Déthié, gare à l’obésité !

Déthié Fall étrenne enfin son titre de ministre après l’avoir longtemps attendu, jusqu’à même se brouiller avec son mentor Idrissa Seck. Et quel ministre ! Super-ministre du Ciel, de la Terre et de l’Eau. En effet, le département des Infrastructures est balèze. Fall a maintenant hérité des programmes nationaux de Macky Sall, à savoir le Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc), le Programme de modernisation des villes du Sénégal (Promovilles) et le Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma), de la Direction des infrastructures maritimes et portuaires, de la Direction générale des infrastructures routières et du désenclavement (Dgird), de la Direction des infrastructures aéroportuaires (Dia). La Direction des infrastructures ferroviaires, l’Agence des travaux et de gestion des routes (Ageroute), le Fonds d’entretien routier autonome (Fera), le Laboratoire national de référence du Bâtiment et des travaux publics (Lnr-Btp), le Centre de formation et de perfectionnement des travaux publics (Cfptp), de même que «les Divisions régionales des infrastructures», sont autant de structures dans l’escarcelle de l’ancien vice-président de Rewmi.
Il est tellement euphorique qu’il promet une application «rigoureuse, de façon militaire», du département sous son magistère. Il est tellement zélé qu’il se pointe à la Direction de l’Ageroute à 6h 30. Du vrai populisme qui ne dit pas son nom. En effet, sous le prétexte fallacieux d’une prétendue rigueur militaire, il entame son magistère par une violation de la loi. Les horaires de travail sont fixés, du lundi au vendredi, de 8 heures à 17 heures, avec une pause d’une heure entre 13h 30mn et 14h. Le polytechnicien à la carrière militaire aussi éphémère qu’un flash durant une tornade (juste une Formation initiale du combattant), doit comprendre que le ministère ne saurait être une caserne militaire et que dans l’Armée, la réglementation et les horaires de travail sont conformes à la loi. De plus, se lever tôt, est-ce un gage d’efficacité ?
Sur un autre point, l’idée d’avoir un super ministère des Infrastructures, le Premier ministre l’explique par «un émiettement et un éclatement de la question infrastructurelle avec des directions des Infrastructures dans quasiment tous les ministères». «Cet émiettement a produit deux effets néfastes», note Sonko, dont le premier se traduit par «l’affaiblissement de la qualité dans l’exécution et la maîtrise des coûts, mais également un problème de transparence tel que révélé par toutes les études qui ont été faites sur les grands programmes d’infrastructures». Au final, «d’un commun accord avec le président de la République», il a été décidé de «revenir à un organe centralisé», sans que cela n’induise «des lenteurs dans l’exécution des programmes».
Espérons que le Premier ministre ait raison, ce qui n’empêche pas de nous interroger sur une telle démarche. A première vue et sans encore disposer du décret d’attribution de chaque ministre et du décret de répartition des services de l’Etat, l’esprit peut penser que l’isolement des infrastructures dans un ministère, s’il n’a pas fait l’objet d’une étude préalable assortie d’atouts et de contraintes, pourrait poser un certain nombre de problèmes pratiques. Généralement, ce sont des organismes comme le Bureau organisation et méthode (Bom), voire l’Inspection générale d’Etat (Ige), qui font ce genre d’études préalables.
Le premier problème que pose une telle centralisation du domaine des infrastructures, est relatif au pilotage et à la mise en œuvre des politiques publiques, qui peuvent s’avérer difficiles dans le cadre de programmes censés être ministériels. En effet, les projets relevant du ministère des Infrastructures devraient être inspirés par des orientations relevant d’autres secteurs (transport, développement social, éducation, santé…). Ici, en principe, on est en face d’une configuration de politique dans laquelle pour le transport, la politique infrastructurelle y relative est dans ce ministère, tandis que ce qui lui donne corps, c’est-à-dire les infrastructures, est mis en œuvre dans le ministère dédié. La séparation du transport, qui inspire naturellement les infrastructures, peut s’avérer une grande limite.
Le deuxième problème d’une telle concentration est lié aux exigences de coordination et de planification, qui s’avèrent nécessaires pour arbitrer sur les priorités de l’Etat en matière d’infrastructures dans un contexte de rareté des ressources. Si l’on est confronté à des secteurs différents pour lesquels le besoin d’infrastructures est patent alors que leur matérialisation dépend du nouveau ministre. En d’autres termes, Fatou Diouf, au ministère des Pêches, devra courir après Déthié Fall pour voir les infrastructures de son département être réalisées. Ces cas peuvent se présenter en termes de portefeuille de projets déjà identifiés en début d’année à prioriser, en particulier avec certains secteurs comme la santé et l’éducation, qui ont des normes à respecter, ou en cours d’année, lorsqu’il y a des urgences à prendre en charge en matière d’infrastructures liées à d’autres ministères.
Ces aspects des choses rappellent qu’il faudra agir dans le cadre d’une intelligence collective avec, éventuellement, des arbitrages à attendre du chef du gouvernement ou du président de la République, et ce, en cours d’année parfois, lorsque certaines urgences devront être prises en charge au niveau d’autres ministères comme ceux relevant de la Santé, de l’Education ou de l’Agriculture.
Une autre limite de ce ministère tentaculaire peut aussi se nicher dans la tentation, pour le ministère en charge des Infrastructures, de ne pas tenir compte de tous les corps de métiers ou expertises à mobiliser dans le cadre de la formulation, de la mise en œuvre et de l’évaluation de certains projets dont l’environnement complexe requiert un mode de planification exigeant la participation d’une diversité d’expertises dans le domaine considéré. C’est le cas lorsque, par exemple, faute d’avoir associé un sachant du secteur, on construit un lycée ou un Cem sans laboratoire de sciences par exemple. On peut aussi citer le cas de structures de santé pour lesquelles certains bâtiments (Radio, Irm) doivent être isolés, ce que les spécialistes habitués à ces processus savent, en s’entourant de compétences relevant des métiers de la santé, du génie civil, de l’anthropologie, mais aussi des spécialistes du nucléaire, parfois même si l’on sait que des standards existent.
Le risque ultime peut également être relatif au ministre choisi qui lui-même doit éviter le biais de compétence. En effet, confier les infrastructures à un polytechnicien est un atout qui peut aussi avoir ses limites, pour peu que celui-ci ne fasse pas preuve de dispositions managériales élevées, le conduisant à écouter avant de faire prévaloir ses compétences propres puisqu’il est dans son domaine. Le médecin fait-il nécessairement un bon ministre de la Santé ?
Déjà, en janvier 2025, le Premier ministre décidait de centraliser la validation des dépenses d’investissement. Ce qui semble avoir parasité les missions qui sont dévolues au ministre des Finances, confirmé par les deux rapports d’exécution budgétaire rendus publics. Les deux rapports disent que les dépenses d’investissement sont très faibles comparées à celles liées au fonctionnement.
Le Sénégal a entamé depuis longtemps la phase de mise en œuvre de la transposition des directives du Cadre harmonisé des finances publiques au sein de l’Uemoa, qui consacre l’ère du budget-programme et de la Gestion axée sur les résultats (Gar), avec une responsabilisation accrue des responsables des programmes, qui héritent ainsi de la fonction d’ordonnateur des dépenses. En centralisant la validation des dépenses d’investissement à la Primature et aujourd’hui les infrastructures dans un seul ministère, l’efficacité des gestionnaires de programme, la décentralisation des responsabilités, la réduction de la flexibilité et l’adaptabilité nécessaires dans un système axé sur les résultats pourraient être alourdies par la bureaucratie.