Pour contourner les conditions draconiennes des partenaires occidentaux, de nombreux pays d’Afrique au sud du Sahara préfèrent s’adresser à la Chine pour couvrir leurs besoins en infrastructures. L’agence de notation Moody’s indique que si ce pays peut aider à combler certains besoins, le manque de transparence qui entoure ses financements pourrait conduire à une forte dépendance des pays débiteurs à son égard.

Au moment où le Sénégal se voit proposer plus de 7 000 milliards de francs Cfa pour ses projets dans le cadre de la seconde phase du Plan Sénégal émergent (Pse2), le débat sur les niveaux d’endettement bat son plein partout dans le monde. A titre d’exemple, aux Etats-Unis, plusieurs services gouvernementaux sont quasiment à l’arrêt (Shutdown, Ndlr) parce que le gouvernement et le Congrès ne sont pas encore tombés d’accord sur le niveau d’endettement autorisé à l’Etat pour faire face à ses besoins. En France, le gouvernement a déjà estimé que la nécessité de tenir les promesses faites aux «Gilets jaunes» devra conduire le pays à s’endetter d’environ 200 milliards d’euros pour l’année à venir. Ce qui relativise très fortement les 7 000 milliards dont se gargarise l’opinion sénégalaise. Et qui indique également que le niveau de richesses d’un pays ne l’empêche pas de recourir à l’emprunt extérieur.
Néanmoins, il est important d’évoquer la dette d’un pays, parce que tous les crédits ne viennent pas avec des conditions similaires. Si le Sénégal a la chance d’avoir dans son portefeuille une grosse part de dette à des conditions plus ou moins soutenables, c’est parce qu’elle se négocie de façon transparente, sous le regard des gendarmes de Bretton Woods et d’autres partenaires. Mais toute la dette sénégalaise n’entre pas dans ce moule, et tous les pays africains ne sont pas aussi bien lotis.

L’alerte de Moody’s
L’agence Moody’s vient de publier une monographie sur la dette des pays africains envers la Chine, dont le titre lui-même est très explicatif. En anglais, cela donne China’s lending supports growth exacerbates fiscal and external pressures in Sub Saharan Africa. En résumé, si les prêts chinois sont utiles pour permettre aux pays africains de combler leurs déficits en termes d’infrastructures de développement comme les routes, les ports ou les centrales électriques, ils viennent aussi parfois avec des conditionnalités qui alourdissent les niveaux d’endettement de certains pays et les contraignent parfois à renoncer à leur souveraineté dans des domaines parfois vitaux. Le document cite entre autres l’exemple du Kenya, où vient d’être inaugurée la ligne de chemin de fer qui relie Nairobi, la capitale du pays, à Mombasa, le principal port de l’Afrique de l’Est. Cette infrastructure majeure est présentée comme la principale réalisation grandiose depuis l’accession du pays à l’indépendance.
A côté du Kenya, des pays comme le Congo Brazzaville, le Nigeria, l’Ethiopie ou l’Angola ont également largement profité des largesses de la Chine. Le Sénégal, avec son autoroute Ila Touba et ses autres infrastructures financées par la Chine, n’est pas le débiteur le plus important, même si son endettement envers la Chine représente tout de même une part non négligeable de ses créances étrangères.

Forte augmentation des créances
Ces créances envers la Chine, facilitées par les fortes disponibilités financières de l’Empire du Milieu, qui, lors du dernier Forum Chine-Afrique (Focac), a promis de consacrer 60 milliards de dollars à ses partenaires africains, se négocient parfois dans des conditions plus souples sur le plan financier, mais qui demanderaient plus de vigilance. Moody’s insiste sur le fait que l’absence des conditionnalités politiques ou liées à la gouvernance économique et sociale, si elle facilite l’acquisition de ressources importantes de la part d’un partenaire peu regardant sur les questions de politique intérieure, n’en rend pas moins les pays dépendants du fait de leurs faibles capacités de remboursement. Et le robinet chinois semble intarissable. En 2001, la Chine a prêté 1 milliard de dollars aux Africains. Mais depuis 2012, c’est plus de 10 milliards par an que ce pays injecte sur le continent. En conséquence, 72% des 42 milliards d’euros de dette du Kenya sont dus à la Chine, ce qui rend ce pays quasiment dépendant. L’Angola, frappée de plein fouet par la baisse du prix du baril, a été obligée de négocier le remboursement d’une partie de sa dette en pétrole brut. C’est d’ailleurs la même option qu’avait adoptée le Congo Kinshasa dès 2011, lorsque le Président Kabila avait négocié 3 milliards de dollars auprès de la Chine, soi-disant pour construire des infrastructures à travers le pays. La plupart desdites infrastructures n’ont jamais vu le jour, mais une partie de la production du pays en or, diamant, bois, cobalt et autres minerais dont est doté ce pays continue de prendre le chemin des ports de Chine.

Face-à-face intenable à terme
Pour beaucoup de pays emprunteurs, la mise à l’écart des organismes régulateurs comme les institutions de Bretton Woods ou les pays du Club de Paris crée un face-à-face avec la Chine et ses institutions financières qui peut rapidement devenir intenable. Des études citées par l’étude de Moody’s soulignent que sur les près de 57 milliards de dollars prêtés par la Chine aux pays d’Afrique au sud du Sahara entre 2000 et 2014, seuls 28% l’ont été à des taux concessionnels. Au Ghana, en Zambie et au Nigeria, le service de la dette a dépassé les 20%, tandis que dans des pays comme l’Ethiopie, le Congo ou le Mozambique, le déficit du compte courant frôle les 30%.
Ces niveaux d’endettement contraignent les partenaires à négocier certaines conditions de remboursement. Si aucun pays africain n’a encore subi le sort du Sri Lanka qui a perdu la gestion de sa part de Hambantota au profit de la Chine, ou du Tadjikistan, obligé de céder des milliers d’hectares de terres au pays de Xi Jin Ping pour effacer certaines ardoises, Moody’s estime que des pays comme le Kenya, l’Angola, le Congo ou la Zambie ne sont pas à l’abri du danger.
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