Derrière les félicitations diplomatiques du Fmi à l’égard du Sénégal, se dessine une reconfiguration discrète des rapports financiers. Le «scandale de la dette cachée» (ces engagements publics non comptabilisés) semble éclipsé sans avoir été pleinement éclairci, tandis que la fusion inédite entre dette publique et parapublique ouvre une nouvelle phase d’ajustement budgétaire sous surveillance. Au-delà des chiffres et déclarations, c’est la souveraineté économique du pays qui est en jeu.
Contexte : un dialogue sous tension
Le Sénégal aborde une période cruciale de ses relations financières internationales. Alors que le pays cherche à tourner la page des scandales d’endettement non transparent, le Fmi impose une discipline budgétaire renforcée. Cette analyse décrypte les enjeux derrière le communiqué officiel du 6 novembre 2025 du Fmi.

Une mission aux allures de réconciliation
Le communiqué du Fonds monétaire international (Fmi) concernant le Sénégal adopte un ton apaisé, presque conciliant. La mission dirigée à Dakar par Edward Gemayel salue «la résilience» de l’économie sénégalaise, soutenue par la première année complète de production pétrolière et gazière, et par un rebond du secteur agricole.

Les autorités sont félicitées pour leur «transparence», leur «discipline budgétaire» et leurs «progrès en matière de gouvernance». Cette approche conciliante du Fmi constitue une opportunité dans le contexte actuel : elle permet au Sénégal de renouer le dialogue avec ses partenaires techniques et financiers dans un climat apaisé, essentiel pour attirer les investissements nécessaires à la diversification économique.

Pourtant, derrière cette rhétorique de coopération, le texte marque une étape cruciale : le Sénégal tente de tourner la page du scandale de la dette cachée tout en négociant un nouveau programme d’appui avec le Fmi. La modération du langage ne doit pas masquer la fermeté des conditionnalités qui accompagneront le futur programme.

Les limites d’une croissance extractive
Le Fmi estime la croissance du Pib réel à 7, 9% dont 3, 4% hors hydrocarbures, avec une inflation maîtrisée à 1, 4%. Ces chiffres encourageants masquent une réalité moins brillante : la croissance reste très dépendante du secteur extractif, la rendant sensible aux fluctuations des prix mondiaux. Le paradoxe est frappant : une croissance apparente robuste cache une vulnérabilité structurelle. L’économie réelle hors hydrocarbures progresse à un rythme plus modeste, révélant la faible diversification des moteurs de croissance.

Par ailleurs, le déficit budgétaire devrait passer de 13, 4% du Pib en 2024 à 7, 8% en 2025, puis à 5, 4% en 2026. Un ajustement spectaculaire certes, mais qui repose sur une compression des dépenses dites «non prioritaires» (investissements sociaux et infrastructures) et sur de nouvelles taxes (jeux de hasard, transferts mobiles, foncier, suppression d’exonérations). Ces mesures risquent d’affecter davantage les ménages modestes et les petites entreprises que les grands bénéficiaires des niches fiscales, comme certains investisseurs du secteur des hydrocarbures qui continuent de bénéficier d’avantages substantiels.

La fusion dette publique-parapublique : transparence comptable, risque souverain
L’élément le plus significatif du communiqué est la décision méthodologique majeure : le regroupement des dettes publique et parapublique, qui atteint désormais 132% du Pib (soit environ 18 000 milliards F Cfa). Qu’est-ce que la dette parapublique ? Il s’agit des engagements des entreprises et organismes publics (comme la Sonacos dans l’agroalimentaire ou l’Anams dans les télécommunications) et des agences d’exécution de projets. Concrètement, cela signifie que leurs engagements sont désormais comptabilisés comme dette d’Etat. Si cette intégration permet une vision plus réaliste des engagements nationaux, elle alourdit mécaniquement le fardeau souverain et pourrait dégrader la notation financière du pays. Le mécanisme de fragilisation est double : augmentation apparente du stock de dette et signal de défiance sur la gestion des entreprises publiques.

Méthodologie de la dette cachée : le grand silence
Le Fmi avait initialement exigé du gouvernement sénégalais qu’il détaille la méthodologie ayant permis d’identifier la dette cachée. Cette demande a disparu du communiqué du 6 novembre.
Deux interprétations sont possibles :
• Le gouvernement a fourni des éléments jugés suffisants en interne mais non rendus publics ;
• Le Fmi a choisi de ne pas insister, privilégiant la stabilité politique à la clarté institutionnelle.
La première option permettrait un apaisement technique mais créerait un déficit démocratique. La seconde installerait un précédent dangereux de négociation opaque des normes de transparence.
Vers un nouveau programme sous conditions renforcées
Le communiqué évoque la préparation d’un nouveau programme soutenu par le Fmi, centré sur la soutenabilité budgétaire, la gestion de la dette et la gouvernance. Derrière ces termes techniques, se profile un ajustement structurel d’une nouvelle génération : réduction du déficit, réformes du secteur parapublic et supervision renforcée des politiques économiques.
La particularité de ce programme réside dans son approche intégrée : il ne s’agit plus seulement de maîtriser la dette de l’Etat central, mais de superviser l’ensemble des engagements publics et parapublics, élargissant considérablement le champ d’intervention du Fmi dans la politique économique nationale.
Entre stabilité et vérité : le dilemme sénégalais
La fusion des dettes peut sembler être un pas vers plus de transparence, mais elle pourrait aussi servir de stratégie d’oubli. La centralisation de la gestion de la dette apporte de la cohérence, mais elle concentre aussi le pouvoir et l’information.
Le risque est triple :
• Technocratique : noyer le «scandale de la dette cachée» dans des agrégats comptables ;
• Politique : légitimer une concentration des décisions d’endettement ;
• Social : justifier l’austérité budgétaire par des chiffres consolidés mais peu expliqués.
Pour une vérité financière et une souveraineté retrouvée
Si le Sénégal souhaite restaurer durablement la confiance, il doit privilégier la vérité avant la consolidation. Cette approche exige cinq réformes structurelles :
1. Publication intégrale de l’audit de la dette cachée : rendre publique l’enquête complète sur les origines et responsables de la dette non comptabilisée ;
2. Création d’une instance indépendante de surveillance de la dette : organisme autonome associant Parlement, Société civile et experts, avec pouvoir de veto sur les grands emprunts ;
3. Loi-cadre encadrant les emprunts publics et parapublics : plafonds d’endettement, conditions de garanties étatiques et mécanismes de contrôle parlementaire ;
4. Transparence sur les revenus pétroliers et gaziers : publication des contrats, des revenus et de leur affectation via une plateforme accessible à tous les citoyens ;
5. Fiscalité équitable : révision des niches fiscales au profit des Pme et des ménages, et imposition plus juste des bénéfices du secteur extractif.
Chaque mesure répond à un défi identifié : l’instance indépendante prévient les détournements, la loi-cadre encadre juridiquement l’endettement, la transparence pétro-gazière assure le contrôle citoyen, et la réforme fiscale équilibre l’effort budgétaire.
Conclusion : la discipline sans la vérité n’est qu’illusion
Derrière les éloges du Fmi, un message sous-jacent s’impose : la confiance ne sera pleinement restaurée que si la discipline budgétaire est rigoureuse. Mais une discipline sans vérité n’est qu’une illusion comptable. Le Sénégal doit résister à la tentation de l’oubli organisé : la fusion des dettes ne peut servir à effacer les responsabilités historiques. La reconstruction de la souveraineté économique passe par un examen lucide du passé et la création d’institutions robustes et transparentes. Le pays se trouve à la croisée des chemins : subir les conditionnalités comme une fatalité ou les transformer en leviers pour une gouvernance renouvelée. Le véritable enjeu n’est pas technique, mais politique : sera-t-il un Etat maître de sa dette, responsable devant son Peuple, et souverain dans ses choix économiques ?
Perspective : la véritable résilience économique ne se mesure pas seulement à la croissance du Pib, mais à la capacité d’un pays à gérer ses ressources avec transparence et à définir souverainement ses priorités de développement.
Encadré
méthodologique
La dette cachée sénégalaise : de quoi parle-t-on ?
La «dette cachée» désigne les engagements financiers contractés par ou pour le compte de l’Etat sans avoir été correctement enregistrés dans les documents budgétaires officiels, contournant ainsi les procédures de contrôle et les limites d’endettement.
La dette parapublique en pratique (quelques exemples).
• Entreprises publiques : Sonacos (agroalimentaire), Sde (eau), Senelec.
• Agences d’exécution : Anida (développement agricole), Apix (investissements).
• Mécanisme de garantie : l’Etat s’engage à rembourser si l’entité est défaillante.
Chérif Salif SY