courage et de fuite de responsabilité. Cela, en plus de manœuvres malhonnêtes par lesquelles il a pu s’approprier près de 25 milliards de francs Cfa de l’argent de ses concitoyens, qui manquent d’écoles décentes à cette rentrée scolaire, ou bien les centres de santé dépouillés d’équipements indispensables, jusque dans nos grandes villes, au moment où beaucoup de parturientes meurent en couches faute de soins. Ou de jeunes opérés manquent de bandes adhésives dans les formations hospitalières.
Ils sont donc nombreux, ces Sénégalais à qui la moutarde de l’indignation patriotique monte toujours au nez quand ils évoquent le nom de l’ancien patron de presse, eux qui déjà n’avaient pas compris comment ce Madiambal Diagne, qui proclamait sa proximité avec le tyran Macky Sall, a pu pendant longtemps, bénéficier d’une liberté imméritée, lui qui, pendant bien longtemps, ne s’est jamais gêné pour se présenter seul au front pour tenter d’endiguer les vagues irrésistibles du «Projet», au moment où tous les ministres du même Macky, ainsi que des membres de son parti, se terraient sous leurs lits.
C’était pour ces «patriotes» hier, avec l’annonce de l’arrestation en France de Madiambal Diagne, presque un nouveau 24 mars 2024 ! L’annonce de la mise aux arrêts de Diagne équivalait, pour beaucoup, à un autre triomphe de la cause défendue par Ousmane Sonko et son Pastef ! Ils le voyaient déjà ramené pieds et poings liés à Diass, d’où il serait traîné la corde au cou dans les rues de Dakar, avant d’être jeté dans la plus sombre des cellules de la République !
Il n’a jamais été question de rationalité en ce qui concerne la détestation de Madiambal Diagne par la grande masse des «patriotes». Pour ces gens, tout était on ne peut plus simple : cet individu n’aime pas le Pros, les partisans du Pros ne vont jamais lui témoigner de l’amour ! Dans certaines entreprises de Diagne, des travailleurs ont préféré perdre leur emploi plutôt que de cacher le peu de sympathie qu’ils éprouvaient à l’égard de celui qui leur assurait leur salaire, mais dont le teint mat s’expliquait par la sentence profonde de leur gourou : «Il ment tellement qu’il en est devenu tout noir !»
Combien de personnes se sont-elles interrogées sur les raisons de la présence de Madiambal Diagne dans le bureau d’un juge français ? Faute d’avoir des informations de la part des magistrats, peu d’entre eux ont pris le temps d’interroger les avocats de l’intéressé. Et puisque les déclarations des hommes de loi peuvent toujours être orientées, a-t-on pris la précaution de les vérifier ? Il faut croire qu’il était bien plus aisé de se rependre en posts sur les réseaux sociaux. Et de jubiler que le «fuyard» venait d’arriver au bout de sa route.
Certains doctes juristes se sont même permis de rappeler au repris de justice Madiambal que la non-comparution devant une convocation de la Justice de son pays est une forme d’indignité, qui était susceptible de lui faire perdre tout respect de la part de ses concitoyens. Ils se sont même permis de comparer le cas de Madiambal à celui de nombreux compatriotes qui croupissent dans les geôles du «Projet» en refusant de tourner les talons.
Dans ce journal, personne n’a jamais été investi de la mission de défendre Madiambal Diagne, ni de porter ses projets. Il n’en reste pas moins que l’on peut juger cavalier de s’attaquer à une personne en la sachant dans l’impossibilité de répondre à des attaques ad hominem. Or, ceux de ses compatriotes qui le suivent depuis longtemps, savent que Madiambal s’est toujours fait un devoir de répondre de lui-même aux attaques qui le visent.
On se contentera seulement de préciser qu’il est n’est pas approprié de parler de délit de fuite concernant Madiambal. Il a été interdit de sortie du territoire alors qu’il ne faisait l’objet d’aucun mandat ou d’un quelconque arrêté. C’est à l’aéroport qu’on lui a interdit de prendre son avion, en lui demandant de se rendre à la police le lendemain. Jugeant que ce qu’il voulait faire à l’étranger était plus urgent à ses yeux, M. Diagne a préféré ne pas rentrer chez lui, et a trouvé un autre moyen pour sortir du pays. Où est donc la cavale ? Où est le délit de fuite ?
Cette situation n’est pas comparable à celle de ce très proche et influent collaborateur du ministère de la Communication, condamné en son temps par la Crei alors qu’il dirigeait une célèbre chaîne de télévision de ce pays. Condamné pour sa gestion, il a préféré mettre une belle distance entre la Justice de son pays et lui, tout le temps de la toute-puissance du régime de Macky Sall. Revenu dans les valises du nouveau pouvoir, il peut se permettre de donner des leçons aux bons journalistes et fustiger les autres.
De même, le cas de Madiambal n’est pas similaire à celui d’un de ses cadets greffiers défroqué comme lui, mais qui a trouvé sa voie royale dans la haute politique. Poursuivi pour outrage à magistrats, il préféra mettre une belle distance -de la taille du fleuve Djoliba- entre ses poursuivants et lui. A l’époque, dans la secte de Pastef, il passait pour un très grand héros.
Sur ces cas, et bien d’autres, inutiles de citer ici, on n’a pas cherché à jeter la pierre sur ces personnes. Bien au contraire, certains ont jugé «révolutionnaire» leur «méthode de combat». Il est vrai que Madiambal ne porte d’idéal autre que celui de sauver sa vie et celle des siens, préserver son patrimoine et défendre les convictions auxquelles il est attaché. Le temps a tellement évolué dans ce pays que pour beaucoup, ces convictions de Madiambal peuvent être objet de trahison. Quitte pour cela, à les payer de sa tête ?
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn