Avec la démission de Ibrahima Hamidou Dème, la balance de Thémis tremble. Avec des critiques internes profondes et des décisions judiciaires très commentées, les acteurs veulent plus de liberté et le départ du président de la République du Conseil supérieur de la magistrature. Ça va mal dans les rangs.

Ibrahima Hamidou Dème a secoué le temple de Thémis après sa fracassante démission. Son réquisitoire qui montre la profondeur du malaise dans les rangs de la magistrature est un appel pressent à la modernisation de la justice. Depuis quelque temps, le bruit a pris le dessus sur le silence dans le monde judiciaire. Il y a 3 ans, par le truchement d’une contribution, l’ancien Substitut général près la Cour d’appel de Dakar évoquait les relations entre la politique et la justice. Dans sa plaidoirie, il rappelait une phrase de campagne du candidat Macky Sall en 2012 qui parlait ainsi du fonctionnement de la justice : «Mis sous la tutelle du pouvoir exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté en ressources humaines et matérielles, le pouvoir judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions dans l’impartialité et l’indépendance. Mettre fin à cet état de fait exige de renforcer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature par sa composition, son organisation et son fonctionnement.»
Aujourd’hui, Ibrahima Hamidou Dème semble déçu de cette promesse. Il réclame toujours l’indépendance au point de quitter ses semblables. Son départ épistolaire agite encore une fois les rapports entre l’exécutif et le judiciaire. «J’ai démissionné d’une magistrature qui a démissionné», a-t-il indiqué dans sa correspondance. A la lumière des récentes prises de position des hommes du système judiciaire, c’est le mot indépendance qui revient le plus souvent comme s’il y avait un sentiment d’instrumentalisation et de manipulation. Avec le départ d’un des leurs, le temple de Thémis prend un sacré coup. Après ceux précédemment reçus des hommes politiques qui ne cessent d’affirmer que la justice sénégalaise obéit au doigt et à l’œil des régimes politiques. Les critiques fusent de partout, les procès des hommes publics sont toujours considérés comme des opérations commandées qu’ils exécutent sans rechigner.

Csm sous tutelle
Sans doute gênée par cette situation de tutelle, l’Union des magistrats sénégalais (Ums) est récemment montée au créneau pour s’offusquer des propos insultants qu’aurait tenus Moustapha Cissé Lô à l’égard des magistrats. Le mal est profond, le système est traîné dans la boue, la corporation s’effrite et essaie tant bien que mal de se laver à grande eau en clamant tout haut son indépendance sans pouvoir compter sur ses hommes qui lui pointent aussi un doigt accusateur. Compte tenu des sorties qui ont précédé celle de Ibrahima Hamidou Dème, le monde judiciaire semble traverser depuis des années des situations inconfortables. Avant son «pamphlet», le magistrat Souleymane Téliko dénonçait au mois d’octobre dernier les consultations à domicile qui, selon lui, ne garantissaient pas de bonnes conditions de travail. Lors d’un colloque, le président de l’Ums a vigoureusement adressé un message à l’endroit des détracteurs de ses collègues : «A ceux qui réduisent le problème d’indépendance de la justice à un simple problème individuel, il ne faudrait pas en effet oublier que le magistrat n’est, après tout, qu’un agent de l’Etat. Un Etat qui peut être fort, oppresseur et hostile à toute velléité d’expression de l’indépendance. Combien sont-ils (les magistrats) à avoir payé de leur carrière et même de leur honneur pour avoir pris l’option résolue d’exercer leur office en toute indépendance ?», s’interrogeait-il. Comme pour dire : c’est le système qui est défaillant et non celui qui l’incarne. Depuis plusieurs années, c’est la même rengaine : de Aliou Niane à Souleymane Téliko, en passant Magatte Diop, le diagnostic ne diffère pas : le désir de liberté, d’indépendance et d’inamovibilité est toujours prégnant.

Le président de la République invité à quitter la tête du Csm
Jusque-là, c’est le président de la République qui préside le Conseil supérieur de la magistrature, le ministre de la Justice en est le vice-président. L’Ums souhaite que le pouvoir exécutif ne soit plus membre du Cms. Depuis quelques mois, le départ de l’exécutif est réclamé par les magistrats. En décembre dernier, devant le garde des Sceaux, l’Ums émettait son souhait : «Conférer au Csm le pouvoir de faire les propositions de nomination pour tous les magistrats, la définition et la diffusion de critères objectifs pour la nomination des magistrats en matière disciplinaire, permettre aux organes de saisir directement le Conseil de discipline.» Ce vœu ne va sûrement pas se réaliser dans l’immédiat puisque le président de la République a apporté sa réponse à l’Ums, lors de la rentrée solennelle des Cours et tribunaux. A cette occasion, il s’est dit ouvert à toutes les propositions sur la modernisation de la justice et de l’indépendance de la magistrature. «Sur la question du Conseil supérieur de la magistrature, il n’y a pas de tabou, pourvu que la réflexion soit inclusive et qu’elle profite à l’indépendance de la justice. Je suis prêt à aller le plus loin possible», avait-il soutenu. L’Ums attend toujours…
Stagiaire