La démocratie, comme l’Occident l’a vendue au monde depuis l’épilogue du XXe siècle, est le régime de l’intérêt général, celui qui permet à tous les citoyens, quelle que soit leur extraction sociale, de bénéficier pleinement des mêmes chances de réussite et de mieux-être. L’imperfection de ce régime ne fait plus l’objet d’un doute. L’on connaît tous cette pensée de Winston Churchill : elle est la moins mauvaise des régimes. Et l’humanité, aussi savante et ingénieuse soit-elle, s’en est contentée, satisfaite. Mais enfin ! L’égalité politique a toujours été considérée comme la trame de cette forme d’organisation politique.
Aujourd’hui, avec les inégalités sociales inhérentes à l’économie de marché, cette égalité au sein de la communauté politique, longtemps déclamée par une certaine littérature idéologisée, s’est effondrée devant les ruines de fractures sociales aussi terribles que grandissantes.

La crise de la représentation est l’événement majeur de la démocratie de notre siècle. Les chambardements des sociétés n’ont pas été suivis par des institutions susceptibles d’approfondir la représentation dans une perspective d’inclure toutes les minorités. Il se trouve que, au-delà des médiocres performances économiques, le sentiment de déréliction est assez grand dans plusieurs sociétés démocratiques. Par­tout dans le monde, les institutions démocratiques sont accusées d’accaparer le pouvoir du Peuple pour en faire une propriété privée satisfaisant d’intérêts particuliers. Dans ce système représentatif, pour parler comme André Tardieu, le Peuple est certes souverain, mais c’est un «souverain captif». Captif d’une élite et d’une mal-représentation. La rhétorique populiste, vide et vulgaire, s’appuie sur cette défaillance démocratique afin de dresser le Peuple contre l’élite, de s’attaquer aux fondements de la société, d’épouser les idées fascistes. Les idéaux et procédures de la démocratie, sous nos latitudes, sont subrepticement vandalisés.

Le congédiement du népotisme en démocratie : aux aguets de l’intérêt général !
Toute démocratie, mature comme balbutiante (encore faudra-t-il que les critères de stratification soient objectivement dégagés), a le souci de l’intérêt général, c’est-à-dire de la satisfaction des besoins de ses citoyens. Dans un entretien accordé à «France Culture» le 20 janvier 2020, l’historien de la démocratie Pierre Rosan­vallon disait que celle-ci est «fondée sur la règle des gouvernants». L’élite dirigeante, tamisée suivant les règles du jeu démocratique, a la responsabilité de garantir le progrès social et économique. Dans cette entreprise, le népotisme, c’est-à-dire la gestion clanique et familiale, est congédié. L’idée est d’éviter que ceux qui exercent le pouvoir politique soient uniquement choisis sur la base d’affinités familiales et politiques, en-dehors de toute compétence et de tout mérite. Le principe de la méritocratie, donc de l’égalité politique, se trouve torpillé. La compétence, reléguée au second plan dans les logiques qui ont présidé aux choix, constitue un obstacle pour la performance économique -finalité de toute démocratie et, au-delà, de tout régime politique. La proclamation du divorce entre le régime démocratique et le népotisme a le souci de constituer une équipe dirigeante, sélectionnée uniquement sur la base de compétences avérées, pour parvenir à de grandes réalisations au profit de tous. La gestion familiale du pouvoir politique, si elle n’est légitimée par aucune capacité à bien cornaquer le navire national, est une menace pour la démocratie et, partant, la communauté politique.

Tout ce qui brille n’est pas de l’or
Peut-on parler de népotisme lorsque les personnes nommées, fussent-elles de la même famille, ont les compétences nécessaires pour s’acquitter, de manière satisfaisante, des tâches qui leur sont confiées ? La démocratie n’est-elle pas fondée sur la règle des gouvernants ? Il faut faire appel à la méritocratie, véritable pilier des démocraties contemporaines : le critère du mérite est le plus décisif pour procéder à des choix. Que le citoyen nommé, compétent et méritant, soit un fils du président de la République ou d’un ministre ! Peu importe. L’essentiel, c’est qu’il serve son pays -et ne se serve point- comme tous les autres citoyens. Il y a une très grande injustice dans le discours, très dichotomique, sur les nominations des personnes appartenant aux familles de la classe dirigeante. Au nom de quelle règle de bon sens, un citoyen, armé de toutes les habilités pour servir son pays, doit être écarté de la gestion des affaires publiques pour la seule et simple raison de son appartenance familiale ? Aucune ! Et c’est l’égalité politique même qui est attaquée. Le pays peut, sûrement, se priver de ses plus brillants cadres. Un ministre qui a, dans sa famille, un haut cadre, n’a qu’à l’inclure dans son équipe pour le bien collectif. Si le choix est objectif et objectivé, on ne peut nullement parler de népotisme.
Il y a tout un travail de déconstruction d’imaginaires qu’il faut entreprendre, avec un primat accordé à la compétence et au mérite, en-dehors de toute autre considération. Ce sont nos rapports avec le pouvoir politique, dans leur complexité et ambiguïté, qu’il faut questionner. Le mot «népotisme» est souvent utilisé à des fins politiciennes, en faisant de lui un fourre-tout où toutes les imprécisions sémantiques s’y entassent. La démocratie, peut-on dire, est fondée sur la règle du plus apte. C’est un travail de recherche de solutions aux problèmes des citoyens. Dans ce grand chantier national, tous les talents, sans exception, doivent être mis en valeur. Il y va de la qualité de notre capital humain, point de départ de tout développement. Saisissons le sens réel du divorce !
Baba DIENG