Le procureur Serigne Bassirou Guèye avait déclaré qu’un magistrat présent dans la salle a pris part à l’instruction. Invité à répéter ses propos, il se rétracte et brandit son téléphone avec lequel il enregistre ses réquisitions. La défense saute sur l’occasion et exploite ses aveux.
Après l’ouverture du procès Khalifa Sall et Cie, le juge Malick Lamotte a interdit l’utilisation des téléphones portables dans la salle pour tout le monde. Cette règle a été dérogée en premier par le procureur de la République. Certains en ont déduit que Bassirou Guèye faisait usage de son téléphone, en enregistrant ses réquisitions à l’insu du Tribunal. En tout cas, il en a administré la preuve hier. C’est quand il cherchait à justifier son réquisitoire sévère contre les prévenus que le procureur a fait une bourde qui a failli provoquer une polémique. «Nous avons estimé qu’ils ont fait des délits et nous avons requis. Nous avons reçu des coups, ce sont des choses qu’on accepte. J’ai confiance en vous M. le juge. Les écarts ne l’emportent pas sur les égards de ceux qui ont commis des délits. Vous avez la morale à toutes les épreuves. Cette flatterie ne vous fera pas fléchir», a-t-il dit en réponse à Me Doudou Ndoye qui parlait la veille de la «péroraison».
Le procureur : «Beaucoup de magistrats ont travaillé sur ce dossier et il y en a un qui est ici»
Après avoir mis à nu cette science de plaidoirie qui consiste à convaincre en faisant pleurer et en versant dans la flatterie et l’amplification des choses, le maître des poursuites s’est voulu plus clair à l’endroit des avocats de la défense. «Je l’ai dit et je le redis : Plusieurs personnes ont travaillé sur ce dossier. Quand je l’ai reçu, je l’ai d’abord confié à un substitut. Et quand il m’a présenté les résultats de ses enquêtes, j’ai vérifié et j’en suis arrivé à la même conclusion. C’est ainsi que j’ai décidé de prendre en main ce dossier. Je l’ai transmis ensuite au juge d’instruction. Cela fait déjà trois magistrats qui ont travaillé là-dessus. Puis, le dossier est allé à la Chambre d’accusation devant trois magistrats. Il était aussi à la Cour suprême. Il faut être sérieux. Il y a beaucoup de magistrats qui ont travaillé sur ce dossier et qui ont eu la même observation que moi. Parmi eux, il y en a un qui est ici», a-t-il expliqué. Voilà une révélation qui n’a pas échappé à la défense qui l’écoutait religieusement. Et c’est Me Ousseynou Fall qui n’en croyait pas à ses oreilles qui a manifesté son intention de prendre la parole pour avoir une idée plus claire. Pour éviter des dérapages, le juge lui a demandé de patienter, le temps de laisser le procureur poursuivre son réquisitoire. «Dans ce Tribunal, nous avons vendu la destination Sénégal. Chez vous, vous avez des ovnis. Mais avant de partir, il faudrait voir si vous n’avez pas des avocats plaideurs non identifiables», a-t-il ironisé. Selon Bassirou Guèye, il y avait un défi en prenant ce dossier. «Je sais que je représente le Dakarois lambda. Je n’ai pas dit Khalifa Sall, mais au niveau des caisses, il manque 1,8 milliard. Il doit être condamné et il doit payer. C’est ce que j’ai dit. Mon juge, c’est ma conscience. Je suis quitte avec ma conscience. Je suis tranquille et je me tais», conclut-il.
Le président Lamotte : «Nous dirons la vérité au nom de notre serment»
Alors, Me Ousseynou Fall revient à l’attaque. «M. le président, je veux qu’il soit donné acte de ce qu’il a dit. Vous l’avez entendu dire qu’il y a un magistrat qui a participé à l’instruction et qui est ici. Nous voudrions qu’il le répète encore», sollicite-t-il. Très gêné par cette remarque, le président Malick Lamotte observe un petit silence et invite l’avocat à se calmer. C’est ainsi que le procureur a reprécisé sa pensée. «J’ai dit que je l’ai donné à un substitut», a-t-il dit. Mais c’est un murmure assourdissant qui est sorti de la foule pour désapprouver la versatilité du procureur. Menant les débats avec beaucoup de sérénité, le juge dit à Me Fall : «Dites-nous ce que vous pensez et nous dirons la vérité au nom de notre serment. Nous resterons juste. Nous aussi, nous croyons à tout ce que vous croyez», rassure-t-il en faisant allusion aux multiples versets coraniques et bibliques qui ont été cités par la défense.
Me Ousseynou Fall : «Un magistrat qui a participé à l’instruction n’a pas le droit de siéger»
Pour attester de sa bonne foi, le procureur, le portable allumé à la main, affirme «avoir pris la peine de (s)’enregistrer». Un comportement désapprouvé à nouveau par la foule. Ce qui amène Malick Lamotte à reprendre la parole : «Nous ne jugeons pas des gens qui doutent de nous. Quelqu’un peut entendre ce que l’autre à dit. Me Fall, j’aime bien ce que vous avez dit et je l’apprécie positivement. Je suis touché par ce que vous avez dit. Je vous remercie pour les paroles que vous avez soulevées.» Touché par la remarque, l’avocat lui rend la même politesse. «En soulevant ce détail, c’est l’impérialité du détail. Un magistrat qui a participé à l’instruction n’a pas le droit de siéger. On est vendredi saint, on vous fait confiance. On a demandé à tous de fermer les portables. Personne n’a enregistré, mais il a fait un aveu de taille qu’il a enregistré», insiste-t-il. Le juge décide ainsi de suspendre l’audience. Mais quand le procureur Bassirou Guèye sortait de la salle, ce sont des huées de la foule qui l’ont «escorté».
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