Une solution communautaire contre le mouvement transfrontalier des enfants en âge de scolarisation entre le Sénégal et la Guinée-Bissau est trouvée par Enda jeunesse action qui, dans le cadre de son Projet de lutte contre la migration précoce des enfants, soutenu par la Caritas allemande et le ministère de la Coopération allemande, a amené les autorités étatiques et locales des communes de Pirada en Guinée-Bissau et de Wassadou au Sénégal à signer une convention de partenariat pour y mettre un terme. C’était mardi passé à Wassadou au cours d’une cérémonie officielle à laquelle plusieurs centaines de délégués des 2 pays ont participé.Par Abdoulaye KAMARA
– Un pas de géant est franchi pour le renforcement de la coopération entre le Sénégal et la Guinée-Bissau en matière de prévention de la mobilité transfrontalière des enfants ainsi que leur prise en charge sur les routes migratoires : les autorités locales et administratives de ces 2 pays, qui partagent une même frontière au niveau du département de Vélingara (Sénégal) et de la commune de Pirada (Guinée-Bissau), ont signé une convention de partenariat pour juguler ce mal qui porte un coup fatal à un meilleur devenir des mômes. François Xavier Tine, adjoint au sous-préfet de l’arrondissement de Pakour, et Souleymane Diallo, maire de Wassadou, pour la partie sénégalaise, et Amadou Korka Sow, chef de canton de Pirada, et Karamo Kassama, administrateur adjoint de Pirada (Guinée-Bissau), ont paraphé ledit document mardi passé dans l’enceinte de la mairie de cette commune du département de Vélingara. Dans le protocole, lu en portugais et puis traduit en langue pulaar pour la compréhension des centaines de personnes qui assistaient à la cérémonie, se trouvent, entre autres engagements : «Prendre des mesures nécessaires pour prévenir, détecter et prendre en charge les risques liés à la mobilité des enfants, cartographier les zones d’origine, les itinéraires des trafiquants, les auteurs et complices qui menacent la sécurité des enfants, développer le partenariat avec les administrations, les organisations de la Société civile, les partenaires techniques et financiers, mettre en œuvre des plans d’actions de sensibilisation pour la protection des enfants en mobilité…»
Après avoir signé le document, l’autorité administrative du Sénégal a dit : «Très satisfait de cette initiative qui concerne nos 2 pays. Après cette signature, le temps des discours est terminé, il faut passer à l’action. La main dans la main pour s’unir et protéger l’enfant, la famille. Prendre des mesures fermes pour que cela soit une réalité sur le terrain. Nous nous engageons, pour notre part, à mettre en œuvre tout ce qui est retenu dans ce document.» Le chef de canton de Pirada, Amadou Korka Sow, par ailleurs président du Comité transfrontalier de protection des enfants, a également pris les mêmes engagements et a magnifié «cette forme de collaboration qui, depuis 2 ans, a permis de diminuer le flux d’enfants qui quittent la Guinée-Bissau pour le Sénégal et vice et versa. Elle nous a permis de communiquer très souvent avec les autorités sénégalaises sur les questions de sécurité transfrontalière».
Mme Diallo, Adjaratou Bâ, responsable d’équipe à Enda jeunesse action à Tambacounda, représentant la Coordination nationale, déclare : «Les interventions faites ici ont montré qu’il y a eu une appropriation du projet par les communautés. Et les engagements pris nous rassurent quant à l’application des mesures retenues. Cette initiative doit servir de modèle au Sénégal et à la Guinée-Bissau pour la protection et la prise en charge des enfants en général.»
100 enfants rapatriés en Guinée pour 3871 enfants suivis
Il faut rappeler que le projet de lutte contre la migration précoce des enfants est exécuté par Enda Jeunesse Action qui a obtenu l’appui financier de la Caritas allemande ainsi que celui du ministère allemand de la coopération. Dans sa 2ème phase, qui court de 2020 à 2022 (on est en fin de projet), il a concerné les communes de Némataba, Kandia (frontière gambienne) et celle de Wassadou à la frontière avec la Guinée-Bissau. A Wassadou, depuis le démarrage du projet, «nous avons rapatrié en Guinée, au moins 30 enfants par an, et même plus parfois. D’autres, très petits, sont enrôlés dans le centre d’accueil qui se trouve à Diaobé. Parmi ceux qui sont rapatriés, d’autres ont carrément renoncé, pour de bon, à quitter leur localité clandestinement, sensibilisés par le Comité local de protection de l’enfant ou par les membres du Comité transfrontalier de protection de l’enfant (Ctpe) dont le président réside en Guinée. Donc en 3 ans, une centaine d’enfants sont pris en charge sur place, sensibilisés et rapatriés», a informé Mamassamba Mballo, Point focal Enda Jeunesse Action à Wassadou. Il a ajouté : «C’est une grande satisfaction parce que ce sont des vies qui sont sauvées, des familles soulagées.» Ce n’est pas tout. Selon Pierre Marie Coulibaly, Coordonnateur national d’Enda Jeunesse Action, des dispositifs communautaires engagés pour la cause de l’enfant sont mis en place dans la zone d’intervention du projet. Il s’agit notamment des Comités d’alerte et de veille au niveau des points de contournement et des Comités d’alerte et de protection de l’enfant (Cape) installés dans les villages. Les 11 Cape installés à Vélingara ont permis de suivre 3871 enfants. Et puis la collaboration entre le Comité transfrontalier de protection de l’enfant (Ctpe) et Amic, une structure sœur de Gabou en Guinée-Bissau, a autorisé la réintégration de plusieurs enfants dans les familles d’origine ou dans le circuit scolaire.
Les causes de la mobilité des enfants
Les enfants qui quittent leurs parents pour traverser la frontière terrestre entre le Sénégal et la Guinée ont des motivations différentes, selon qu’il s’agit d’un pays ou de l’autre. Selon Amadou Korka Sow, chef de canton de Pirada (Guinée-Bissau), les enfants sénégalais qui entrent dans leur pays le font entre les mois de mars, avril et mai. C’est la période de ramassage des noix de cajou ou de débroussaillage des vergers d’anacardiers. C’est en pleine année scolaire. Ils abandonnent l’école pour cette raison, influencés par leurs pairs qui sont hors circuit scolaire pour une raison ou une autre.
Au Sénégal, les jeunes compatriotes de Umaro Sissoco Embalo «viennent par groupe en période de récolte du coton ou de l’arachide en novembre-décembre. Ou en début d’hivernage pour les opérations de sarclage des champs. Ce sont ceux-là qui sont facilement identifiables, parce qu’ils se déplacent en groupe», note Ousmane Diao, agent relais à Enda Jeunesse Action.
Il y a une autre catégorie dont le cas est plus sensible et plus difficile à cerner, c’est le trafic d’enfants-talibés. «Ils sont emmenés individuellement par des parents ou proches, à l’insu de la mère le plus souvent. Un des parents reçoit la demande d’un marabout installé au Sénégal qui veut renforcer sa force de travail, pardon de mendicité, pour se faire plus d’argent. Nous avons nos compatriotes marabouts qui, à force de faire mendier les enfants, ont pu se construire une maison au Sénégal et qui continuent à solliciter une armée d’enfants de leurs terroirs d’origine en Guinée, pour s’assurer plus d’argent quotidiennement», informe Tala Baldé, membre de la délégation guinéenne.
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