Des générations d’écoliers sénégalais ont appris les rudiments de la lecture en suivant les péripéties de la vie de «Sidi et Rama». L’illustrateur de ce livre est à la base un sculpteur, formé à l’Ecole nationale des arts. Trouvé à Dioffior où il s’est installé depuis sa retraite, Mamadou Lamine Thiam vit encore dans la nostalgie des temps où le Président Léopold Sédar Senghor présidait aux destinées du pays.

Au Sénégal, des générations d’écoliers ont appris les rudiments de la lecture en suivant les péripéties de la vie de  Sidi et Rama. Le livre de lecture pour élèves de l’école élémentaire d’il y a quelques années proposaient dans ses illustrations les petites bouilles de Sidi, de Rama, de Ansou et d’autres protagonistes. Silhouette frêle, mains tremblantes, le vieux Mamadou Lamine Thiam est le père de ce personnage. Aujourd’hui à la retraite, le vieillard coule des jours paisibles dans ce village de Dioffior où il est né en 1951. Le septuagénaire, qui est venu présenter quelques-uns des livres qu’il a eu à illustrer à l’occasion de l’inauguration de la Maison des cultures urbaines de Dioffior, passe pourtant inaperçu dans cette commune. Les ouvrages qu’il a illustrés sont en wolof, en sérère et en français. Et ils racontent différentes étapes d’une vie riche, mais laborieuse. Et quand le vieux Thiam regarde dans le rétroviseur, l’amertume ne tarde pas à affleurer. «Au Sénégal, les artistes sont malheureux. La première fois que j’ai reçu une aide de l’Etat, c’était en 1979 avec le Président Senghor. J’étais le rapporteur des sculpteurs sénégalais. Il nous a accordé une aide, mais c’était une aide matérielle à hauteur de 150 mille cfa. Et c’était notre premier appui au niveau national», raconte-t-il. Tout de suite, ses yeux deviennent nostalgiques en évoquant le premier Président du Sénégal. C’est durant le magistère de Léopold Sédar Senghor que les artistes sénégalais ont vécu leur âge d’or. «L’art est mort quand Senghor est parti. Il faut oser le dire. C’était le seul homme d’Etat qui a aidé les artistes», martèle le dessinateur. Sorti de l’Ecole nationale des arts, le vieux Thiam se spécialise en sculpture dans un premier temps. «J’ai eu mon brevet en 1971. J’avais un professeur de dessin qui me disait de faire l’Ecole des arts. Je ne savais même pas ce que c’était, mais il m’a encouragé et j’ai fait le concours. On était 33 candidats en 1972 et on a pris 6. Après cinq ans d’études, on m’a orienté vers la télévision scolaire. C’est là que j’ai fait ma carrière pendant 34 ans. Mais Je suis le premier sculpteur métallique du pays.» En effet, explique le vieux Thiam, la sculpture sur bois demande une certaine force physique, raison pour laquelle il n’a pas tardé à s’orienter vers la sculpture métallique avant d’adopter finalement le crayon. «La sculpture est un peu difficile. Il faut aller chercher le bois, le ramener, le travailler. J’ai préféré m’orienter vers la sculpture métallique et le dessin», raconte-t-il avec un sourire. Ses illustrations vont très vite forger toute une génération. D’ailleurs aujourd’hui, de savoir que tous ces jeunes ont pu apprendre à lire et à écrire en s’inspirant des personnages qu’il a eu à dessiner le rend fier. «Je ne suis pas malheureux parce que j’ai servi l’Etat. Vous êtes la génération Sidi et Rama. Je sais que vous avez réussi à partir de ce livre ; donc… Mais je suis payé par l’Etat aussi. Parce qu’après la retraite, c’est le salaire qui continue», confie-t-il aux journalistes qui l’interrogent.

«L’art est mort quand Senghor est parti»
Au total, ce sont plus d’une centaine d’ouvrages qu’il aura illustrés, aussi bien des ouvrages didactiques que scientifiques. Mais aussi des logos qu’il a créés et qui lui ont valu quelques consécrations. Et jusque-là, la reconnaissance n’est pas encore venue de son pays. Mamadou Lamine Thiam vit modestement sa retraite dans la petite commune de Dioffior. Ici, beaucoup d’habitants ne savent même pas que leur voisin est derrière le personnage livresque de Sidi. Modestement, il ne réclame jamais de reconnaissance. Tout au contraire, il est tout prêt à partager son expérience avec les jeunes de Def Art, l’association qui vient de bénéficier d’un appui du Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu). «Quand ces gosses travaillent sur les dessins, ils le font en autodidacte. S’ils venaient me voir, je pourrais les former. Je suis âgé, mais les connaissances que j’ai, je peux les partager avec eux. Ma vision future c’est de les encadrer, les appuyer dans toutes les techniques graphiques», annonce-t-il en toute modestie.
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