Le coordonnateur du pôle des non-alignés ne s’aligne pas sur ceux qui réduisent le travail de la commission du dialogue politique à néant. A ceux qui s’exclament «tout ça pour ça !», Déthié Faye, lui, est convaincu que d’autres disent «tout ça en une seule concertation ?». Il détaille le texte adopté lundi par les députés et les points de désaccord qui seront tranchés par le chef de l’Etat.Quel bilan feriez-vous du dialogue politique ?
La Commission politique du dialogue national a commencé ses travaux en mai 2019 dans un contexte de tension postélectorale lourd de menaces, de remises en cause de la stabilité de notre pays. Elle a donc planché sur des questions d’intérêt national aussi importantes les unes que les autres. A la différence des concertations traditionnellement organisées à la suite de chaque élection, la commission politique avait une mission beaucoup plus large et plus complexe. Ce qui explique la durée de ses travaux. Il lui revenait d’échanger sur plusieurs sujets répartis en 12 axes de discussion dénommés «objectifs spécifiques», regroupés autour des trois thématiques suivantes : le processus électoral, la démocratie, les libertés et les droits humains, les réformes institutionnelles et les organes de gestion des élections. Il apparaît clairement qu’il ne s’agissait pas pour la Commission politique de ne discuter que de questions devant impacter le Code électoral. Pour un tel travail, les acteurs présents avaient bien mesuré la responsabilité historique qui pesait sur leurs épaules en s’engageant à trouver des consensus sur les mesures législatives et réglementaires à prendre pour consolider notre démocratie, renforcer l’Etat de droit, poursuivre la décrispation de l’espace politique et restaurer ainsi la confiance entre acteurs politiques. Cette compréhension des enjeux commande une posture républicaine contraire à toutes pratiques ou prises de position qui pouvaient donner à l’opinion l’impression que les politiques s’étaient réunis juste pour régler des problèmes de personnes. Au vu des résultats obtenus, plus de 25 points de consensus et 7 points de désaccord, le bilan de ce dialogue est largement positif.
Est-ce à dire que nous avons un Code électoral qui garantisse des élections transparentes ?
La préoccupation majeure de la classe politique depuis les Législatives de 2017 tournait autour de la fiabilité du fichier électoral et du processus électoral qui faisaient l’objet de contestations et de controverses. C’est ce qui justifie, face à cette défiance vis-à-vis du Code électoral et du processus électoral qui a failli plomber les concertations, que le pôle des non-alignés avait proposé, et obtenu l’approbation de toutes les parties prenantes, le report des élections locales initialement prévues le 1er décembre 2019. L’objectif visé dans cette proposition de report était de rétablir la confiance en faisant procéder à l’audit du fichier électoral et à l’évaluation du processus électoral avant l’organisation de toute élection. Au terme des travaux des experts indépendants recrutés par la commission politique, on peut dire, sans risque de se tromper, que si les recommandations validées sont mises en œuvre, il n’y a pas de doute que le Code électoral garantit la possibilité d’organisation d’élections transparentes.
Ce Code a-t-il à envier à celui de 1992 ?
Il n’est pas prudent de comparer des Codes pris dans des contextes particulièrement différents. Toutefois, on peut noter qu’en 1992 comme en 2021, les Présidents s’étaient engagés à mettre en œuvre les consensus. La Présidentielle de 1993 comme les Locales de 1996 ont été organisées sur la base du Code électoral de 1992. Beaucoup d’évènements ont marqué ces élections et sont encore frais dans nos mémoires. Je reste convaincu que les élections territoriales du 23 janvier 2022 pourront se tenir sans manquements ou dysfonctionnements majeurs comme ceux connus en 1993 et 1996.
Les articles L31 et L32 anciens ont fait oublier les autres points. Comment l’expliquez-vous alors que les cas Karim et Khalifa ne faisaient pas partis des termes de référence ?
On constatera avec regret que la question qui a le plus agité nos honorables députés fut la révision des articles L31 et L32 anciens. Ces dispositions ont toujours fait l’objet de recommandations de toutes les missions d’audit intervenues dans notre pays depuis 2010. Aujourd’hui, nous sommes rattrapés par notre manière de faire de la politique qui consiste à ne mener souvent que des combats crypto-personnels. Sinon comment se fait-il, depuis que ces articles sont dans le Code électoral, qu’on n’ait pas pensé au respect des droits des personnes qui en étaient victimes ? Nous nous rendons tous compte que la permanence de la déchéance des droits civils est une atteinte aux droits humains en refusant à un citoyen condamné, pour le restant de ses jours, de recouvrer pleinement et entièrement ses droits. Il a fallu que ça nous arrive. L’important travail abattu par la Commission politique contribuera sans nul doute à l’approfondissement de notre système démocratique au vu de toutes les dispositions légales et réglementaires qui seront impactées. C’est pourquoi on ne peut s’empêcher de regretter le climat et le niveau des débats à l’Assemblée nationale qui n’ont pas permis à l’opinion publique de mesurer à sa juste valeur la portée des résultats des travaux de la Commission politique en voulant limiter les enjeux à ces seuls articles. La Commission politique ne pouvait pas inscrire dans son agenda l’examen de questions de personnes. Il lui était confié la mission de proposer des consensus susceptibles d’impacter notre dispositif législatif et réglementaire de façon impersonnelle et intemporelle.
Avez-vous bon espoir que le président de la République fera l’arbitrage attendu ?
Le président de la République a fait un premier arbitrage en optant pour le statu quo sur les points de désaccord. Ce qui n’est pas ce à quoi je m’attendais. Deux possibilités lui restent ouvertes : Prendre connaissance des arguments de chaque partie prenante sur les désaccords pour ensuite trancher et laisser ces questions aux acteurs politiques pour poursuivre les échanges. J’estime que la première option pourrait permettre de faire un pas en avant si le Président tient compte de la forte recommandation de la Commission politique sur la décrispation de l’espace politique. Dans ce sens, l’arbitrage consisterait à acter la non permanence de la déchéance des droits civils et fixer une période de suspension proportionnelle au délit, à fixer une caution raisonnable et le mentionner dans le Code électoral, à s’accorder sur le principe du bulletin unique et son adoption à partir de la Présidentielle et à mettre en place une autorité en charge des élections pour permettre la décrispation politique.
Justement, la rupture de confiance n’est-elle pas consommée au moment où l’opposition annonce une confrontation ?
La Commission politique a fait un excellent travail que l’opinion publique a positivement apprécié. Les acteurs politiques doivent surtout se mobiliser, rester vigilants pour une mise en œuvre correcte des recommandations des experts (32 pour l’audit et 105 pour l’évaluation du processus électoral) ainsi que le traitement correct des points de désaccord. C’est le combat du moment.
Certains minimisent l’importance des points d’accord. Que répondez-vous ?
Tous les points en discussion sont aussi importants les uns que les autres, qu’il s’agisse des points d’accord ou de désaccord. Passez en revue quelques-uns de ces points et vous vous en rendrez compte. Il y a, entre autres points d’accord, l’audit du fichier et l’évaluation du processus électoral, l’élection du maire et du président du Conseil départemental au suffrage universel direct, le renforcement des conditions de création d’un parti politique, avec beaucoup d’obligations supplémentaires, le principe de financement public des partis politiques et coalitions de partis politiques, la suppression du parrainage aux élections locales, la création d’un organe d’observation de la démocratie qui est une proposition faite par le pôle des non-alignés, rejetée aux concertations de 2016 et de 2018, et qui en 2021 a été considérée comme pertinente. Concernant les points de désaccord, il faut préciser que c’est parce que la Commission politique était consciente que les acteurs ne pouvaient pas s’entendre sur tout qu’elle avait prévu dans son code de conduite de soumettre les désaccords à l’arbitrage du président de la République à qui, du reste, une lettre de demande d’arbitrage a été adressée le 1er juillet 2021 sur les points suivants : l’autorité en charge des élections, le bulletin unique, le parrainage, la caution, la révision des articles L31 et L32 du Code électoral. La Commission politique, consciente que chacun des 7 points de désaccord est aussi important que chacun des 25 points de consensus, avait souhaité recevoir l’arbitrage du président de la République avant la fin de ses travaux. Au vu de ce qui précède, je ne doute pas un seul instant que l’opinion publique, qui n’est pas dans la politique politicienne, dira : «Tout ça en une seule concertation ?» Il ne fait l’ombre d’aucun doute que la Commission politique a bien fait ce qu’elle avait à faire dans le respect scrupuleux des intérêts du Peuple souverain.
Il est attendu du président de la République, dès réception du rapport final, de prendre en procédure d’urgence les initiatives idoines en vue de la mise en œuvre des consensus et recommandations qui vont au-delà du domaine du Code électoral.
Propos recueillis par Hamath KANE hamath@lequotidien.sn