Par Hamidou ANNE –

Après quatre années de sevrage du fait de la pandémie du Covid-19, qui a imposé au monde une pause forcée, Dakar vibre à nouveau au rythme de la Biennale d’art contemporain.
Parmi les événements qui ont attiré mon attention, il y a l’hommage à l’Hôtel de ville consacré à Abdou Fary Faye, personnage fascinant du cinéma sénégalais.
Projectionniste, photographe de plateau, caméraman et même réalisateur, Abdou Fary Faye a écrit quelques belles pages du cinéma de notre pays. Il a collaboré avec des maîtres sénégalais du 7ème art :
Paulin Soumanou Vieyra, Ababacar Samb Makharam, Cheikh Tidiane Aw, Mahama Johnson Traoré, Djibril Diop Mambety, Momar Thiam, Sembène Ousmane.
Cette expo-hommage est la photographie d’une époque révolue. Celle du Dakar des premières décennies de l’indépendance. Ville prise dans un tourbillon créatif avec ses plasticiens de l’Ecole de Dakar, ses théoriciens des arts visuels, ses danseurs, ses cinéastes incandescents et ses publics de connaisseurs et de gens raffinés et cultivés. Cette expo, intitulée «Abdou Fary Faye : mémoire vive des Arts et de la Culture», nous renvoie à une époque que je n’ai pas connue, mais pour laquelle j’ai un certain attachement.
Les mœurs de cette  ville, au lendemain de l’accession du Sénégal à l’indépendance, reflètent l’ambition  de Léopold Sédar Senghor de bâtir ce qu’il appelait la Grèce de l’Afrique, c’est-à-dire un pays à la féconde créativité et à la volonté forte de peser sur le cours de l’histoire humaine par l’art et la culture. Dans le Dakar culturel de l’aube des indépendances, l’effervescence artistique à travers les cinémas, les musées, les concerts et le festival mondial des arts nègres se mêlait à une tension politique et sociale qui a connu son pic spectaculaire en mai 1968. Dakar baignait dans une ambiance groovy dans les années 60-80, et elle a ainsi légué à l’histoire de grandes figures dont certaines sont négligées voire tombées dans l’oubli.
«Mémoire vive des Arts et de la Culture» est une invitation au voyage dans le temps pour explorer les lieux du Dakar de l’époque ainsi que les grandes heures de notre histoire culturelle.
Les photos du building administratif, du siège de la défunte Air Afrique, du marché Sandaga, des Allées du centenaire, nous replongent dans une ère durant laquelle le désordre, l’insalubrité et la misère architecturale n’avaient pas envahi notre ville. Dakar, ville sublime, pensée pour être un phare de l’Afrique, est devenu un souk géant sans harmonie, dans lequel se bousculent des millions de gens.
Abdou Fary Faye a aussi immortalisé de grands moments de la culture et des arts, notamment le festival mondial des arts nègres de 1966. Durant la déambulation dans l’exposition, on croise les figures immenses qui ont participé à cet événement historique, symbole du génie senghorien. On peut admirer le pianiste Duke Ellington et la chanteuse à la voix électrisante Marion Williams. Sur les clichés de l’époque figurent également nos personnalités marquantes, Birago Diop, Thérèse Mbissine Diop, Aminata Fall, Germaine Acogny, Jacqueline Lemoine dans McBeth au Sorano ou Douta Seck dans les habits du roi Christophe. J’ai été particulièrement touché par la photo de la plage de Soumbédioune sur laquelle on voit en arrière-plan le Musée Dynamique, lieu iconique arraché à la culture et symbolique de notre déclassement spirituel.
hamidou.anne@lequotidien.sn