Avant le naufrage du Joola, le marché Diola était logé au cœur du Port. Il était prospère jusqu’à cette nuit du 26 septembre. A la suite de la tragédie, il est délocalisé dans la banlieue, mettant aussi fin à un business florissant. Aujourd’hui, le marché Diola dont plusieurs vendeuses avaient péri lors de cette nuit-là, est situé dans le marché au poisson de Pikine. Il n’est d’ailleurs un marché que de nom, selon ses occupantes. Un appel est lancé par ces dernières pour que le gouvernement leur construise un marché digne de ce nom.Par Moussa SECK –
L’odeur caresse les narines, tandis que l’écho des voix s’ajoute au bruit ambiant. Ici, un homme qui apporte de la glace. Là, une femme devant sa table et sa marchandise. Entre les étables, des nettoyeurs, les camions stationnés non loin attendant d’être déchargés. Le marché central au poisson se décrit de lui-même. Ça vend, ça achète, ça vit. Un coup ‘‘œil à gauche offre pourtant un décor tout autre. Plus sobre, moins animé, plus sombre avec ses parasols, moins attirant de par son aspect. C’est un marché dans le marché. C’est celui dit «Diola» dans celui dit de Pikine.
On y vend des balais, de l’huile de palme, du citron en liquide, du poisson fumé. Modestes sont les tables, les demi-cercles qui se constituent en dôme, protégeant le marché principal du soleil, disparaissent quand on pose le regard sur ce marché secondaire. Mais on y rit aussi, on y partage du café…, on y montre de la bienveillance envers «Mère Sagna», venant jusqu’à s’adosser à elle. Et elle, rend cette même bienveillance. Une mère, mais aussi une commerçante, au temps qui s’activait au marché du port. Un temps passé. Un passé qu’elle regrette. Un regret qu’elle exprime. En ces mots : «Ce n’est du tout comme au port. L’avantage avec le port est que c’est en pleine ville. Ainsi, à la fin de leur journée au bureau, les gens passaient pour se payer de quoi faire plaisir à leurs familles. Mais ici, c’est très loin. Il est vrai qu’on arrive à écouler de la marchandise, mais ce n’est aucunement comparable au rythme du marché au niveau du port.»
Près de Bineta Sagna, d’autres «mères» discutent dans leur dialecte. Elles parlent passionnément, vite et en sourire. Mère Sagna sourit à son tour et traduit : «Elles se souviennent des beaux jours du marché du port.» Plus tard dans la discussion, l’une d’elles lâche le mot «bénéfice» et bientôt, le wolof reprend ses droits. Celle qui évoquait le bénéfice raconte une anecdote dont elle-même va en rire : «mon garçon m’a dit que la vie est ainsi faite. Des fois, les portes de la richesse s’ouvrent à nous et elles peuvent se refermer à tout moment», dit-elle devant l’attention de ses amies. «Et, poursuit-elle, lorsqu’il m’a demandé de l’argent pour s’acheter des crampons, je lui ai rappelé ses mots.» Toutes sourirent. Traverser une période d’infortune n’a pas ébranlé ces dames autour de Bineta Sagna, qui est la présidente du marché Diola. «Nous ne nous plaignons pas. De toutes les façons, nous n’avons que notre commerce. Nous remercions le Ciel, et avec le peu qu’on gagne ici, nous subvenons aux besoins de nos familles», rassure la dame dont le foulard ne cache pas une chevelure blanchie par l’âge.
Près de Bineta Sagna, sèchent des pagnes au soleil. La pluie a raison de ce lieu qui n’est un marché que de nom, selon la présidente. La pluie laisse encore ses traces sur le bois des tables. Appel est ainsi lancé par les dames du «marché» à l’endroit du président de la République, pour que ce dernier leur fasse un lieu de commerce digne de ce nom. Le directeur du marché principal, qu’elle remercie d’ailleurs pour son soutien, ne saurait, selon elle, tout faire. «On ne nous a jamais vues ou entendues faire des revendications», souligne Mère Sagna, qui rajoute que malgré ce silence, ses amies et elles n’en demeurent pas moins fatiguées. De conclure qu’elles ont besoin qu’on leur construise quelque chose qui remplace leurs parasols.