Des impôts, des taxes et une banque centrale pour les communes insurgées

A moins de 72 heures du démarrage de la campagne électorale pour le scrutin départemental et municipal du 23 janvier 2022, c’est donc sous le titre «Les territoires du développement», que Moussa Bala Fofana et Ousmane Sonko signent une initiative du débat local pour en fixer le tempo et se donner ainsi les moyens de le gagner et d’engranger les bons résultats électoraux qu’ils en attendent. Jusque-là, rien de vraiment nouveau ou de vraiment inattendu, dans une démocratie qui fonctionne normalement. L’initiative des deux auteurs est plutôt louable dans un contexte où le citoyen, sans cesse abusé, désespère de n’avoir plus rien de vraiment sérieux à trancher. Etre à la hauteur des amis Fofana et Sonko, suppose donc la lecture complète de l’œuvre claironnée. Pour n’y avoir pas dérogé, sous aucun prétexte, nous voici enfin en mesure de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse selon laquelle Ousmane Sonko dessine enfin les contours des territoires à conquérir démocratiquement, c’est-à-dire à moindre coût, avant de se donner le temps et les moyens de les subvertir, en enfilant les oripeaux clinquants de sa faction insurrectionnelle, Pastef. L’intéressé a fini de nous le dire clairement, à travers les choix fiscal et monétaire qu’il dit être les siens.
Qui fait quoi et pourquoi ?
Pour montrer jusqu’où un gouvernement peut aller et jusqu’où il ne peut pas aller, les économistes font état, quand on les y invite, des différences qui existent entre les politiques fiscale et monétaire.
L’analyse montre que c’est du côté des recettes qu’il faut regarder, pour expliquer pourquoi le déficit public augmente ou diminue. Aussi l’«évaluation du potentiel de recettes publiques», demandée par les gouvernements, vise-t-elle l’«augmentation des ressources publiques, tout en minimisant les coûts collectifs entraînés par les [impôts et taxes]». En 2014, l’effort d’adaptation de la politique fiscale à l’ambition d’émergence du Sénégal, devait permettre de gagner trois points de Pib. Cet effort se poursuit aujourd’hui encore puisque, «sur la période 2020-2023», le ministre des Finances et du budget, clôturant la session budgétaire de l’année 2019, «se [fixait] pour objectif de faire passer le taux de pression fiscale de 17% à 20%».
Pendant ce temps gouvernemental, le caractère multinational de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (Bceao) met cette dernière à l’abri des décisions unilatérales des gouvernements, dont elle est l’émanation. Depuis les réformes de janvier 2003, la mission claire attribuée à la Bceao contre les facteurs de risques pouvant peser sur la stabilité des prix et la croissance économique, l’indépendance des organes de direction de la pression des Etats membres et la limite au financement monétaire des Etats, ont contribué au renforcement de la crédibilité de l’autorité monétaire, à la réduction des risques d’éclatement de l’Union et au succès de l’intégration économique.
Il ressort de ce qui précède que là où le gouvernement finance chaque année le déficit et redistribue les revenus publics engrangés grâce à sa politique fiscale, la politique monétaire, elle, est le fait de l’autorité monétaire indépendante qui vise la stabilité des prix et la stimulation de l’activité économique. Cette division du travail est pour beaucoup dans la «faible autonomie fiscale» des collectivités territoriales de tous les pays du monde, dont les gouvernements se voient dépouillés, dans le cas contraire, du pouvoir politique de décider souverainement.
A titre d’exemple, l’Allemagne réunifiée, le 3 octobre 1990 à la suite de la chute du mur de Berlin, comporte 16 Etats fédérés (13 Länder à territoire étendu, auxquels s’ajoutent les 3 villes-Etats de Berlin, Hambourg et Brême). Mais en dépit -et ce depuis 2003- de la «réforme annoncée du système local d’impôts pour augmenter la capacité d’investissement des pouvoirs locaux», «l’autonomie fiscale est assez faible, tant pour les Länder que pour les communes». Plus de précisions montre -chiffres de 2019- qu’en Allemagne, les recettes locales proviennent pour seulement 57,2% des impôts partagés avec le gouvernement fédéral et des impôts propres aux Länder, 26,3% des dotations, 11,5% des redevances tarifaires, 3,9% des contributions sociales et 1,1% pour le reste, correspondant aux «recettes liées à la propriété financière ou foncière».
Dans le cas du Sénégal, Ousmane Sonko parle d’«autonomie fiscale fluette», c’est-à-dire mince, dont il trouve, dans l’ouvrage cité au début de cette tribune, une explication valable pour un pays de la taille de l’Allemagne réunifiée. «L’Etat, écrit-il, est toujours le premier à se servir du fait de sa prééminence légale et des tensions financières permanentes qui le minent.» «Dans un monde de plus en plus inquiété par des fléaux insécuritaires et pandémiques» -ce sont les mots de MM Fofana et Sonko- quel État, au risque de se voir «miné» par d’incessantes «tensions financières», fragiliserait à outrance sa capacité régalienne d’intervention ? Aucun !
Retirer le «corset de sujétions» locales
Au chapitre II de ses «Solutions» (Compte d’auteur, 2018), Ousmane Sonko dit accueillir sa «radiation» de la Fonction publique avec «soulagement, car j’avais moi-même entrepris le projet de sortir de l’Administration qui, après quinze ans, n’avait plus grand-chose à m’offrir et, de surcroît, devenait une contrainte pesante pour mes activités politiques, du fait du corset de sujétions». Il aurait donc été plus simple pour lui de se démettre de ses fonctions, au lieu de violer l’alinéa 1 de l’article 601 du Code général des Impôts et domaines, en vertu duquel «sous réserve de l’obligation qui leur est imposée par le Code de procédure pénale, les agents des Impôts et domaines intervenant dans l’assiette, la liquidation, le contrôle ou le recouvrement des impôts, droits, taxes et redevances, sont tenus, dans les termes de l’article 363 du Code Pénal, de garder secrets les renseignements de quelque nature qu’ils soient, recueillis dans l’exercice de leur fonction». Pour autant, le législateur n’élude pas la question politique, puisque l’alinéa 3 du même article stipule «que lorsqu’une plainte régulière a été portée par l’Administration contre un assujetti et qu’une information a été ouverte, les agents des Impôts et domaines sont déliés du secret professionnel, vis-à-vis du juge d’instruction qui les interroge sur les faits faisant l’objet de la plainte». Ce rappel est utile puisqu’en cas d’élection à Ziguinchor, Ousmane Sonko verrait rapidement dans la mince autonomie fiscale et dans ce qu’il appelle «l’exiguïté des autres ressources financières des collectivités territoriales», le «corset de sujétions» locales dont il voudrait se débarrasser, en violation, cette fois, du Code général des collectivités territoriales en vigueur au Sénégal. Il est peu probable qu’il en soit autrement, quand on sait que les auteurs, Fofana et Sonko, ont consacré 58 pages -30% de ce que nous considérons comme une longue note technique à l’actuel ministre des Finances et du budget- aux «instruments et stratégies de financement de la décentralisation». Mais, avec moins de chance d’être suivi par les Ziguinchorois sur un point au moins, puisqu’en bon percepteur convaincu que «personne n’ira vers le Fisc pour avoir le droit de payer l’impôt», Sonko conditionnera, pour les impôts personnels, «l’obtention de toute pièce à caractère administratif (certificat de naissance, de décès, de résidence, carte d’identité nationale, passeport et permis de conduire), par la présentation d’un quitus sur lequel devra figurer la mention d’une quittance de paiement de la “taxe payée par tous les résidents” des communes des zones urbaines et locales, en substitution à l’Imf, de la Trimf et de la taxe rurale». En même temps, l’Etat souverain du Sénégal verrait d’un très mauvais œil, des «pôles régionaux de développement [qui] ne doivent nullement être promus et initiés par l’Etat central» progressivement dessaisis, proposent Fofana et Sonko, de «la gestion des ressources naturelles non renouvelables», comme le pétrole et le gaz. Tout ce qu’il faut donc pour promouvoir les communes insurgées de Pastef et Yewwi, qui n’hésitent alors plus à battre monnaie.
Le porte-monnaie des insurgés
Connu pour son imprécision et/ou le manque de clarté dans l’argumentation, l’économiste Khadim Bamba Diagne n’a rien entendu d’autre que «monnaie locale». Parlons-en alors ! Une monnaie locale, complémentaire de la monnaie nationale à laquelle elle est adossée, est mise en place par une association à laquelle il faut adhérer pour disposer de la liste des commerces et entreprises qui l’acceptent. Parce qu’elle ne recouvre pas la fonction de réserve de valeur que possède la monnaie nationale, une monnaie locale ne permet pas d’épargner et de produire des intérêts. Comment fonctionne-t-elle donc ? A titre d’exemple, en échangeant des francs Cfa contre de la monnaie locale, une association crée un fonds de garantie géré par une banque partenaire, qui permet ainsi aux commerces et entreprises concernés de reconvertir la monnaie locale en francs Cfa.
Ousmane Sonko annonce -c’est nous qui traduisons les passages en wolof- son «engagement local appliqué à (…) la Casamance», en ces termes : «Le dernier levier, appelé monnaie complémentaire ou monnaie locale, est une technique qui permet à l’échelle de la Casamance, d’échanger des billets imprimés suite au retrait de la monnaie conventionnelle qui est le franc Cfa. L’épargne est alors réinvestie dans des créneaux beaucoup plus rentables, en même temps qu’elle sécurise l’argent des déposants. En résumé, ça peut rapporter énormément en termes de gain et de capacité d’investissement dans la commune.»
Bye Bye Sénégal. Bienvenue en Casamance. Que chaque citoyen(ne), où qu’il (elle) se trouve sur le territoire national, prenne ses responsabilités. Les succès locaux des listes Yewwi constituent tout ce qui manque à Pastef et son géniteur, pour contrôler les assemblées locales insurgées dès février 2022. Leur dissolution coûtera plus cher à la Nation, que le simple et libre refus citoyen de les installer par le suffrage universel.
Abdoul Aziz DIOP – Essayiste – Conseiller spécial à la Présidence de la République